Même si le CPE est retiré les syndicats devront bouger... edit
Un droit du travail trop strict a tendance à diminuer le taux d'emploi des jeunes et des femmes et augmenter la durée de chômage dans les pays de l'OCDE. Avec un ensemble législatif parmi les plus protecteurs de l'OCDE et un des plus hauts salaires minimaux touchant 15 % des salariés, la France est clairement dans ce cas. A priori, on devrait bien accueillir une réforme comme le CPE (mais aussi le CNE), qui s'attaque à la question du droit des CDI.
Malheureusement, on a de bonnes raisons de penser que l'impact de ces réformes sera faible, notamment parce qu'elles sont partielles au point même de renforcer le dualisme du marché du travail français et aggraver la situation des demandeurs d'emploi. Les salariés en CNE ou en CPE ne deviendront des insiders que si les entreprises jugent bon de les garder après deux ans. Autrement, ils resteront des outsiders, avec même moins de sécurité que s'ils avaient un CDD. Pourquoi ?
Supposons que les entreprises substituent les nouveaux contrats flexibles à une partie des anciens contrats ; supposons qu'elles créent ainsi de nouveaux emplois parce qu'elles apprécient la baisse des coûts de licenciements. Dans ces conditions, l'impact net du point de vue des créations d'emploi sera moins que l'impact brut (celui des embauches) à cause des effets de substitution avec d'anciens contrats et de licenciements plus nombreux puisque plus faciles. Mais ce n'est pas tout. La moindre protection offerte par ces contrats ne dure que deux ans. Cela risque de conduire à une vague de licenciements, par rapport à ce qu'aurait été une situation de moindre protection mais pour une durée illimitée. Dans de nombreux cas les entreprises ne conserveront pas les salariés après deux ans, parce qu'elles voudront continuer à profiter de l'option du licenciement à volonté. Elles préféreront réembaucher quelqu'un d'autre sur le même type de contrat. Par-dessus le marché, si les salariés qui sont aux marges du marché du travail jugent que leurs intérêts sont négativement affectés par la perspective d'être employés avec de tels contrats, ils pourraient décider de ne travailler ou de ne plus chercher d'emploi. Cela réduirait encore les effets de la réforme sur le chômage. Par conséquent, les entrées brutes peuvent être nombreuses, mais les créations d'emploi seront limitées par l'augmentation des licenciements, par une moindre durée d'emploi et moins de participation au marché du travail. Avec Pierre Cahuc, nous avons simulé ces effets en nous fondant sur un modèle qui reproduit les performances récentes du marché du travail en France. Et nous constatons que même si cette sorte de contrat était utilisée dans l'ensemble du secteur privé, elle ne créerait que 70 000 emplois supplémentaires en quelques années.
Même si ce n'est qu'une réforme partielle, il faut admettre que le CPE, comme le CNE, bouleverse le droit du travail en France et qu'il pose pour la première fois la question de la flexibilité non plus dans une perspective de politique sociale, mais dans une perspective de politique d'emploi. C'est aussi un grand changement dans la stratégie de l'Etat, surtout fondée jusqu'ici sur la subvention des emplois à bas salaires.
Le CNE n'a guère été contesté par les syndicats. Bien que la décision ait été prise unilatéralement par le Premier ministre pendant l'été 2005, les syndicats n'ont pas beaucoup d'intérêts dans les PME (où ils représentent 3 ou 4% des salariés). L'opposition actuelle au CPE est beaucoup plus puissante.
Tout d'abord, le CPE est - correctement - perçu comme un renforcement potentiel du dualisme dans le marché du travail, au détriment des plus faibles. Les jeunes sont souvent issus de l'immigration, alternant des emplois en CDD et des périodes de chômage, sans vraies perspectives à long terme. Le CPE apparaît comme une mesure qui détériorerait, plus qu'elle n'améliorerait cette situation.
Ensuite, comme le CNE, le CPE n'a pas été négocié avec les partenaires sociaux. Il a été annoncé subitement, comme un amendement à un projet de loi sur l'égalité des chances. Les syndicats veulent aussi probablement démontrer qu'ils peuvent influencer le processus de réforme au niveau macro dans un contexte où ils ont constamment perdu la main au niveau des entreprises pendant la dernière décennie. Enfin, ni le CPE, ni le CNE n'ont été présentés comme une expérience, mais comme une modification définitive dans la loi (même si l'on a annoncé un processus d'évaluation).
Pourtant, si les circonstances n'ont pas certainement aidé à faire passer le CPE, les syndicats ne se sont pas montrés disposés à négocier le droit du travail. Certes, les réactions aux propositions sur le contrat unique furent presque positives. Mais en même temps syndicats et patronat ont été incapables de signer, même après des mois de discussions en 2004, le plus petit accord sur la réforme des très lourdes procédures pour les plans sociaux. L'accord collectif a échoué et le gouvernement a dû utiliser la loi, qui a forcé les syndicats à transiger. A cet égard, le gouvernement pourrait aussi avoir estimé que la faiblesse du dialogue social en France (et la faible présence des syndicats dans le privé, leur multiplicité et leurs divisions) n'aurait pas permis une réforme consensuelle sur les règles de licenciement. Dans ce cas, le syndrome espagnol est-il la seule voie pour réformer le marché du travail en France ?
L'Espagne, qui est aussi un champion de protection des salariés, a en 1997 réduit les coûts des licenciement d'une grande partie du salariat. Cette réforme fut difficile à soutenir, étant donné l'importance de la sécurité d'emploi pour le noyau de salariés en CDI en l'absence de revenu sûrs hors de l'emploi. Le dialogue social n'a été utilisé qu'aux stades clés du processus. Certaines étapes de la réforme ont été imposés par les gouvernements successifs (soutenus par une forte majorité au Parlement). Le premier pas a été vraiment exécuté en 1984, quand les CDD ont été étendus jusqu'à représenter un tiers des emplois. Il a ensuite fallu l'échec de la réforme de 1994 qui visait à restreindre l'utilisation des CDD pour que les syndicats acceptent de discuter de la protection des CDI. A cette époque, moins de 50% de la population active étaient en CDI. Les autres étaient sans emploi ou en CDD. On pourrait considérer que les gouvernements successifs avaient suscité un soutien politique à cette réforme.
Si nulle autre réforme n'est menée dans l'avenir, le CPE et le CNE pourraient aboutir à une situation semblable en France : le chômage et l'emploi non garanti excèderaient la part des emplois protégés. C'est pourquoi on aurait besoin d'une réforme supplémentaire pour éviter un syndrome espagnol qui finirait par devenir très coûteux pour la société. Une réforme complète devrait rechercher la flexibilité sans qu'une précarité excessive ne fasse de trous dans les filets de la protection sociale. Par ailleurs, si le CPE est retiré, une nouvelle réforme pourrait être bloquée parce que les partenaires sociaux français ont du mal à s'entendre sur ce sujet et que les syndicats se verraient renforcés dans leur position actuelle. Il y a peu de chances maintenant que le retrait du CPE puisse être négocié contre une promesse de discussion sur le CDI. A présent que chacun est sur son terrain, avons-nous une chance d'ouvrir le débat sur la meilleure forme de sécurité dans le marché du travail ?
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