Proposition pour une ligne de crédit Covid edit
Il est dans l'intérêt de chaque État membre de l'UE que les pays de l'Union touchés par le coronavirus soient immédiatement en mesure de prendre les mesures nécessaires pour contrôler la pandémie et faire face à ses conséquences économiques sans être contraints. Nous proposons une ligne de crédit Covid dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité, avec une allocation entre les États membres proportionnelle à la gravité des problèmes de santé publique et des difficultés économiques rencontrées dans chacun des pays. Une ligne de crédit dédiée traduirait une volonté de coordination et de solidarité entre les États membres. Elle réduirait les risques pour la stabilité économique et financière de tous car elle permettrait aux États membres de poursuivre dans la durée leurs efforts en rendant leurs coûts d'emprunt moins dépendants des situations budgétaires individuelles.
par Agnès Bénassy-Quéré (France), Arnoud Boot (Pays-Bas), Antonio Fatás (Portugal), Marcel Fratzscher (Allemagne), Clemens Fuest (Allemagne), Francesco Giavazzi (Italie), Ramon Marimon (Espagne), Philippe Martin (France), Jean Pisani-Ferry (France), Lucrezia Reichlin (Italie), Dirk Schoenmaker (Pays-Bas), Pedro Teles (Portugal), Beatrice Weder di Mauro (Italie et Suisse)
La lutte contre la pandémie de Covid dans l'UE exige que tous les gouvernements nationaux puissent financer les dépenses nécessaires, et donc que leurs capacités d’emprunt ne soient pas limitées par les marchés. L'annonce par la BCE, le 18 mars, d'un programme d'achat d'urgence pandémique (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP) va dans ce sens : dans une guerre, un gouvernement est généralement soutenu par sa banque centrale. Cependant, malgré la flexibilité annoncée, la BCE pourrait éprouver des difficultés à intervenir sur le marché obligataire de manière potentiellement très asymétrique en l’absence un soutien fiscal conjoint explicite.
Il est encore trop tôt pour savoir si cette pandémie se transformera en un choc totalement symétrique ou quelque peu asymétrique, certains États membres étant plus sévèrement touchés que d'autres. Ce qui est sûr, cependant, c'est que les États membres sont inégaux lorsqu'il s'agit d'emprunter des montants importants sur les marchés. C'est pourquoi la capacité du mécanisme de soutien financier à s'adapter aux besoins de chaque pays sera essentielle. Il est dans l'intérêt de chaque État membre qu'un pays durement touché prenne les mesures nécessaires pour contrôler la pandémie. Et du point de vue de ces pays durement touchés, la solidarité européenne sera essentielle pendant cette période sombre, et au delà. Une absence de coopération lors de cette crise enverrait un signal très négatif, potentiellement fatal au projet européen.
La lutte contre ces problèmes appelle une combinaison de mesures fiscales et monétaires. Mais comme le temps est compté, la solution à ce problème de coordination doit être trouvée au sein d’un cadre conçu initialement pour protéger la politique monétaire de la politique budgétaire. L’émission conjointe d’euro-obligation serait une réponse appropriée, mais il est peu probable qu'elle puisse être introduite à brève échéance. C’est ce qui nous conduit à proposer une ligne de crédit Covid au sein du Mécanisme européen de stabilité (MES).
État des lieux: une réponse monétaire désormais puissante, dans un cadre toutefois borné
Depuis les crise du début de la décennie passée, nous avons été préoccupés par l'absence d'une capacité budgétaire significative au niveau de la zone euro qui permette de réagir aux chocs. La réponse à la crise de Covid reflète cette lacune persistante. Jusqu'à présent, les gouvernements nationaux et la BCE ont été en première ligne, tandis que les autres institutions européennes sont restées loin derrière. Le risque est donc que la zone euro soit à la traîne par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni dans sa réponse budgétaire à la crise économique provoquée par la pandémie, avec des implications sociales et économiques négatives.
Le 13 mars, la Commission a proposé d'allouer à l'effort de secours un reliquat de 8 milliards d'euros de crédits des Fonds structurels non dépensés et 28 milliards d'euros provenant de fonds non encore alloués (soit au total 0,25 % du PIB de l'UE). Cette action équivaut à une réaffectation sectorielle des fonds structurels, mais pas à une mutualisation ou à une réallocation entre les États membres. Le 16 mars, l'Eurogroupe a annoncé un accord sur (a) la réponse économique globale à l'épidémie du Coronavirus ; (b) l'exclusion des mesures fiscales temporaires prises en réponse à la crise de Covid lors de l'évaluation du respect des règles fiscales ; et (c) la pleine utilisation de la clause de flexibilité générale du Pacte de stabilité et de croissance pour tous les États membres[1].
Le 18 mars, la BCE a annoncé le lancement du PEPP, en complément de l'annonce, la semaine précédente, d'une nouvelle opération ciblée de refinancement à long terme (TLTRO), d'une nouvelle tranche de 120 milliards d'euros d'achats d'actifs et de mesures temporaires d'allégement du capital et des opérations des banques. L'enveloppe globale du PEPP, 750 milliards d'euros, soit plus de 6 % du PIB, est déjà substantielle. Elle peut être augmentée et sa composition peut être ajustée « autant que nécessaire et aussi longtemps que nécessaire ».
Nous considérons les initiatives de la BCE comme très significatives et positives. Elles offrent la possibilité de répondre avec souplesse aux tensions sur le marché des obligations souveraines, tout en apportant un soutien à l'effort de secours immédiat des États membres.
Le principal problème de ces initiatives est que le fardeau pèse une fois de plus sur la politique monétaire. Bien que cela soit peut-être inévitable en cas d'urgence et que cela ait été le cas également dans d'autres juridictions, nous pensons que, dans une union monétaire en particulier, un important plan de relance doit être plus équilibré sur le plan budgétaire pour être légitime.
Une obligation européenne de secours
Des propositions ont été faites pour lancer une action coordonnée financée par l'émission conjointe de dettes, afin de mutualiser efficacement la réponse à la crise. Les États membres s'engageraient à verser des recettes fiscales à un fonds, ce qui permettrait à ce dernier d'emprunter sur le marché (avec une responsabilité conjointe et solidaire) et de financer des actions de secours dans toute l'UE ou dans la zone euro. Les dépenses seraient réparties en fonction de la gravité de la crise sanitaire et de l’urgence d’une réponse.
Il y a beaucoup à dire en faveur d'une telle approche du point de vue économique et politique. Toutefois, un tel mécanisme se heurte à deux difficultés.
Tout d’abord il n'existe pas de véhicule prêt à l'emploi pour l'émission conjointe de dettes par les membres de la zone euro. L'UE ne peut s’endetter que pour financer des programmes d'assistance financière autorisés par les traités[2] ; il n'y a pas de budget de la zone euro ; et le Mécanisme européen de stabilité, qui n'est pas une institution budgétaire, ne peut prêter qu'à des États membres. L'emprunt conjoint nécessiterait l'affectation de recettes fiscales au remboursement de la dette, mais aucune institution européenne n'a de pouvoir lever l’impôt.
Ensuite, les États membres ont encore des stratégies différentes pour faire face à la crise. Cela réduit la tendance, déjà assez limitée, à des solutions conjointes.
Ces obstacles peuvent être surmontés. Une solution de ce type peut finir apparaître comme la meilleure réponse à l'urgence. Mais nous craignons que son heure ne soit pas encore venue.
Une ligne de crédit COVID dans le Mécanisme européen de stabilité
Un schéma possible serait qu'une série d'États membres – idéalement tous afin d'éviter toute forme de stigmatisation – demandent à bénéficier de la ligne de crédit ECCL (« Enhanced Conditions Credit Line » ) du Mécanisme européen de stabilité. Cela leur donnerait accès aux prêts du MES et ouvrirait la voie à l'activation des Opérations monétaires sur titres de la BCE, renforçant ainsi la capacité de la banque centrale à contrôler les écarts de rendement des obligations (spreads) entre États et à éviter des crises de la dette auto-réalisatrices.
La ligne de crédit ECCL est toutefois un instrument spécifique destiné à traiter les risques de perte d'accès au marché propres à chaque pays. Les prêts sont à échéance d’un an, avec des extensions possibles pour une autre année[3]. Une alternative préférable serait que le Mécanisme européen de stabilité crée une nouvelle ligne de crédit dédiée Covid définie par sa longue durée, des conditions d'accès spécifiques et une conditionnalité ex post[4]. Elle permettrait d’accorder à tous les États membres des lignes de crédit à long terme dédiées au financement de l'effort lié au Covid. La répartition entre les États membres devrait être proportionnelle à la gravité des problèmes de santé publique et des difficultés économiques rencontrées. La conditionnalité devrait être minimale et consister à ce que les États membres s'engagent à faire preuve de transparence dans l'utilisation de la ligne de crédit Covid ; à ne pas s’en servir pour introduire de nouvelles dépenses discrétionnaires ou des baisses d’impôt sans rapport avec la lutte contre la pandémie ; et à mettre fin à l'effort budgétaire anti-Covid une fois la crise passée. La durée de ces lignes de crédit devrait être très longue car les États membres sortiront de la crise gravement affaiblis et ne seront pas en mesure de rembourser rapidement. Et l'alternative consistant à remplacer les lignes de crédit du Mécanisme européen de stabilité par de la dette intérieure nouvellement émise ferait échouer l'exercice. En conséquence, les nouvelles obligations émises par le Mécanisme européen de stabilité devront être de très longue durée (mais, bien sûr, à des échéances pour lesquelles existe un marché).
Cette option apporterait une amélioration concrète. Le Mécanisme européen de stabilité dispose actuellement d'une capacité de prêt de 410 milliards d'euros (3,4 % du PIB de la zone euro), qui peut être augmentée par le Conseil des gouverneurs. Elle n’impliquerait qu’un minimum de coordination et de solidarité entre les États membres, car chacun d'entre eux resterait seul responsable de sa dette vis-à-vis du Mécanisme européen de stabilité. Mais une ligne de crédit Covid aiderait à soutenir l'effort des membres et permettrait de rendre le coût d'emprunt correspondant indépendant des situations budgétaires individuelles. L'augmentation du volume des obligations pan-européennes (émises par le MES) aurait également un effet stabilisant pour le secteur financier et élargirait le champ d'action de la BCE.
Une version anglaise de cet article est publiée par notre partenaire VoxEU.
[1]. Cette clause fait référence à des « événements inhabituels échappant au contrôle du gouvernement ».
[2] À des pays non membres de la zone euro.
[3]. « Une PCCL et une ligne de crédit ECCL peuvent être tirées via un prêt ou un achat sur le marché primaire. Les deux types de lignes de crédit ont une période initiale de disponibilité d'un an et sont renouvelables deux fois, chaque fois pour six mois. » (Lignes directrices du MES, art. 2.1)
[4]. L’article 19 du traité sur le Mécanisme de stabilisation d'urgence permet au conseil d'administration de créer de nouveaux instruments d'assistance financière. Les lignes directrices du MCE pourraient également être adaptées en fonction de l'objectif visé.
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