Trump va-t-il vraiment lancer une guerre commerciale? edit

16 décembre 2024

Les questions économiques ont joué un rôle important dans l’argumentaire qui a conduit à la victoire de Donald Trump. Entre autres choses, une partie notable de l’électorat a cru aux vertus que ce dernier prête à l’imposition de droits de douane : diminution du déficit commercial, promotion de l’emploi national, rapatriement des usines délocalisées, rentrées fiscales levées sur l’étranger, etc. Toutefois, le prélèvement de tarifs additionnels sous le premier mandat Trump (dès 2018), surtout sur des produits chinois, mais aussi sur l’acier et l’aluminium de toutes provenances, n’a conduit ni à la création nette d’emplois ni à la réduction du déficit commercial. En revanche, la manœuvre a procuré d’indéniables dividendes politiques[1]. Les citoyens des régions protégées sont devenus plus susceptibles de voter pour Donald Trump en 2020 et d’élire des républicains au Congrès.

Persévérant dans cette voie, le candidat Trump a promis, lors de la campagne 2024, d’augmenter les tarifs de 60% sur tous les produits chinois et de 10 à 20% sur tous les produits en provenance du reste du monde. Dix fois plus d’importations américaines seraient touchées qu’en 2018. Il a en outre précisé qu’il imposerait, le jour de son investiture (20 janvier 2025), des droits de douane de 25% sur les importations canadiennes et mexicaines jusqu'à ce que les flux de drogues et d’immigrants illégaux vers les Etats-Unis soient interrompus. Quelques jours plus tard, il a exigé que les membres des BRICS (dont la Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud) s'engagent à ne pas créer une nouvelle monnaie pour contester l’hégémonie du dollar en tant que moyen d’échange international. Sans quoi ils subiraient des droits de douane de 100%.

Le décor est planté et il ne serait pas étonnant qu’il soit agrémenté d’autres annonces de la même veine. Faut-il s’attendre à des conflits commerciaux de grande ampleur ? Ou alors le tapage des réseaux sociaux relève-t-il du positionnement tactique ? Les conséquences potentielles de la politique proposée fournissent quelques indications utiles.

La plupart des études macroéconomiques concluent qu'une augmentation marquante des tarifs réduirait le PIB et l'emploi américains[2]. À titre d’illustration, plus de la moitié des importations sont des composants ou des matières premières incorporés dans les produits fabriqués aux États-Unis. C’est par exemple le cas de la plupart des minéraux critiques et d’environ 90% des ingrédients pharmaceutiques actifs. Rien de tout cela ne changera du jour au lendemain. Le renchérissement de ces marchandises affaiblirait la compétitivité des nombreuses entreprises acheteuses d’intrants allogènes, plus particulièrement lorsqu’elles vendent à l’étranger. Ici, les tarifs constitueraient en quelque sorte une taxe sur les exportations.

L’industrie automobile nord-américaine opère des chaînes de production hautement intégrées où les produits intermédiaires traversent incessamment les frontières pour circuler au sein d’une « Grande Usine » englobant des sites de production au Mexique, au Canada et aux États-Unis. L’imposition d’un tarif de 25% sur les biens transitant d’un site à l’autre gripperait l’usine et entraînerait de graves perturbations dont les États-Unis pâtiraient autant que les deux autres partenaires.

Contrairement aux assertions du prochain Président, la majeure partie des droits de douane introduits en 2018 ont été répercutés sur les consommateurs. Les ménages à faible revenu ont été plus fortement affectés car ils acquièrent une plus grande proportion de biens importés que les acheteurs aisés[3]. Aujourd’hui, après trois années de renchérissement soutenu, les électeurs se montreront plus sensibles qu’auparavant aux mesures érodant leur pouvoir d’achat. La marge de manœuvre est d’autant plus restreinte que d’autres éléments du programme économique de Donald Trump, dont de copieuses réductions d'impôts sur fond de déficit massif du budget fédéral, généreront aussi des pressions inflationnistes.

En outre, les mesures appliquées ont souvent provoqué une riposte des pays lésés, notoirement de part de la Chine. Il en ira vraisemblablement de même cette fois-ci. Le Canada et le Mexique ont laissé entendre qu’ils répliqueraient, attisant une escalade tarifaire dommageable pour l’industrie nord-américaine. L’UE a également affûté ses possibles rétorsions. Mais sa réponse sera probablement émoussée en raison de la dépendance de l’Europe à l’égard des États-Unis pour sa défense dans le contexte de vives tensions découlant du conflit en Ukraine.

Enfin, l’invective visant les projets imputés aux BRICS ne manque pas d’étonner. Selon la plupart des experts, une monnaie BRICS est loin de voir le jour car ces derniers ne disposent simplement pas des institutions et de la cohérence politique indispensables pour gagner la confiance des agents économiques. La primauté du dollar, qui représente environ 58% des réserves de change mondiales selon le FMI, est bien assurée. Peu après la publication de la mise en garde de Donald Trump, le gouvernement sud-africain a démenti que les BRICS envisageaient de créer leur propre monnaie. Monter en épingle un danger hautement hypothétique est contre-productif et suggère un manque de confiance dans le dollar.

Les considérations précédentes donneront du grain à moudre à l’Administration entrante qui, de surcroît, entend rassurer les marchés. Elle composera cahin-caha avec les intérêts divergents des lobbies et des objectifs économiques contradictoires. Les annonces du Président-élu doivent cependant être prises au sérieux, même si l’on présume qu’elles se concrétiseront d’une manière plus nuancée. Le choix des pays et des produits est susceptible d’être affiné. La Chine, le rival stratégique par excellence, restera une cible privilégiée de même que l’acier. Par ailleurs, les menaces pourraient être mises à exécution ou simplement servir de moyen de pression.

Selon l’approche transactionnelle chère au Président-élu, la matraque tarifaire serait maniée en vue de négocier en position de force. Pour échapper aux droits de douane, les pays visés s’engageraient à acheter des quantités déterminées de de produits américains ou à limiter certaines exportations vers les États-Unis. De plus, sous le premier mandat Trump, de nombreuses exemptions ont été octroyées aux entreprises importatrices. Un dispositif similaire devrait être mis en place lorsque de nouveaux tarifs seront imposés. Pareille issue constituerait un moindre mal. Mais cette politique de puissance demeurerait contraire aux accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et accentuerait l’érosion d’un ordre international fondé sur des règles équitables.

L’arme tarifaire servirait encore à obtenir des concessions dans d’autres domaines. Ainsi, des pays seraient amenés à s’associer aux restrictions de transferts de technologies sensibles vers des rivaux stratégiques des Etats-Unis ou à prendre des mesures dans d’autres domaines.

Bien des arguments militent contre une guerre commerciale de grande ampleur. Seront-ils entendus ? Nombre d’inconnues subsistent et toute prévision revêt un caractère éminemment spéculatif à ce stade. Une approche plus différenciée et modérée pourrait prévaloir à condition que la faction résolument protectionniste ne tienne pas le haut du pavé à Washington. Pour cette dernière, les effets négatifs de tarifs élevés sur l’économie américaine ne sont qu’une épreuve passagère, l’effort à consentir pour que les États-Unis retrouvent leur grandeur industrielle perdue. 

[1] Cf. Autor, David, Anne Beck, David Dorn, and Gordon Hanson (2024), Help for the Heartland? The Employment and Electoral Effects of the Trump Tariffs in the United States, NBER Working Paper Series No. 32082, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA.

[2] La Tax Foundation, un groupe de réflexion non partisan, a estimé qu'une augmentation générale de 10% des droits de douane et un droit de douane de 60 % sur toutes les importations en provenance de Chine augmenteraient les impôts de 524 milliards de dollars par an, réduiraient le PIB d'au moins 0,8 % et diminueraient le nombre d'emplois de 684 000 équivalents temps plein. Et ceci sans tenir compte des effets des représailles que ces tarifs douaniers ne manqueraient pas de déclencher. Cf. Trump Tariffs & Biden Tariffs: Economic Impact of the Trade War (taxfoundation.org).

[3] Cf. Fajgelbaum, Pablo, and Amit Khandelwal (2022), “The Economic Impacts of the US–China Trade War”, Annual Review of Economics, Volume 14.