Droits de l’homme : que faire ? edit
L’affaire du Tibet n’est que la dernière et difficile expression d’une question centrale de la régulation internationale : celle des droits de l’homme. Or, son équation est extraordinairement difficile à résoudre une fois admise l’idée que ces droits sont universels mais qu’il est en même temps délicat de les imposer de l’extérieur.
En dix mois, le président Sarkozy a d’ailleurs pris la mesure, à son corps défendant, de l’extrême difficulté à mener dans ce domaine une politique cohérente et constante. Après avoir, le jour de son élection, accordé une place considérable à ce sujet, en donnant l’impression qu’une rupture était, là aussi, à l’œuvre, il a été progressivement amené à en rabattre sur ce thème en invoquant des arguments que son prédécesseur n’aurait pas récusés. Ce n’est pas encore le « Naturellement, nous ne ferons rien » de Claude Cheysson à propos de la Pologne, mais c’est déjà " M. Bouteflika plûtot que les Talibans ", Talibans avec lesquels les Britanniques négocient d’ailleurs au grand jour en Afghanistan…
A quelles contraintes se heurte une véritable diplomatie des droits de l’Homme ?Comment faire pour ne pas tomber dans la facilité de la Realpolitik ?
Sur le premier point, il y a pour l’essentiel trois obstacles qu’il faut prendre au sérieux.
Le premier a pour nom la souveraineté des Etats. Le terme peut sembler dépassé. Mais il reste le principe constitutif de l’ordre international. Naturellement, ce principe est très souvent utilisé comme un puissant alibi par les dictatures pour récuser toute pression extérieure. Cela ne fait guère de doute et c’est bien là le problème. Pour autant, même dans un monde globalisé, il serait très dangereux de contester la souveraineté des Etats sauf, peut-être, dans les situations d’extrême urgence. Depuis le XIXe siècle, l’histoire est riche d’exemples où des préoccupations morales ou éthiques ont justifié des politiques d’asservissement. C’est la raison pour laquelle il serait tout à fait faux de croire que seuls les Etats non démocratiques seraient opposés à une ingérence étrangère. Un pays comme l’Inde est extrêmement sourcilleux sur ces questions et a toujours cherché à éviter les condamnations d’Etats dictatoriaux comme la Birmanie, par exemple. D’autant qu’à la souveraineté se mêle inextricablement le nationalisme. Certes, celui-ci donne lieu à d’inévitables manipulations. Et l’exemple du Tibet montre bien combien Pékin joue implicitement la carte du « nationalisme Han » pour délégitimer ces « Tibétains arriérés ».
Mais en dehors des manipulations, le nationalisme existe. Il est probable que même au Zimbabwe l’opinion serait opposée à une intervention extérieure, même si elle rejette largement la tyrannie de M. Mugabe. Et c’est d’ailleurs par rapport à ces deux contraintes (souveraineté et nationalisme) que l’Afrique du Sud, pourtant démocratique, laisse faire, alors qu’une intervention de sa part aurait entraîné la chute du dictateur d’Harare. En France tout le monde semble concerné par le sort tragique de madame Bétancourt au point d’ailleurs de donner l’impression que l’obstacle à sa libération serait le gouvernement colombien et non les Farc. Or qu’on le veuille ou non l’immense majorité des Colombiens est derrière M. Uribe et vit très mal la mansuétude que l’on semble avoir vis-à-vis des Farc. Au demeurant qui se préoccuperait de madame Bétancourt si elle n’était pas aussi française ? Et pour défendre les droits de l’homme il paraît indispensable de négocier avec les terroristes et les preneurs d’otages.
Certes, par rapport à la situation prévalant il y a de cela trente ans, la porosité sociale du monde s’est accrue. Mais il n’y a dans cette évolution aucun caractère mécanique ou linéaire. A la souveraineté et au nationalisme s’ajoute un troisième obstacle : celui des intérêts des Etats démocratiques dans les pays qui ne le sont pas ou peu. Là encore, on peut déplorer cette réalité. Mais elle existe et s’exacerbe dans un monde globalisé et plus compétitif où la quête de nouveaux marchés influence de plus en plus la stratégie des Etats.
On n’avancera pas d’un iota sur les droits de l’homme si on nie ces obstacles. En revanche, il ne serait moralement et politiquement pas acceptable de s’appuyer sur ces contraintes pour ne rien faire.
En premier lieu, il faut laisser l’opinion publique faire son travail de mobilisation des consciences, y compris dans ses outrances. Il y a bien sûr des appareils diplomatiques qui déplorent, même chez nous, cette opinion publique « irresponsable » qui afficherait ses bons sentiments en méconnaissance de cause. Mais l’infantilisme et l’inactivité ne sont pas toujours là où l’on croit. Si, dans les années cinquante, l’opinion publique avait été plus puissante, les aventures coloniales auraient été sans doute moins longues et moins douloureuses.
En second lieu, il n’est pas inutile ou inopérant de procéder, notamment en Europe, à une mutualisation de la protestation. En matière de droits de l’homme, les prises de parole, surtout collectives, sont toujours salutaires. Si les Européens reçoivent collectivement le Dalaï Lama à Bruxelles, il sera difficile pour Pékin de contrer tous les Etats européens. Car même si nous ne parvenons pas à influencer la politique de la Chine il est capital que celle-ci ne se croit pas détentrice d'un droit de véto sur qui nous devons ou ne devons pas recevoir.
On oppose souvent droits de l’homme et realpolitik. Il est temps d’intégrer les premiers à l’exercice de la seconde. De ce point de vue maintenir l’incertitude sur le boycott des Jeux constitue une manière réaliste de peser sur la Chine.
Enfin, il importe plus que jamais de dialoguer avec les opposants à tous les régimes non démocratiques. Or cet effort la diplomatie française le fait très peu de peur de froisser les régimes en place. Défendre les droits de l’homme est une œuvre de longue haleine et non une affaire de coups d’éclats.
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