Régulation financière : Tata ou Ferrari ? edit
Depuis le début de la crise, les sommets du G20 ont été dominés par le dossier de la régulation financière. Entre les sommets s’est développée une intense activité de rédaction de rapports officiels et de contributions de chercheurs aux Etats-Unis, en Europe et au sein des organisations internationales. Les pays du G20 non-membres du G7 ont été beaucoup plus discrets. Ainsi, les nouveaux principes sont bien adoptés par le G20, mais toujours à l’initiative des économies avancées. Ces principes sont-ils adaptés aux économies émergentes et en développement ? Ne faudrait-il pas adopter des règles différentes pour les Tata et pour les Ferrari ?
Hormis le dossier des rémunérations, l’ordre du jour financier des sommets du G20 s’organise autour de trois questions essentielles : (1) combler les vides de la régulation et de la supervision, (2) traiter la question des banques « trop grandes pour faire faillite » et (3) réduire la pro-cyclicité des exigences en fonds propres (et éventuellement, des normes comptables).
La première question est probablement la plus importante. Une cause essentielle de la crise a été que les banques ont échappé aux règles de capitalisation en utilisant des structures hors-bilan (SIV – Special Investment Vehicles) pour acquérir des actifs risqués en financement ces acquisitions essentiellement par des emprunts à court terme. Cependant, le risque correspondant n’a pas véritablement été transféré car les banques ont accordé à leurs SIV des garanties et des lignes de crédit. Lorsque la crise a éclaté et que les SIV n’ont plus pu refinancer leurs emprunts à court terme, leurs actifs devenus « toxiques » ont été transférés dans les banques, provoquant une soudaine sous-capitalisation de ces dernières. Ainsi, l’incapacité des régulateurs à s’occuper du système bancaire “fantôme” est bien à l’origine de la crise. La réponse du G20 a été de réguler les fonds spéculatifs, faire pression sur les paradis réglementaires et réorganiser la surpervision au sein de chaque économie. Même si les SIV sont une invention des économies avancées, les pays émergents eux aussi sont concernés par l’arbitrage réglementaire. Ainsi, ils ont tout intérêt à prendre au sérieux la question du champ de la réglementation. Comme les pays avancés, eux aussi sont ou seront tentés de favoriser l’émergence de « champions » nationaux à l’aide d’une réglementation légère.
La deuxième question – celle des institutions « trop grandes pour faire faillite » – touche aussi les économies émergentes, dont certaines banques ont déjà atteint des tailles « systémiques » (à défaut d’être encore très « interconnectées »). Ceci concerne avant tout les banques chinoises, dont le volume de prêts pourrait atteindre 34% du PIB à la fin 2009. Cependant, les termes du débat sont très différents aux Etats-Unis et en Europe d’une part, en Chine d’autre part. Dans les économies avancées, l’idée est d’assurer les grandes banques contre le risque de faillite en échange d’un paiement qui pourrait se faire sous la forme de ratios de capital plus élevés. En Chine, les banques sont publiques et souvent considérées comme un simple canal d’intervention budgétaire. Le plan de relance chinois a fait grimper les prêts des banques aux entreprises publiques, à des conditions préférentielles. Un certain nombre de prêts s’avèreront vraisemblablement non performants, mais les problèmes de solvabilité ne poseront pas de question systémique tant que les banques seront la propriété intégrale de l’Etat.
Sur la troisième question, le G20 s’oriente vers un système permettant aux banques de réduire leur ratio de capital en période de ralentissement du crédit (à condition de l’augmenter en période faste). C’est probablement le sujet le plus technique du G20 car aucun économiste n’est véritablement capable de définir de manière systématique les périodes de vaches grasses et les périodes de vaches maigres. Plusieurs méthodes ont été proposées, mais les travaux existants tendent à montrer qu’il faudrait changer d’indicateurs à chaque cycle d’endettement, tant les cycles (et les crises) ne se ressemblent pas. En outre, c’est peut-être sur cette question qu’un traitement différencié des Tata et des Ferrari se justifierait le plus, pour plusieurs raisons. Premièrement, le coût de l’intermédiation financière va augmenter avec les nouvelles exigences – éventuellement contra-cycliques – en capital. Ce coût plus élevé est le prix à payer pour davantage de stabilité dans les pays avancés dont les institutions financières sont très (trop ?) développées. Dans les pays émergents, cependant, une part importante de la population n’a pas accès aux banques, et la question est donc plutôt de favoriser le développement de la finance. Deuxièmement, dans les économies émergentes les plus ouvertes, le cycle du crédit est très dépendant des afflux de capitaux. Les politiques macro-prudentielles pourraient s’avérer inopérantes du fait de la substitution possible entre capitaux étrangers et crédit domestique.
Enfin, la réforme en cours des exigences en capital se fait dans le cadre de Bâle II, un système créé par des économies avancées mais appelé à être appliqué dans le monde entier. Même dans les économies avancées, certains dispositifs sont difficiles à mettre en œuvre. Par exemple, peu de banques sont capables de corriger en interne les effets du cycle sur les bilans, ce qui réduirait la pro-cyclicité des ratios de capital. Parmi les économies émergentes, seule l’Afrique du sud a mis en œuvre Bâle II, mais les banques comme les superviseurs se heurtent à la faible profondeur temporelle des données qui ne couvrent même pas un cycle complet, ce qui rend impossible tout calcul visant à éliminer le cycle du jugement porté sur la solvabilité, réaliser des « stress-tests » ou introduire des matelas de réserves contra-cycliques. Maintenant que les pays du G20 hors G7 ont été invités à participer aux travaux du comité de Bâle, à eux de proposer des systèmes de supervision robustes pour les Tata et non plus seulement pour les Ferrari.
Note. L'expression « Tata ou Ferrari » est d’Andrew Sheng (Université de Malaya, Kuala Lumpur).
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