Le feuilleton de la monnaie chinoise edit
La Chine est-elle sur le point d’assouplir sa politique de change ? Depuis l’été 2008, la banque centrale chinoise a maintenu la valeur du yuan par rapport au dollar américain. Cela lui a valu de vertes critiques allant crescendo de la part du Congrès américain et de plusieurs économistes.
Les critiques soulignent que la Chine maintient la valeur de sa monnaie à un niveau artificiellement faible, ce qui a pour conséquence de creuser l’excédent de la balance commerciale chinoise par rapport aux Etats-Unis qui s’en passeraient bien en ces temps de crise. L’analyse économique indique qu’un pays en forte croissance comme la Chine devrait voir sa monnaie prendre de la valeur par rapport à celles des pays à la croissance plus modérée. La politique chinoise de garder le taux de change fixe au lieu de laisser le yuan s’apprécier par rapport au dollar contrecarre cet ajustement.
Concrètement la banque centrale chinoise laisse le taux de change yuan – dollar fluctuer dans une étroite fourchette de 0.5 % autour d’un niveau cible. Comme la forte croissance chinoise a tendance à renforcer le yuan, la banque centrale chinoise stabilise le taux de change en augmentant l’offre de yuan afin d’empêcher son prix en dollar d’augmenter. La banque centrale vend les yuans qu’elle émet et achète du dollar en échange, ce qui conduit à une accumulation substantielle de titres en dollar sur son bilan, principalement sous la forme de bons du trésor à faible rendement.
Le 20 juin les autorités chinoises ont annoncé qu’elles allaient assouplir leur position et laisser le taux de change fluctuer plus librement. Sommes-nous dès lors à un tournant ? En fait, pas vraiment. Tout d’abord, il y a loin de la coupe aux lèvres. En outre, l’impact sur le déficit commercial américain restera sans doute limité.
L’annonce de flexibilisation du taux de change par Beijing n’a en fait pas vraiment été mise en pratique. Les autorités chinoises ont tout d’abord laissé le yuan s’apprécier un petit peu en début de semaine. Elles ont ensuite rebroussé chemin, avant de finalement laisser la monnaie s’apprécier d’un modeste 0.5 % en fin de semaine. En fait, l’annonce apparait plutôt symbolique et visait à réduire les pressions sur la Chine avant la rencontre du G20 à Toronto. Force est d’admettre que cela n’a pas fonctionné au mieux, les interventions ambigües des autorités chinoises sur le marché durant la semaine ne montrant pas un véritable changement par rapport au passé. Les marchés ne tablent pas sur un ajustement massif, et anticipent un renforcement très modéré de la devise chinoise, de l’ordre de 2% sur une année.
Cela dit, même si la Chine laissait le yuan s’apprécier, il est peu probable que cela aurait un effet marqué sur sa balance commerciale. Théoriquement le lien entre le taux de change et le commerce fonctionne comme suit : si la Chine laisse le yuan s’apprécier, le prix que les consommateurs américains paient – en dollar – pour les biens chinois va augmenter, ce qui conduira les consommateurs à acheter plutôt des biens américains, réduisant alors le déficit commercial. En pratique toutefois, ce mécanisme ne va pas opérer sur une grande ampleur. Tout d’abord, les exportateurs chinois peuvent choisir de laisser le prix en dollar inchangé et absorber la force du yuan en réduisant leurs marges de profits, ou en accroissant leur productivité. Plusieurs études ont montré que les prix des biens importés aux Etats-Unis sont très peu sensibles aux mouvements du taux de change.
Ensuite, même si le prix des biens chinois augmente aux Etats-Unis, il n’existe pas d’alternatives locales. Prenons par exemple des biens comme les textiles bon marché ou les jouets. Ces produits ne sont essentiellement plus fabriqués aux Etats-Unis. Le consommateur n’a dès lors pas vraiment d’autre option que de les acheter à l’étranger. L’appréciation du yuan ne réduira donc pas le déficit. Elle pourrait tout au plus en changer la composition géographique, si par exemple les américains décident d’acheter plus de textiles mexicains et moins de textile chinois. Cette combinaison d’une transmission faible du taux de changes aux prix et d’un manque d’alternatives locales implique qu’un renforcement du yuan ne va pas réduire le déficit commercial de manière substantielle. L’expérience pratique supporte cette conclusion. Entre 2004 et 2008 la Chine avait laissé le yuan s’apprécier suite à des pressions américaines. Le mouvement fut substantiel avec un gain de 20% par rapport au dollar. Le déficit commercial, loin de se réduire, est en fait allé s’accroissant car l’économie américaine était en pleine croissance.
Dans ce cas, peut-on conclure que fixer le taux de change est une politique sans conséquence d’un point de vue économique ? Il n’en est rien : la Chine aurait en fait tout à gagner à un taux de change flexible, mais cela n’a rien à voir avec la balance commerciale. Comme indiqué plus haut, la banque centrale chinoise stabilise le taux de change en créant des yuans. Il s’agit d’une politique monétaire expansionniste, surtout depuis que la réserve fédérale garde le taux d’intérêt fermement à zéro. Cette politique monétaire est justifiée aux Etats-Unis où la croissance est fragile, mais n’est pas du tout appropriée à un pays comme la Chine où la croissance est forte. La Chine court alors un risque inflationniste. Pour l’instant les prix des biens et service restent sous contrôle, mais on observe une flambée des prix des actifs comme l’immobilier. Les récentes grèves montrent également l’émergence des pressions à la hausse sur les salaires.
La situation conjoncturelle chinoise nécessite une politique monétaire moins expansionniste que celle des Etats-Unis. Un pays peut soit maintenir un taux de change fixe, soit avoir une politique monétaire en phase avec sa propre conjoncture, mais pas les deux (à moins de maintenir des contrôles draconiens sur les flux de capitaux internationaux, mais ceux-ci s’effritent). L’intérêt de la Chine est donc d’utiliser sa politique monétaire pour répondre à sa propre conjoncture, comme le font les banques centrales de tous les grands pays. Si une politique de taux de change fixe peut se justifier pour de petits pays fortement intégrés dans l’économie mondiale, ce n’est pas le cas pour les géants économiques. Pour couronner le tout, le maintien du taux de change oblige la Chine a accumuler des bons du trésor américain qui ne lui donnent qu’un rendement minime et l’exposent à une grosse perte de valeur une fois que le yuan commencera à se renforcer.
Qu’attendre des semaines et mois à venir ? Le yuan ira sans doute s’appréciant, mais modérément. Le déficit commercial américain ne se résorbera pas, ce qui conduira à des pressions protectionnistes au Congrès. À plus long terme, la Chine optera sans doute pour fixer sa politique monétaire en fonction de ses propres conditions.
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