Pourquoi les médias ne s'intéressent plus aux altermondialistes edit
Les militants altermondialistes se plaignent assez fréquemment de la façon dont leurs mobilisations et leurs rassemblements sont présentés dans la presse. Est-ce parce que les altermondialistes n'ont rien plus rien à dire ou parce que les médias se sont lassés ?
En réalité altermondialistes et médias inscrivent leurs actions dans deux logiques différentes : elles ont pu s'entrecroiser à un moment donné, mais dans les faits elles sont de moins en moins compatibles.
Les altermondialistes cherchent à attirer l'attention de l'opinion publique, notamment via les médias. Ils s'efforcent dans leurs actions de prendre l'opinion à témoin d'une part en dénonçant un scandale qui serait lié aux conséquences d'un processus, d'une politique ou de l'activité d'une entreprise ou d'une organisation internationale et d'autre part en proposant éventuellement des solutions pour y remédier. Ils visent donc à influencer les perceptions que peut avoir l'opinion et à peser ainsi sur l'agenda international.
Dans un premier temps, les altermondialistes se sont plus particulièrement exprimés par l'organisation de contre-sommets et de manifestations lors de sommets officiels. Depuis 2001-2002, ils privilégient leurs propres rassemblements, au premier rang desquels le Forum social mondial. La logique médiatique, quant à elle, consiste à couvrir un événement à partir du moment où il est nouveau ou a-normal et où il est susceptible d'intéresser le lecteur ou le téléspectateur moyen. Les médias se montrent ainsi particulièrement attirés par les faits violents qu'ils tendent généralement à sur-représenter. Ils sont également très sensibles aux personnalités connues du grand public qu'ils transforment en figures médiatiques, à l'exemple de José Bové pour l'altermondialisme.
Des manifestations de Seattle (OMC) fin 1999 à celles de Gênes (G8) en juillet 2001, les logiques altermondialiste et médiatique se sont entrecroisées. L'altermondialisme, alors appelé antimondialisation, constitue un sujet d'actualité important dans de nombreux pays car les actions de ces mouvements sont alors considérées comme attrayantes d'un point de vue médiatique. Le mouvement, qui émerge médiatiquement à Seattle, apparaît inédit. Certaines de ses composantes, comme Attac, sont également nouvelles. Des figures telles que José Bové s'imposent dans le « paysage médiatique ». Les modes d'action auxquels ont recours ces organisations sont originaux et, qui plus est, les mobilisations s'accompagnent souvent de violences. Gênes représente l'apogée de cet intérêt médiatique. Or, à partir des attentats du 11-Septembre, la violence devient intolérable aux yeux des gouvernements et de l'opinion. Si elle continue à susciter l'attrait des médias, elle apparaît désormais préjudiciable aux altermondialistes. Ceux-ci décident en conséquence de se concentrer sur les forums sociaux. Ils n'ont cependant pas mesuré qu'à la différence notable des grandes manifestations colorées qui s'accompagnent de débordements violents et une fois l'effet nouveauté passé, la valeur journalistique des forums sociaux apparaît bien moindre. Logiques altermondialiste et médiatique tendent donc progressivement à se distinguer. Les altermondialistes, habitués à ce que leurs mobilisations fassent l'objet d'un important traitement médiatique dans certains pays, sont surpris par ce désintérêt progressif, tandis que les journalistes, eux, considèrent qu'il ne se passe plus grand chose en la matière et parlent alors d'essoufflement.
Les médias ont certes souvent prêté une certaine attention aux premiers forums sociaux en raison de leur nouveauté, tout comme au « match » annuel Davos-Porto Alegre en comptant les points entre les deux événements. Mais ils se sont malgré tout assez rapidement lassés. A leurs yeux, depuis 2004, il ne se passe rien de fondamentalement nouveau dans les forums sociaux.
Les nouveautés réelles, mais trop spécifiques de leur point de vue, telles que l'auto-organisation de l'ensemble des activités et le mur des propositions en 2005, les trois forums polycentriques en 2006, le premier FSM organisé en Afrique en 2007, ne les intéressent pas vraiment. Les sujets qui y sont abordés apparaissent souvent complexes (brevetage du vivant, biopiraterie, taxes internationales, dette, etc.) et éloignés des préoccupations quotidiennes des lecteurs ou des téléspectateurs. Enfin, il paraît assez difficile pour les journalistes de couvrir un FSM et de lui donner une tonalité générale (réussite, échec, déception, etc.). Ils ne peuvent suivre les milliers de conférences, séminaires ou groupes de travail qui y sont organisés. Par ailleurs, il n'existe pas une organisation du FSM susceptible de faciliter leur travail, que ce soit un porte-parole officiel faisant une conférence de presse quotidienne et/ou en fin de forum, ou encore un communiqué final ou une motion de synthèse des propositions des participants, l'appel de l'Assemblée des mouvements sociaux ne jouant en aucun cas ce rôle.
Tout cela explique l'intérêt global déclinant des principaux médias vis-à-vis des forums et corrélativement l'accent qu'ils peuvent mettre sur ce qui apparaît anormal en leur sein ou bien sur les grandes figures médiatiques. Ainsi, en 2002, l'intérêt des médias pour le FSM de Porto Alegre porte principalement sur la présence de trois candidats à l'élection présidentielle (O. Besancenot, JP. Chevènement, N. Mamère) et de six ministres envoyés par le gouvernement Jospin. En 2003, les médias se sont plus particulièrement intéressés à la présence controversée du théologien musulman Tariq Ramadan au FSE organisé dans la région parisienne. L'aspect le plus caricatural de ce point de vue a été la façon dont la presse indienne a couvert le FSM de Mumbai en 2004. Largement indifférente vis-à-vis de l'événement dans un premier temps, elle s'y est ensuite intéressée en couvrant une affaire de viol qui aurait été perpétré dans le cadre du forum. Les médias ont aussi prêté une certaine attention aux forums sociaux en suivant diverses figures médiatiques, loin d'être toujours altermondialistes d'ailleurs, que ce soient des ministres et des hommes politiques français, des chefs d'État étrangers – les présidents Lula du Brésil et Hugo Chavez du Venezuela – ou encore des personnalités éminentes, telles que Joseph Stiglitz à Mumbai.
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