Italie : la question énergétique edit
La fusion Suez-Gaz de France a été envisagée au nom du patriotisme économique pour contrer les ambitions de l'italien Enel. Mais celui-ci est-il un champion du libéralisme ? Un rapide tour d'horizon des marchés de l’énergie dans la péninsule révèle au contraire la persistance de pratiques monopolistiques et de rentes de position aussi bien dans le secteur de l'électricité que dans celui du gaz. Le prix de l'électricité est en effet l’un des plus élevés d'Europe, et en ce qui concerne le gaz nous avons traversé un hiver à risque, grâce au monopole national qui bloque le développement des infrastructures. L'Italie ne peut se permettre une telle situation ; mais le récent projet de loi du ministre Bersani ne dessine que de vagues orientations aux allures de chèque en blanc, faute de préciser ses ambitions. Qu'est-ce qui servirait le mieux le pays ?
La première urgence est dans le secteur du gaz, non seulement pour les difficultés d'approvisionnement, mais parce que c’est aujourd’hui en Italie la principale façon de fabriquer de l’électricité. Peu de concurrence sur le marché du gaz, cela signifie peu de concurrence sur celui de l’électricité, et donc des coûts élevé pour les entreprises. Entendons-nous bien : la concurrence est un moyen, pas une fin en soi. Son enjeu, ici, n’est pas tant d’abaisser les prix que d’augmenter la sécurité du pays, en réduisant sa dépendance et en augmentant sa compétitivité. C’est dans cette optique que la libéralisation du secteur serait une excellente nouvelle pour tous. Mais cela demande des interventions courageuses.
Par exemple, l’une des principales raisons de la carence d'offre de gaz en Italie est la position de SNAM Réseau Gaz. Cette entreprise appartient au groupe Eni, propriétaire et gérant du réseau, qui non seulement décide seul de la quantité de gaz qu’on peut importer, mais aussi possède le pouvoir de décider si le gaz d'autres opérateurs peut passer à travers le réseau.
Il n’est pas très difficile de comprendre à quel point sont liées la sûreté des approvisionnements et l’existence d’une vraie concurrence (c’est-à-dire la possibilité d'avoir des prix bas). En augmentant les capacités d'importation, Eni accroîtrait la sûreté du pays ; mais les lois antitrust ayant installé des plafonds qui empêcheraient l’entreprise d’investir ces nouveaux marchés, elle serait alors obligée de faire une place à des concurrents. Par ailleurs, si une entreprise souhaite construire des installations de « regazéification » qui permettraient d'augmenter les importations de méthane liquide, il lui faut évidemment une garantie de pouvoir le proposer à ses clients ; sans l'assentiment de celui qui gère le réseau, qui s’y risquerait? Il faut savoir que ces dernières années, Eni a systématiquement et sous les prétextes les plus divers éludé les demandes d’augmentation des importations. De la même manière, différents projets de construction de regazificateurs ont été bloqués. On le comprend sans peine, puisque le réseau est contrôlé par l’entreprise qui aurait le plus à perdre de ces installations.
Nous avons donc une entreprise à laquelle a été donné un rôle central dans le système énergétique du pays, et qui sur ce front (pas sur tous, heureusement !) oeuvre contre le pays. Le fait que cette entreprise soit contrôlée par l’Etat renforce encore cette logique, car les bénéfices d'Eni sont source de profit pour le Trésor. Tant et si bien qu’une partie du secteur public joue ici contre les intérêts du pays.
Un premier remède pourrait être de changer les manager et administrateurs de l'entreprise, mais il serait beaucoup plus efficace d'imposer à Eni de céder son pouvoir sur le réseau; non pas en partie, mais en totalité. Car seule une totale indépendance du réseau peut donner des garanties à cet égard.
Le cas du secteur électrique est un peu différent, notamment parce que d’ici quelques années (mais ce n’est pas non plus pour demain…), la mise en service de différentes centrales aujourd’hui en construction devrait augmenter substantiellement l’offre, et – on l’espère – réduire les prix. Mais ceux-ci sont et resteront élevé.
Une des raisons en est la présence d'engorgements dans le réseau. En d'autres termes, loin d'avoir un marché unique national achevé où l'énergie produite au Nord pourrait librement parvenir dans le Sud, nous avons aujourd'hui des étranglements qui limitent la quantité d'énergie susceptible de passer. Résultat, dans certaines zones du Sud, la demande est supérieure à l’offre et les prix restent plus élevés qu’ils ne devraient ; cependant qu'au Nord certaines centrales ne produisent pas tout ce qu’elles pourraient, parce que le réseau n'est pas capable de faire parvenir toute l'énergie produite aux clients finaux. Notons au passage que cette distorsion a des effets sur le prix moyen de l'énergie électrique de tout le pays, Nord inclus.
Pour y remédier, il faudrait développer et améliorer le réseau, en augmentant notamment la puissance des relais. Malheureusement, depuis un an et grâce à une contre-réforme du précédent gouvernement, le réseau électrique est passé sous le contrôle d'Enel. Cette entreprise fera-t-elle les investissements qui seraient nécessaires pour faire baisser les prix de l'énergie électrique, c’est-à-dire pour réduire ses rentes de position? Les paris sont ouverts...
Ici encore, la séparation du gestionnaire de réseau et des distributeurs serait essentielle. Je ne confierais pas le développement d'une infrastructure à la seule entreprise qui pourrait y perdre...
Mais ces mesures se heurtent à une objection évidente. Les réseaux sont la propriété d’entreprises (Eni et Enel) qui sont elles-mêmes à hauteur de 70% entre les mains d'investisseurs privés. Mais par ailleurs, comme les réseaux ont une valeur et un rendement déterminés par le régulateur et donc pratiquement certains, on trouverait sans difficulté des investisseurs prêts à les acquérir au prix du marché. Il ne me semble pas que la vente serait un drame...
Même s’il est généralement préférable d’éviter des interventions structurelles sur des entreprises privées, il est encore plus préférable d’éviter que ces entreprises privées n'exploitent leur position pour imposer au pays des prix trop élevés, voire des difficulté d'approvisionnement. Quand les entreprises ont un comportement irresponsable sur un sujet intéressant directement l’intérêt général, une intervention sur leur structure est l'unique remède.
Nous ne savons pas ce que veut faire le gouvernement, mais le système actuel demande à être changé. Et sans interventions structurelles, ces changements seraient voués à l’échec.
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