Vers un infléchissement de la politique étrangère chinoise en Asie? edit
Les dernières semaines en Asie de l’Est et du Sud-Est ont été marquées par plusieurs évènements importants qui semblent constituer les éléments d’un infléchissement de la politique étrangère chinoise, même si de nombreuses menaces subsistent, notamment en mer de Chine du Sud. Les trois évènements qui ont particulièrement retenu l’attention des observateurs de la politique asiatique sont : d’abord, la rencontre trilatérale entre la présidente sud-coréenne Park Geun-hye, le chef du gouvernement chinois Li Keqiang et le Premier ministre japonais Shinzo Abe, à Séoul, en Corée du Sud ; ensuite, la visite du président Xi Jiping à Hanoi pour rencontrer les dirigeants vietnamiens et tenter de régler les différends entre les deux pays à propos des îlots de la mer de Chine du Sud, et de l’adhésion du Vietnam au Partenariat Trans-Pacifique proposé par les Américains ; enfin, la rencontre historique entre le président chinois Xi Jinping et le président taïwanais Ma Ying-jeou pour améliorer les relations entre les deux pays.
La rencontre de Séoul du 1er novembre 2015 renouait avec une tradition qui avait été interrompue à la suite de la visite, fin 2013, du nouveau Premier ministre japonais Shinzo Abe au sanctuaire Yasukuni à Tokyo, considéré, en Corée du Sud et en Chine, comme le symbole du militarisme japonais. Elle marquait ainsi le rétablissement d’un sommet trilatéral avec des discussions apparaissant comme un remède aux rivalités régionales qui ont progressé ces dernières années et aux conflits sur des divergences historiques entre ces pays. Le sommet n’a pas permis de trouver une solution aux contentieux territoriaux et historiques. Mais les discussions ont permis d’avancer sur certains points. Le Japon et la Chine ont décidé de créer une ligne directe entre les armées des deux pays pour éviter le risque d’escalade en mer de Chine de l’Est, où les deux pays sont en conflit à propos de la souveraineté sur les îlots Senkaku/Diaoyu. Le sommet trilatéral a examiné un ensemble de questions (du commerce à l’investissement jusqu’à l’environnement, la gestion des désastres et la sécurité nucléaire) où les trois pays sont en train de travailler ensemble. Le dialogue économique de haut niveau entre la Chine et le Japon a été relancé. Les trois pays qui constituent 20% du PIB mondial ont également décidé de travailler sur un projet d’accord de libre-échange.
La visite du président chinois Xi Jinping à Hanoi, les 5 et 6 novembre 2015, à l’invitation du président vietnamien Truong Tan Sang et du secrétaire général du Parti Communiste Vietnamien Nguyen Phu Trong constituait aussi un évènement important, en raison du contentieux territorial entre la Chine et le Vietnam à propos des eaux disputées des îles Paracels et Spratleys mais aussi en raison de l’adhésion du Vietnam au Partenariat Trans-Pacifique projeté par les Américains. Mais, à un moment où la Chine est en train de construire des iles artificielles dans la mer de Chine du Sud, alors que les Etats-Unis ont commencé à envoyer des patrouilles en mer de Chine du Sud, le conflit territorial était un des principaux éléments de la discussion entre les deux pays. Les relations se sont détériorées durant ces dernières années lorsque la Chine est devenue plus agressive en affirmant son contrôle sur ces îles. En mai 2014, la CNOOC, une compagnie pétrolière chinoise, a déployé une plate-forme de forage dans cette zone, sans aucune concertation préalable avec le Vietnam. A la suite de cette installation, de violentes émeutes ont eu lieu dans de nombreuses villes vietnamiennes contre tout ce qui pouvait ressembler à des entreprises chinoises. Tandis que la Chine retirait la plate-forme pétrolière après deux mois, la crise diplomatique a fait beaucoup pour saper la confiance entre les deux gouvernements. Aussi Xi Jinping est arrivé à Hanoi avec une mission presque impossible : rétablir de bonnes relations avec le Vietnam, réparer les liens et détourner l’attention vietnamienne du conflit territorial pour concentrer l’attention sur des opportunités de coopération économique entre deux pays socialistes dirigés par des partis communistes.
Mais l’événement le plus spectaculaire de ces dernières semaines a été la rencontre entre le président chinois Xi Jinping et le président taïwanais Ma Ying-jeou. Cette rencontre qui s’est déroulée en terrain neutre à Singapour le 7 novembre 2015, a été qualifiée d’ « historique », car c’était la première réunion entre les présidents des deux pays depuis la proclamation de la République Populaire de Chine en 1949. Le moment de la réunion est intéressant. Ma Ying-jeou est devenu un président impopulaire. Son parti, le Kuomintang (KMT), est donné comme battu aux prochaines élections présidentielles et législatives de janvier 2016. Beaucoup voient dans la décision de Ma Ying-jeou de rencontrer Xi comme une tentative de sauver son parti..
Mais la décision de Ma Ying-jeou de rencontrer Xi Jinping a engendré une forte hostilité à Taïwan. Les attitudes publiques de la population taïwanaise sont généralement défavorables à toute idée qu’un tel contact se fasse au prix d’un renoncement au modèle taïwanais de démocratie libérale. C’est un point non-négociable pour beaucoup de Taïwanais, notamment le parti d’opposition, le Democratic Progress Party (DPP). Xi Jinping a beau déclarer que rien ne peut séparer Taïwan et la Chine et que ces deux pays forment une seule famille, la réalité est qu’une telle opposition existe et qu’elle est bien vivante : elle est basée sur l’idée de démocratie. Ma Ying-jeou a travaillé durant sa présidence à améliorer les relations des deux côtés du détroit de Taïwan et a permis la désescalade des tensions entre la Chine et Taïwan. Mais il n’a pas été capable de convaincre l’électorat des bienfaits de sa politique de rapprochement avec la Chine. Quant à la position de Pékin sur Taïwan, elle n’a pas changé. Elle ne reconnaît pas l’existence de Taïwan et reste pleinement attachée à l’annexion de l’île. Elle continue de la considérer comme une province renégate et a passé en 2005 une loi anti-sécession qui autorise le recours à la force pour la récupérer.
C’est probablement la peur de Pékin que Taïwan s’éloigne de la référence à l’existence d’une seule Chine qui a finalement conduit la Chine à accepter la rencontre. Certains observateurs considèrent que la participation du gouvernement chinois à la réunion peut être comprise dans le contexte de sa nécessité de préparer le travail avec un nouveau gouvernement dirigé par le DPP, probable vainqueur des élections présidentielles et législatives de janvier 2016. Pékin craint le développement de l’identité taïwanaise séparatiste. Car la Chine n’a pas fondamentalement changé son comportement national ou international. Elle conserve un comportement autoritaire, à l’intérieur et à l’extérieur.
Mais il semble y avoir une évidence de complexité, même de subtilité et de flexibilité, dans le comportement et les attitudes du gouvernement chinois. Quelles sont les raisons qui expliquent le comportement paradoxal du gouvernement chinois ? La dimension internationale de tous ces évènements est particulièrement importante. Depuis deux ans, la Chine est en train de suivre une politique autoritaire dans les mers de Chine du Sud et de l’Est. De nombreux pays asiatiques ont manifesté de l’inquiétude et se sont tournés vers les Etats-Unis, renforçant la stratégie du pivot vers l’Asie de l’administration Obama. Les Etats-Unis soumettent la Chine à une forte pression à propos de ses ambitions territoriales dans la mer de Chine du Sud. Ils ont envoyé en octobre 2015 le destroyer USS Lassen croiser dans les 12 milles nautiques du récif de Subi, au nom de la liberté de navigation. Ils ont également poussé à la signature du Partenariat Trans-Pacifique, un accord commercial qui exclut la Chine. De plus, les protestations pour la démocratie à Hong Kong en 2014 ont augmenté la perspective de voir la politique d’une seule Chine susceptible d’être défiée simultanément à Hong Kong et à Taïwan. Tout ceci intervient aussi à un moment où l’économie chinoise connaît un fort ralentissement, où les marchés boursiers connaissent des soubresauts et où l’élite communiste est fortement déstabilisée par la campagne de Xi Jinping contre la corruption. La Chine n’a donc pas besoin d’une nouvelle crise. Elle semble donc adopter une tactique plus subtile. Elle a lancé une offensive de charme dans la zone, afin de rassurer les pays voisins inquiets et elle cherche à afficher l’image d’une grande puissance conciliante. Pour contrecarrer les pressions américaines, Xi Jinping a lancé plusieurs opérations visant le développement des relations économiques et commerciales avec les pays voisins de l’Asie du Sud-Est et de l’Asie Centrale. Il a essayé de réduire la tension avec le Vietnam. L’ouverture envers Taïwan peut aussi être vue comme un élément de cette stratégie d’infléchissement. Le sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) tenu à Manille, les 18 et 19 novembre 2015, a soigneusement évité de prendre position sur le sujet brûlant des contentieux territoriaux, à la demande expresse de la Chine. Il a été également écarté du projet de communiqué final de la réunion du 27e sommet de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations), qui s’est tenu à Kuala Lumpur, le 21 novembre 2015. Le risque de confrontation subsiste, mais il semble quelque peu atténué après tous ces rencontres ou sommets.
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