La RSE à la chinoise edit
La Chine est devenue l'un des pays où l'on parle le plus de responsabilité sociale des entreprises. Mais à la différence des pays industrialisés, cette exigence est portée non par la pression de la société mais par l'Etat. Cela pose de sérieuses questions aux promoteurs internationaux de la RSE.
Les multinationales engagées en Chine sont depuis longtemps la cible de pressions de la société civile occidentale. Ces critiques reçoivent aujourd’hui un soutien inattendu des dirigeants chinois. Des alliances se nouent entre le mouvement international de défense des droits du travail et les forces « pro-ouvrières » en Chine, tandis que Pékin autorise Greenpeace à lancer des campagnes anti-multinationales sur son territoire.
Pour les décideurs chinois, la responsabilité sociale est une déclinaison de la priorité désormais accordée à la construction d´une « société harmonieuse » par une croissance plus respectueuse des équilibres sociaux, environnementaux et géographiques. Après 25 ans de laisser-faire, l´Etat multiplie les signes de sa volonté de reprendre le contrôle sur les firmes. Le secteur productif ne peut plus se contenter de constituer le moteur du progrès économique à n´importe quel prix : l´entreprise se doit désormais d´être propre et respectueuse des lois. Plus largement, les autorités affirment depuis 2005 en effet vouloir mettre l´entreprise, qu´elle soit chinoise ou multinationale, au service de l´intérêt général, c´est-à-dire du Parti-Etat. Dans le mouvement général de redéfinition du rôle de l´Etat en Chine se profile ainsi l´image de l´entreprise conçue comme un acteur légitime du champ social et politique… mais un acteur sommé de soutenir les priorités de l´Etat et de compléter son travail.
Du coup, les normes éthiques et les codes de bonne conduite imposés par les entreprises étrangères à leurs fournisseurs chinois ne sont plus accusés d´être le nouveau cheval de Troie de l´Occident venu saper les bases de la compétitivité chinoise. Les autorités ont compris l´intérêt de façonner leurs propres normes, en s’inspirant des standards internationaux tout en maintenant une spécificité.
L´efficacité reste le critère déterminant : une entreprise responsable est une entreprise performante et bâtie pour durer. Des études confirment d’ailleurs que c´est la mauvaise efficacité organisationelle des entreprises chinoises qui explique leur recours généralisé aux heures supplémentaires ou aux mesures disciplinaires. Pour rester performantes et réussir leur internationalisation, les firmes chinoises sont donc priées d´adopter le style de gestion des entreprises des grands pays industrialisés, et notamment son aspect « responsable ». Une meilleure image en termes de transparence et de bonne gouvernance faciliterait la tâche d’entreprises en quête de respectabilité sur la scène internationale.
Mais d’autres enjeux apparaissent, comme la pacification des relations sociales, une des préoccupations majeures d’un Parti communiste chinois inquiet de la multiplication et du durcissement des mouvements sociaux, qui sont pour une large part le fait des ouvriers, et plus particulièrement des migrants internes, victimes d´abus de la part de leurs employeurs. Les statistiques des accidents dans les mines chinoises témoignent du tragique coût humain d’une corruption qui est source de troubles sociaux et peut constituer à terme une menace pour la croissance. Le coût économique, social et sanitaire de la dégradation de l´environnement est pointé lui aussi.
Les entreprises locales, qui sont au cœur des enjeux de l´urgence sociale et environnementale auxquels la Chine fait face aujourd´hui, font office de coupables désignés. Mais l´engouement chinois pour la RSE a aussi des conséquences pour les investisseurs étrangers. De plus en plus, il leur faut fournir la preuve que leurs investissements contribuent au développement économique du pays tout en minimisant les conséquences négatives de leurs activités sur l´environnement, la santé, les conditions de travail, la concurrence, etc. Les entreprises étrangères sont plus que jamais sous surveillance, comme en témoignent les scandales à répétition et largement médiatisés qui ont entaché la réputation de grandes marques occidentales en Chine. De plus en plus, elles sont même sommées d´aller au delà de la gestion des risques et de contribuer activement au développement durable du pays, par exemple en important les « facteurs incorporels » que sont l´aide au développement des entreprises locales. Pour améliorer son efficacité énergétique et freiner les dégâts de la croissance sur son environnement, la Chine mise aussi sur les sauts technologiques que lui procurent les collaborations avec des partenaires étrangers privés. La demande de transferts de technologies propres est une pratique déjà bien établie et devrait encore s´accentuer avec le développement souhaité de l´utilisation du mécanisme de développement propre (MDP) prévu par le protocole de Kyoto.
Pour le gouvernement central, la RSE est fondamentalement une question d´application de la loi. Il s´agit d´un défi majeur dans un pays où les lois sociales et environnementales offrent des niveaux de protection comparables et parfois même supérieurs à ceux de certains pays de l´OCDE. Plus question pour les dirigeants d´entreprises de négliger le paiement des salaires, d´abuser des heures supplémentaires ou d´économiser sur les mesures de sécurité ou de protection de l´environnement.
En février 2007, Cheng Siwei, vice-président du Comité permanent de l'Assemblée Populaire, menaçait ainsi de sanctions légales les entreprises (chinoises et étrangères) « qui recherchent aveuglément le profit et négligent leurs responsabilités vis à vis de la société ». Les pouvoirs publics chinois commencent à développer un éventail d´outils contraignants pour inciter les entreprises dans la voie du développement durable. Une série de lois plus protectrices des droits des travailleurs est déjà en discussion, au grand dam des investisseurs occidentaux. Dans le domaine environnemental, la Chine rattrape rapidement les normes internationales. De nouvelles règles ont été édictées, conditionnant l´accès au crédit aux performances environnementales des entreprises.
Mais un élément-clé de la stratégie chinoise passe par le syndicat unique, chargé de renforcer l´image d´un Etat protecteur des droits des groupes désavantagés. Le syndicat doit s´imposer dans tous les secteurs dont il est jusqu´à présent largement absent : entreprises étrangères, secteur privé, syndicalisation des migrants.
La réappropriation du thème de la RSE par les autorités chinoises a des enjeux majeurs. Mais la remarquable malléabilité de cette idée conduit à mettre en doute sa capacité à influencer l´évolution de la société chinoise vers plus de démocratie, puisque les règles et les normes restent imposées par la force et non par la volonté collective. Des exemples récents de comportement d´entreprises considérées comme socialement « responsables » aux yeux de la Chine, tel Yahoo! livrant les informations conduisant à l´emprisonnement d´un journaliste ou Google s´autocensurant, sont à l´opposé de la définition de la RSE telle qu´elle prévaut en Occident. L´échec des campagnes de la société civile internationale contre les entreprises impliquées dans les projets hautement controversés du barrage des Trois Gorges ou de la ligne de chemin de fer pour Lhasa rappellent les limites du pouvoir d´influence des ONG quand elles s´opposent directement aux priorités de l´Etat.
Enfin, la RSE suppose la prise en compte des parties prenantes de l´entreprise, un thème notablement absent du discours officiel. Rien de bien surprenant dans un pays où la liberté d´association et d´expression des parties prenantes de l´entreprise, au premier rang desquelles celle des ouvriers et des paysans, est strictement limitée. En ce sens, l´instrumentalisation de la RSE serait, pour reprendre les mots de Jean-François Huchet, « une façon pour la Chine d´échapper aux innovations institutionnelles » que recouvre la reconnaissance de la liberté syndicale.
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