Pour les salariés le pouvoir d'achat stagne edit
Les chiffres officiels de l'INSEE rapportent régulièrement que le pouvoir d'achat augmente de façon assez continue en France de près de 2% par an. En même temps, les autorités politiques, tout comme les médias ou les enquêtes d'opinion, font état d'un sentiment croissant de perte de pouvoir d'achat chez les ménages français. Pourquoi un tel écart entre chiffres et ressenti ?
Formellement, le pouvoir d'achat est la quantité d'unités de biens et services que permet d'acheter le revenu. En pratique, c'est surtout le taux de croissance du pouvoir d'achat que l'on mesure : un ménage peut-il se permettre d'accroître sa consommation avec le taux de croissance de ses revenus, autrement dit, ses revenus augmentent-ils plus vite que l'inflation ? Le débat français s'est pour une large part concentré sur la question de mesure de l'inflation, afin de tenir compte des différents profils de consommation en fonction des revenus : plus le budget d'un ménage est restreint, plus les dépenses consacrées au logement et coûts associés, au transport, à l'alimentation sont importantes, jusqu'à représenter près de la moitié du budget d'un ménage percevant un revenu " moyen ".
Les différentes études sur l'inflation ont également montré que ces prix avaient augmenté plus rapidement que l'indice des prix général. D'où l'idée de calculer des indices de prix à la consommation " par niveau de revenu ", qui représenteraient mieux l'inflation perçue par chaque type de ménage. En réalité, ne changer que l'indice des prix sans changer la définition du revenu utilisé, ne donne pas de grosses différences sur le taux de croissance du pouvoir d'achat : c'est que l'indice des prix pour les ménages les plus pauvres a augmenté en cumulé de 14,8% entre 1998 et 2006, alors que celui des revenus les plus élevés a augmenté de 12,9% sur la période.
Si les différences d'inflation ne peuvent suffire à expliquer le différentiel entre pouvoir d'achat mesuré et ressenti, c'est donc que la mesure du revenu utilisée doit jouer un rôle. Classiquement, l'INSEE utilise le revenu disponible brut pour mesurer la progression du pouvoir d'achat. Cependant, cette mesure du revenu est définie avant impôts, comprend les cotisations sociales, et agrège salaires, transferts sociaux et revenus des entrepreneurs individuels. Par exemple, les salaires ne représentent que 60% du revenu disponible brut, les transferts sociaux reçus (y compris les pensions) comptant pour environ 30%. Si l'on décompose le taux de croissance du revenu disponible brut pour identifier les composantes qui y contribuent le plus, il apparaît que la croissance du salaire brut est de moins en moins responsable de la progression du revenu disponible : alors que le taux de croissance du salaire comptait pour environ 90% du taux de croissance du revenu en 1998, il ne rend compte aujourd'hui (en 2006, dernières données disponibles sur l'année entière) que de 55% de l'évolution du revenu disponible brut.
C'est en fait le revenu des entrepreneurs individuels dont la croissance a été régulière depuis les années 1990 et qui a soutenu la croissance du revenu disponible brut, pour y contribuer aujourd'hui à hauteur de 25%. La contribution des autres composantes, transferts sociaux et poids fiscal, est restée plutôt stable : les transferts sociaux, y compris les pensions, représentent une part quasi constante de la croissance du revenu disponible, 31,5%. Enfin, et en dépit des réformes successives, la part des impôts et contributions sociales grève toujours le revenu disponible à hauteur de 30%.
Au total, il semblerait bien que le sentiment de stagnation ou perte de pouvoir d'achat pourrait venir de l'évolution des salaires et des retraites, alors que le poids de la fiscalité ne s'allège pas. A titre d'illustration, la figure ci-dessous montre que le pouvoir d'achat des salaires a effectivement peu progressé par rapport à celui du revenu disponible. Le SMIC est une exception, grâce aux coups de pouce et à la mise en place des 35 heures, mais les dernières annonces politiques suggèrent que les coups de pouce ne seront pas renouvelés et donc l'évolution future du SMIC sera plus modeste, en ligne avec celle de l'ensemble des salaires.
Au total, la croissance du pouvoir d'achat mesurée par l'INSEE est principalement le fait de la croissance du revenu des entrepreneurs individuels. Le reste de la population a subi une quasi-stagnation de son pouvoir d'achat : les salariés, soit 50% de la population ne perçoivent peu ou pas d'amélioration de leur pouvoir d'achat : celui-ci augmente de moins de 1% par an depuis le milieu des années 1990. Les retraités, soit 25% de la population et dont le revenu se compose à 80% de leurs retraites, ont vu leur pouvoir d'achat n'augmenter que de moins de 1% par an. Dans ce contexte, il est peu surprenant que la population active déplore une croissance des salaires ou des retraites trop faible et sente son budget grevé par le poids de la fiscalité C'est donc vers des mesures permettant d'accroître les salaires et allégeant le poids de la fiscalité que l'on devrait s'orienter pour modifier la perception de l'évolution du pouvoir d'achat.
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