Balkans occidentaux: la pandémie va-t-elle conduire à la rupture avec l’UE? edit
Depuis la deuxième moitié des années 1990, le principal horizon de la politique étrangère des pays des Balkans Occidentaux (ex-Yougoslavie et Albanie) est l’intégration à l’Union européenne. Cette continuité a permis à ces pays de se rapprocher progressivement du bloc européen, comme le montrent l’adhésion de la Croatie à l’UE en juillet 2013, ainsi que l’ouverture des négociations d’adhésion avec le Monténégro en juin 2012, puis avec la Serbie en janvier 2014. Cependant, on observe ces dernières années une forme de prise de distance entre l’UE et les Balkans occidentaux. La première paraît plus intéressée par l’approfondissement que l’élargissement, comme l’a montré le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron en 2017. À l’inverse, les pays des Balkans non encore membres de l’UE tournent progressivement leur politique étrangère vers des acteurs extra-européens comme la Chine ou la Russie.
Une prise de distance initiée par l’Union européenne
Un des moments forts de cette prise de distance a été la décision de l’UE, prise sous pression de plusieurs États membres dont la France mi-octobre 2019, de repousser à une date indéterminée le début des négociations d’adhésion de la Macédoine du Nord et de l’Albanie. Ce blocage, voulu comme symbole de la suspension de l’élargissement européen, concernait également indirectement l’ensemble des pays des Balkans occidentaux ; ceux dont les négociations avaient déjà commencé (Serbie et Monténégro) et ceux qui désiraient les ouvrir (Bosnie-Herzégovine et Kosovo).
La dernière étape de cet éloignement a pris place au cœur de la tourmente provoquée en Europe par le Covid-19. Elle a pour origine le règlement européen du 14 mars qui limite l’exportation d’équipements médicaux européens dont les Balkans occidentaux sont fortement dépendants. Cette décision a conduit dès le lendemain le président serbe, Aleksandar Vučić, à dénoncer l’inexistence de solidarité européenne lors d’une prise de parole officielle. Pour ce dernier, cette solidarité ne serait qu’un « conte de fée », au contraire de celle démontrée par la Chine qui a décidé d’accorder une assistance médicale matérielle à la Serbie le même jour. Cette décision européenne a également conduit Milorad Dodik, le président serbe du collège présidentiel tripartite de Bosnie-Herzégovine, à exprimer une attitude similaire à celle de M. Vučić.
Cet apparent rejet est-il le signe d’une rupture définitive de la relation entre les pays des Balkans occidentaux et l’UE, relation déjà fragilisée par des années d’hésitation stratégique européenne ?
Des raisons d’espérer
En dépit d’une crainte en partie fondée de voir les pays des Balkans occidentaux s’éloigner de leur trajectoire européenne, plusieurs éléments conduisent à relativiser cette analyse rapide d’un divorce presque acté ente l’Union européenne et sa périphérie du Sud-Est.
Tout d’abord, l’implication des pays membres de l’UE dans la lutte sanitaire contre le Covid-19 dans les Balkans est apparue relativement réduite jusqu’à maintenant. Cette impression est sans doute amplifiée par l’importance du relai médiatique dont bénéficie l’assistance russe et chinoise à ces pays. La multiplication des communiqués issus des agences gouvernementales RT et Xinhua en est le meilleur exemple, comme lors de l’arrivée surmédiatisée de six médecins chinois en Serbie le 21 mars. La réponse européenne à cette offensive médiatique est en cours et devrait réduire la perception d’un abandon des pays balkaniques par le reste de l’Europe.
Ensuite, l’assistance européenne est indispensable aux pays des Balkans occidentaux pour deux raisons.
La première raison est sanitaire. En effet, les systèmes de santé publique des Balkans occidentaux, plus fragiles que dans le reste de l’Europe, sont sous la menace d’un submergement rapide par la pandémie actuelle de Covid-19. Ils ont donc un besoin crucial d’assistance externe que l’UE peut apporter en grande partie. Ce besoin a été apparemment pris en compte, puisque les autorités européennes ont gagé 411 millions d’euros en faveur des Balkans occidentaux le 25 mars, dont 38 millions d’euros ont été débloqués pour assister les systèmes de santé de ces six pays. De plus, la Serbie a bénéficié du déblocage de 94 millions d’euros, initialement destinés à préparer son adhésion à l’UE, pour lutter contre la pandémie.
La deuxième raison est politique et concerne la stabilité régionale, déjà précaire dans les Balkans. Cette stabilité est fragilisée par la pandémie de Covid-19, comme l’illustre la chute du gouvernement kosovar le 25 mars dernier en raison d’un différend sur la gestion de la crise sanitaire. Dans d’autres pays à la gouvernance particulièrement complexe, comme la Bosnie-Herzégovine caractérisée par sa présidence tripartite, les choix sanitaires des dirigeants renforceront la division politique et risquent de mener à des conflits ouverts. L’Europe a ici un rôle supplémentaire à jouer en aidant ces pays, par le conseil, l’assistance matérielle et l’inclusion dans les plans de gestion de crise, afin de les aider à surmonter cette crise et à ne pas se reposer sur des puissances extérieures aux intérêts parfois contraires à la stabilité de la région. Ce rôle, ni la Chine ni la Russie ne pourront faute de recueillir la quasi-unanimité dont la politique de rapprochement avec l’UE bénéficie toujours dans la plupart des classes politiques des Balkans occidentaux. Ainsi, en Bosnie-Herzégovine, la trajectoire d’intégration européenne est un des seuls sujets qui fait l’objet d’un accord de l’ensemble des partis comme en témoigne le rôle important confié à l’administration centrale via la Direction de l’intégration européenne.
Enfin, il ne faut pas négliger l’importance que revêt la présidence tournante du Conseil de l’UE, actuellement assurée par la Croatie. En effet, cette dernière a placé au cœur de son programme l’ambition européenne de ses voisins balkaniques, avec notamment l’organisation d’un sommet commun à Zagreb en mai 2020 dédié à ce sujet. L’UE, après le blocage d’octobre 2019, affiche désormais sa volonté de mettre ce sujet à son ordre du jour. Ainsi, le Conseil européen du 26 mars 2020 a acté l’ouverture prochaine des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie.
De nouveau, comme dans les années 1990, c’est dans l’adversité que se dessine le futur de la relation entre les Balkans occidentaux et l’UE. Sauf que, dans le cas présent, ce n’est plus une suite de conflits strictement régionaux qui menace, mais une pandémie globale. Et c’est la capacité de réponse commune de l’ensemble des Etats européens qui va déterminer son impact final sur la société et l’économie.
Tout comme pour l’Italie, l’Union européenne doit faire preuve d’ouverture d’esprit et de solidarité envers ces Etats européens voisins moins préparés à la pandémie de Covid-19. Face à la « diplomatie des masques » chinoise, un effort d’assistance doit être déployé, ainsi qu’un renforcement de la communication afin que les Balkans occidentaux ne cèdent pas aux sirènes de la propagande étrangère qui cherchent à les éloigner de l’Europe en la discréditant.
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