Présidentielles en Pologne: coup d’arrêt au populisme à l’Est? edit
L’élection présidentielle polonaise, initialement prévue pour le 10 mai et repoussée au 28 juin, revêt une importance particulière à double titre. D’abord, pour les Polonais, qui ont vécu cinq ans de domination politique du Parti Droit et Justice (PiS) dont est issu le président et candidat à sa réélection Andrzej Duda. Ensuite, pour l’Europe, en raison de l’euroscepticisme et du populisme affichés par ce parti qui l’inscrivent dans un contexte régional, celui du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Tchéquie), et européen, marqué par la popularité grandissante des partis populistes comme la Ligue italienne ou le Rassemblement national français.
Depuis sa victoire aux élections présidentielles et législatives de 2015, le PiS a enraciné en Pologne la ligne politique populiste et « illibérale » définie par la Hongrie de Viktor Orban à partir de 2010. Ainsi, le PiS s’en est pris à l’État de droit, notamment par ses tentatives répétées de réduction de l’indépendance du pouvoir judiciaire incarné par la Cour Suprême. Par la politisation croissante de la justice, ce parti a également réduit la liberté de la presse en multipliant les condamnations de journalistes pour diffamation. Cela a entraîné la chute du pays de la 18e place à la 62e du Classement mondial de la liberté de presse de Reporters sans frontières entre 2015 et 2020.[1] Ces diverses atteintes à l’État de droit ont par ailleurs valu à la Pologne plusieurs condamnations de la Cour de Justice de l’Union européenne et le lancement par la Commission européenne de la procédure dite d’article 7 du Traité sur l’Union européenne (UE), visant à sanctionner les manquements des pays membres aux règles de l’État de droit.
Un PiS en voie de radicalisation
Candidat initialement ultra-favori des élections présidentielles en début d’année avec des sondages allant jusqu’à lui annoncer une large réélection dès le premier tour,[2] le président Duda a vu son avance se réduire au fur-et-à-mesure que grandissait l’imbroglio suscité par l’organisation des élections par le gouvernement du PiS. Ce dernier a notamment entretenu la confusion sur la date de tenue du scrutin, initialement prévu le 10 mai par correspondance, puis repoussée à une date ultérieure indéfinie, avant d’être fixée au 28 juin. De fait, les intentions de vote pour Andrzej Duda au premier tour ont connu une baisse importante depuis l’annonce du report de l’élection, passant de 51% au 15 mai à une base stable d’environ 40% depuis fin mai. Les conséquences économiques de la crise du Covid-19, qui devrait entraîner une diminution d’au moins 7,4% du PIB polonais en 2020 selon l’OCDE[3] et la multiplication par deux du taux de chômage, risque d’amplifier cette baisse dans les sondages.
Face à la détérioration de son avance, le PiS et son candidat ont durci leur position sur de nombreux sujets sociétaux afin de remobiliser la base électorale du parti autour des valeurs conservatrices et autoritaires. C’est notamment le cas en matière d’avortement ou de reconnaissance des droits des minorités sexuelles, avec la multiplication de prises de parole polémiques du président Duda qui est allé samedi 13 juin jusqu’à comparer les défenseurs des droits des LGBT aux tenants de l’idéologie communiste et dénoncer leur cause comme « encore plus destructrice pour les êtres humains ».[4] En l’occurrence, Anrzej Duda cherche à marquer son opposition à son principal concurrent, le candidat de la Coalition civique et maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski, qui prône la tolérance et l’ouverture à l’égard des minorités sexuelles depuis son élection en 2018 en signant notamment une charte « LGBT+ ».
De même, le PiS a accéléré la mise au pas de la justice polonaise en instituant en début d’année un tribunal disciplinaire au sein de la Cour Suprême chargé de sanctionner les juges engagés dans des activités jugées politiques et dont la réelle fonction serait de museler les voix critiques à l’égard du PiS. Malgré l’injonction du 8 avril de la Cour de Justice de l’UE demandant la suspension immédiate de ce tribunal, sa première sanction a été rendue le mardi 9 juin à l’égard d’un juge critique à l’égard du parti au pouvoir.[5]
Un bloc contre-populiste en devenir?
Cette érosion du PiS dans les sondages du premier tour de l’élection présidentielle profite essentiellement au candidat de la Coalition civique, Rafal Trzaskowski, qui a commencé sa campagne mi-mai après un début calamiteux derrière la députée Malgorzata Kidawa-Blonska, passée de 25% des intentions de vote en février à moins de 10% dès mars. Néanmoins, les intentions de vote pour ce candidat ne dépassent pas aujourd’hui les 30%, rendant sa victoire au deuxième tour encore incertaine. Cette incertitude est renforcée par les prévisions du score qui serait réalisé par le candidat indépendant Szymon Holownia, ancien présentateur télévisé, estimé à environ 10%. Sans ralliement de ce dernier à la Coalition civique au deuxième tour, les chances du candidat de la Coalition civique apparaissent aujourd’hui minces face au Président Duda et à ses 40% d’intention de vote.
Un élément va cependant dans le sens d’une victoire possible de l’opposition. En effet, les positions de plus en plus radicales du PiS tendent à l’enfermer dans la rhétorique d’extrême-droite et à rendre plus difficile toute alliance avec des partis plus modérés dans l’optique du second tour. Dans le cadre des élections présidentielles, cela limiterait les ralliements à Andrzej Duda au candidat du parti d’extrême-droite Confédération Liberté et Indépendance, Krzysztof Bosak, qui est crédité d’environ 7% des voix, et servirait de repoussoir pour les autres. De plus, sur un plan plus global, cela pourrait affaiblir la coalition sur laquelle le PiS s’appuie à la Diète (l’Assemblée nationale). Par exemple, le parti conservateur de centre-droit Alliance (Porozumienie), dont les 18 députés permettent à la coalition d’atteindre la majorité absolue et qui a déjà pesé pour annuler la tenue du premier tour le 10 mai dernier, pourrait être tenté dans le futur par un ralliement à une opposition perçue comme désormais plus proche. Ces éléments expliquent en partie pourquoi l’idée d’une grande coalition contre le PiS paraît aujourd’hui plus réaliste qu’avant la campagne pour les élections présidentielles.
Il faut rappeler que cette élection est particulièrement cruciale pour la Pologne et peut marquer un tournant majeur dans le populisme en Europe. En effet, si l’opposition parvient à faire élire son candidat, ce dernier pourra s’opposer à la Diète contrôlée à une faible majorité par le PiS grâce au veto présidentiel qui n’est contournable que par trois cinquièmes des députés. L’opposition pourrait ainsi limiter considérablement l’influence du PiS dans le pays et marquer un nouveau coup d’arrêt pour le populisme en Europe après la chute des coalitions gouvernementales en Italie et en Autriche en 2019. Si elle n’y parvient pas, le PiS aura les mains libres jusqu’aux prochaines élections législatives de 2023 pour continuer sa politique autoritaire et battre encore davantage en brèche l’État de droit polonais.
Quel que soit le résultat de ces élections présidentielles, la priorité des candidats d’opposition doit être de penser au coup d’après et à la constitution d’un bloc contre-populiste afin de faire échec aux visées liberticides du PiS. Ce travail a déjà commencé au niveau local, comme le montre la création fin 2019 d’une « Alliance des villes libres » entre les maires des capitales des quatre pays du groupe de Visegrad afin de s’opposer aux partis populistes au pouvoir nationalement[6]. Il reste désormais à multiplier et consolider ce type d’initiatives entre pouvoirs locaux afin d’envisager d’un jour contrebalancer la domination du PiS au niveau national.
[1] Reporters sans frontières, Classement mondial de la liberté de la presse 2020, 2020
[2] Voir par exemple le sondage IPSOS du 27-29 avril
[3] OCDE, Perspectives économiques, juin 2020
[4] Euronew, LGBT campaigners denounce President Duda’s comments on « communism », 16 juin 2020
[5] Euobserver, Poland « crossed rubicon » against EU court injonction, 10 juin 2020
[6] Florent Parmentier, Vers un bloc contre-populiste centre-européen, Telos, janvier 2020
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