Douce France edit
La publication par Telos d'une enquête auprès d'un échantillon représentatif de députés confirme que pour une fraction de ceux-ci, majoritairement PS, la mondialisation profite d'abord aux multinationales et aux marchés financiers (1). La compréhension des difficultés de notre marché du travail est encore plus clivée : neuf députés PS sur dix expliquent la précarité par les politiques ultra-libérales ayant été menées, une réponse acceptée par seulement un député UMP sur cinquante.
Et si des pays voisins, confrontés à la même mondialisation, ont de meilleurs résultats en matière de chômage, ce serait que les comparaisons statistiques sont non pertinentes pour la moitié des députés du PS, contre moins d'un député UMP sur dix ; enfin l'idée selon laquelle les économistes se tromperaient en minimisant l'impact des délocalisations est deux fois plus partagée au PS qu'à l'UMP. Cela dit, on ne trouvera pas plus de 13% des députés PS pour déclarer que la mondialisation doit être combattue : plus de quatre députés PS sur cinq considèrent qu'il faut s'adapter quoi qu'il advienne, ou que la mondialisation comporte aussi de sérieux avantages.
Dans sa synthèse, Zaki Laidi y voit l'existence d'un véritable dissensus gauche droite sur les sujets de mondialisation, même si telle ou telle question laisse entrevoir une ligne de clivage au sein de la gauche sur les questions de mondialisation et emploi, et au sein de la droite sur les questions agricoles. D'une certaine façon, on retrouve ici, projetées sur l'écran de la représentation nationale, les peurs collectives face à un mouvement d'ampleur inégalée et remettant en cause les schémas de pensée traditionnels. Ces peurs sont celles ayant appuyé le " non " à la Constitution européenne. On pourrait tout aussi bien, et c'est ce que fait régulièrement l'Eurobaromètre, interroger des échantillons représentatifs de citoyens et obtenir des réponses équivalentes : régulièrement les Français se caractérisent par leur hostilité à la mondialisation et à la politique commerciale suivie par la Commission européenne. L'intérêt de la présente enquête pour la science politique est de positionner cette inquiétude dans le paysage électoral. L'économiste pourra quant à lui examiner ces résultats selon deux grilles de lecture.
La première s'intéresse à l'économie politique de l'ouverture. La place accordée dans les réponses aux services publics donne un premier indice : 80% des députés socialistes, soit 37% environ des députés, pensent qu'il s'agit d'une préférence non marchande que la France devrait défendre en priorité à l'OMC, alors même que l'OMC ne s'intéresse pas a priori à ce sujet. Il n'y a même pas d'accord multilatéral sur les marchés publics. La confusion entre les sujets européens et mondiaux est ici complète. Et surtout, l'inquiétude sous-jacente pour les employés des services publics, abrités de la concurrence internationale mais consommant les produits importés à bas coût des pays émergents, est infondée. Le second indice nous est donné par la référence à l'agriculture : 47% des députés UMP et 40% des députés UDF pensent que l'agriculture est la préférence de l'Union européenne qui doit être défendue en priorité. Cela fait à nouveau 32% de la représentation nationale. Mais l'OMC n'interdit pas de subventionner l'agriculture : au-delà des droits de douane, seules les subventions ayant un impact sur la production et les échanges (les internes subventions couplées, les subventions à l'exportation) sont dans sa ligne de mire. Au final, 7 députés sur 10 placent les services publics ou l'agriculture en tête de l'agenda défensif, ce que l'économie politique ne manquera pas d'interpréter en termes de défense de rentes plutôt que de préférences collectives, le marqueur des bases électorales différenciées fonctionnant ici parfaitement.
Une seconde grille de lecture a toutefois notre préférence ; après tout, nos députés répondent correctement à la question " Parmi les catégories sociales suivantes, quelles sont celles qui ont le plus à perdre à la mondialisation " : 51%, tous groupes politiques confondus, répondent " les ouvriers ", même si cette réponse est plus marquée chez les députés socialistes et UDF. Les agriculteurs n'arrivent qu'en seconde place, grâce aux 50% de réponses en leur faveur de la part des députés UMP. Cette seconde grille de lecture est celle du paradigme d'insertion mondiale de notre pays ; elle transparaît dans les réponses aux questions de délocalisation et de spécialisation productive.
A la question " Acceptez vous le fait qu'une entreprise délocalise une partie de ses activités si cette opération permet de sauver d'autres emplois en France " la réponse majoritaire (51%) est " je serais prêt à accepter si j'en avais la preuve ". Mais quand il s'agit de la " preuve " il en va tout autrement : à la question " Aux économistes qui presque tous disent que les délocalisations ne constituent pas une cause significative dans les destructions d'emploi " 30% des députés répondent qu'ils se trompent (ils sont 44% au PS, mais moitié moins à l'UMP conformément à l'analyse de Zaki Laidi). Ainsi, seulement 70% de 51%, soit un gros tiers des députés sont finalement disposés à accepter l'idée d'une délocalisation porteuse de compétitivité. Le même partage des opinions se retrouve sur la question de la spécialisation. Un quart des députés (mais 41% des députés PS interrogés) endossent l'affirmation selon laquelle " Nous devons à tout prix maintenir certains secteurs d'activité même s'ils ne sont pas compétitifs ".
Une fraction non négligeable de notre représentation nationale est donc résolument hostile à l'idée de spécialisation internationale : notre douce France doit continuer à protéger des activités exercées ailleurs de façon plus efficace.
Mais paradoxalement, l'information la plus intéressante de cette enquête est que cette vision stéréotypée de l'immobilisme français est battue en brèche par un fort consensus en faveur du mouvement, fût-il contraint. Une forte majorité des députés (62%) considèrent que la mondialisation constitue un " processus équilibré présentant de réels avantages et de sérieux inconvénients " ou encore un " processus globalement négatif mais auquel il convient de s'adapter ". Clin d'œil aux stéréotypes, il ne s'est trouvé qu'un député parmi l'ensemble des répondants pour considérer que la nourriture sans OGM est une priorité à défendre ; il y a deux fois plus de députés demandant l'ouverture des marchés émergents que de députés souhaitant voir défendue l'exception culturelle ; et il y a finalement trois fois plus de députés pour défendre la responsabilité sociale de l'entreprise que pour réclamer le retour à un certain protectionnisme.
(1) Nous limitons nos commentaires aux réponses significatives : UMP, PS, UDF. L'échantillon pour les autres groupes est trop réduit.
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