Comment réguler les hedge funds ? edit
Depuis le début de la crise financière, la question de la régulation des hedge funds, ces fonds d’investissement qui opèrent sous contraintes réglementaires légères, revient régulièrement dans le débat public. On voit bien en quoi la posture est politiquement payante, mais qu’en est-il de la réalité ? Les hedge funds sont-ils responsables de la crise ? Faut-il vraiment renforcer la réglementation qui les encadre ? Si oui, pourquoi, et comment, le faire ?
Pour commencer, il est utile de rappeler que les hedge funds ne sont pas au centre de la crise actuelle, bien qu’ils aient récemment souffert de ses conséquences. Pour faire simple, la crise financière est le résultat de deux facteurs. Le premier est un assouplissement considérable des conditions monétaires dans le monde. Il était devenu trop facile de s’endetter, pendant trop longtemps : ces conditions ont engendré des bulles sur divers marchés d’actifs (dont les dérivés de crédit résidentiels, mais aussi de crédit à la consommation ou aux fonds de private equity), dans lesquels les banques ont spéculé activement. Simultanément, via une innovation financière relativement récente (la titrisation), de très nombreux acteurs (investisseurs institutionnels, banques) ont pu participer à ce mouvement spéculatif, si bien que lorsque la bulle a éclaté, tous ont été touchés. D’abord, les investisseurs institutionnels ont dû se délester rapidement des actifs risqués mais liquides (comme les actions) pour pouvoir satisfaire leurs contraintes réglementaires, ce qui a précipité l’effondrement des bourses. Les banques, dont le contrôle des risques a été étonnement défaillant, ont dû arrêter de prêter afin de reconstituer leurs réserves sans trop diluer leurs actionnaires. Au total, c’est donc par les acteurs les plus réglementés de la finance que le scandale est arrivé.
Dans ce contexte, et contrairement à ce qu’avaient pu espérer leurs thuriféraires, les hedge funds n’ont pas pu empêcher le système de se disloquer. Certes, ce sont des acteurs de marché légèrement plus long-termistes que, disons, les SICAV traditionnelles, voire certains investisseurs institutionnels. La raison principale est que le passif des hedge funds est bloqué via des clauses contractuelles diverses. Si les investisseurs veulent récupérer leur mise, le fond demande typiquement un délai entre 3 mois et un an, parfois même de deux ans, ce qui permet une liquidation ordonnée, voire de tenir une position jusqu’à ce qu’elle devienne payante. Par ailleurs, certains fonds sont en mesure de suspendre temporairement (pour une période allant jusqu’à plusieurs années) les remboursements, s’ils estiment qu’une liquidation trop rapide n’est pas dans l’intérêt de l’ensemble de leurs investisseurs. Malgré ces filets de sécurité toutefois, la crise a été de trop longue durée pour permettre à des acteurs comme les hedge funds de tenir leurs positions jusqu’à la reprise des marché. De ce point de vue, les fonds de private equity, chez qui les investissements sont bloqués pour des périodes allant de 7 à 10 ans, semblent mieux à même de soutenir les marchés et le financement de l’économie jusqu’au rétablissement du système financier. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas parce que les hedge funds ont subi la crise actuelle qu’il faut les réguler davantage.
La justification principale d’un renforcement de la régulation des hedge funds est le risque systémique. Si je m’endette beaucoup pour prendre des positions risquées, ma faillite mettra en danger un grand nombre de contreparties (courtiers, banques, autres fonds etc.), dont la défaillance pourrait créer un effet de domino sur l’ensemble des acteurs du système. Chaque acteur du système financier, qu’il soit un hedge fund, mais aussi un acteur institutionnel ou une banque, est donc en mesure de renverser la totalité de l’édifice. C’est pour éviter ce type de comportement que les banques et les investisseurs institutionnels sont donc en général soumis à une régulation prudentielle. Parfois, le régulateur doit aussi intervenir ex post, une fois l’alerte déclenchée. On se rappelle qu’en 1998 la Fed de New-York avait contraint la plupart des grands acteurs financiers mondiaux à organiser la liquidation ordonnée du hedge fund Long Term Capital Management (LTCM), dont la chute brutale avait ébranlé l’architecture financière internationale. La crise actuelle a eu son lot de comportements déviants de ce genre (compagnie d’assurance AIG, banque Citigroup etc.). Certes, les hedge funds n’ont pas, jusqu’à présent, joué de rôle central dans l’ébranlement du système, mais le risque est toujours là. Cela signifie qu’il faut soumettre ces fonds à une régulation prudentielle ressemblant à celle des banques. Mais la difficulté principale pour le régulateur est qu’il s’agit d’encadrer l’activité d’une multitude d’acteurs très divers, sans les paralyser complètement.
Alors, comment faire ? La première piste consiste à appliquer la régulation prudentielle des banques aux hedge funds les plus gros. Pour éviter les comportements générateurs de risque systémique, les régulateurs imposent aux banques de détenir, en fonction de leur exposition au risque, plus ou moins de capital de long terme. Les petits hedge funds n’ont pas les moyens de fragiliser le système, mais certains mastodontes ont la taille, et la capacité d’endettement nécessaire, pour disloquer les marchés. C’était par exemple le cas de LTCM, qui avait à son apogée environ 6 milliards de dollars de capital, mais qui, avec un effet de levier de 20, gérait environ 120 milliards de dollars d’actifs. Le régulateur doit donc imposer des ratios prudentiels aux grands acteurs de la place, hedge funds y compris. Toutefois, la solution n’est que partielle, car les 120 milliards sus-mentionnés sous-estimaient très largement les engagements de LTCM, qui était une contrepartie majeure sur les marchés de dérivés de produit de taux. Par ailleurs, on peut légitimement arguer du fait que 100 petits fonds qui s’accumulent sur les mêmes positions (on parle alors de crowded trade) ont le même pouvoir déstabilisateur qu’un très gros fond.
Ces limitations nous conduisent à la deuxième piste de régulation : contraindre les acteurs financiers, dont les hedge funds, à opérer davantage sur des marchés organisés, en particulier pour les produits dérivés. Dès lors, les hedge funds deviennent soumis à la régulation de ces marchés. Dit autrement : comme la régulation directe est difficile et coûteuse, autant utiliser la régulation indirecte qu’imposent les bourses. Ce n’est pas de la science fiction : déjà, les hedge funds qui achètent des actions à la bourse américaine doivent, au-delà d’un certain montant, déclarer leurs positions à la Security and Exchange Commission (l’AMF américain), qui ensuite les rend publiques. L’un des avantages des marchés organisés est qu’ils permettent de surveiller plus facilement l’accumulation de positions dangereuses d’un ou plusieurs acteurs. Mais au-delà des questions de transparence, la crise actuelle a mis en lumière les risques intrinsèques liés à l’échange de produits dérivés hors des marchés organisés. Par exemple, un investisseur qui achetait une assurance contre la faillite de Lehman Brothers n’avait pas vraiment de garantie que son « assureur » serait bien là si l’établissement faisait faillite. Lorsque la crise s’est manifestée, les acteurs ont découvert ce problème, réalisant soudain que leurs bilans étaient bien moins solides qu’ils ne le pensaient. La panique s’est ensuite diffusée de proche en proche. Ce « risque de contrepartie » est moins présent sur les marchés organisés, qui demandent à leurs participants de témoigner de leur solidité financière via des appels de marge quotidiens en fonction de l’évolution de leurs positions. Lorsque certains produits très similaires sont échangés abondamment (comme c’était le cas des credit default swaps avant la crise), le régulateur devra donc en « forcer » la standardisation, et faire migrer leurs transactions sur un marché organisé. Le développement de ce type de marché est également un enjeu de « politique industrielle ». En donnant l’impulsion, les régulateurs européens sont en mesure de redonner aux places financières européennes une position de leadership mondial en faisant que les nouveaux produits financiers soient échangés en Europe.
Dernière piste : organiser un mouvement ordonné du secteur hors des paradis fiscaux. Déjà, pour des raisons de transparence, les investisseurs le demandent. Si leur action est coordonnée, les gouvernements responsables des principales places financières peuvent bannir efficacement toute transaction en provenance d’acteurs immatriculés dans les paradis fiscaux. L’opinion publique est justement outragée par l’optimisation fiscale dont bénéficient les investisseurs des hedge funds, d’autant que ces investisseurs sont en général des individus fortunés. Il y a donc pour le politique la possibilité de mettre le secteur devant ses responsabilités. Les hedge funds prétendent créer de la valeur pour l’économie en apportant de la liquidité aux marchés et en contribuant à leur efficacité. Revenir onshore est l’occasion de prouver à la collectivité que l’évasion fiscale n’est pas leur seule raison d’être.
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