PME : mettez de l’équity dans votre moteur edit
L'été 2007 aura marqué la fin d'une ère : les investissements des fonds de private equity, et notamment ceux financés par endettement (“leverage buyout”, LBO), ont chuté suite à l’assèchement soudain du marché du crédit. Les opérations de grande envergure, emblématiques de l’ascension de ces nouveaux « rois du capitalisme » ont été quasi inexistantes en 2008 en France. 2009 s'annonce comme l'année de tous les dangers avec la dégradation brutale de l’économie européenne : ainsi Autodistribution, distributeur de pièces détachées et accessoires automobiles, a été placé en décembre 2008 sous mandat « ad hoc », suite à de sérieuses difficultés financières liées à son opération de LBO. Lorsque, inévitablement, sera annoncée la faillite d’une entreprise sous LBO, il sera tentant d’y voir un nouvel avatar de la “perversion du capitalisme” : la recherche excessive de profit pour une poignée de bénéficiaires mettant en péril l'édifice social. Pourtant, les faits permettent-ils réellement une telle interprétation ?
Dans une étude récente, nous revenons sur la question des impacts réels des opérations de LBO sur les entreprises françaises cibles durant la période 1994-2006. Plus précisément, nous comparons l'évolution de 850 entreprises reprises en LBO entre 1994 et 2004 avec celle d’entreprises similaires (secteur d’activité, taille et rentabilité équivalents). Notre analyse empirique montre qu’au cours des quatre années suivant l’opération, les entreprises sous LBO connaissent une croissance des ventes et des actifs plus rapide ainsi qu'une plus forte progression de leur rentabilité économique. Plus surprenant encore, la croissance de leurs effectifs est supérieure de près de 15% à celle des entreprises comparables. La réalité est donc loin du modèle des “dépeceurs d’entreprises” que les critiques des opérations de LBO dénoncent.
Les entreprises cibles auraient-elles autant pu croître sans l’aide des fonds de private equity ? Notre analyse empirique, bien que fondée sur l’analyse comparative des entreprises sous LBO relativement à des entreprises comparables, ne nous permet pas d’exclure totalement cette possibilité. Cependant, nos résultats démontrent a minima que les fonds de LBO ne sont pas un frein au développement de l’entreprise, et permettent en particulier d’accompagner la croissance de l’emploi des entreprises cibles.
Les conclusions de notre étude ne doivent pas constituer une surprise outre mesure : les fonds de LBO ne font durablement des profits que dans la mesure où la performance économique des entreprises qu’ils détiennent s’accroît significativement. Or une telle amélioration ne peut provenir que de deux leviers : une amélioration de la marge opérationnelle et/ou une croissance de l'activité. Le premier levier est évidemment pris en compte par les nouveaux actionnaires, avec son corollaire concernant les dépenses et investissements perçus comme non productifs : c'est la « chasse au gaspi», qui implique, dans certains cas, une pression accrue sur les salariés (que nous ne pouvons pas mesurer). Néanmoins, sous la pression de la concurrence internationale, la plupart des entreprises n’ont pas attendu les LBO pour mettre en œuvre ces stratégies de « cost cutting ». D’ailleurs, dans notre échantillon d’entreprises acquises par des fonds, on n’observe qu’une réduction, en moyenne, modérée des stocks, et pas de recours massif à la sous-traitance, nationale ou internationale.
En réalité, les fonds de private equity ont certainement compris que la croissance de l'activité était un levier de création de valeur plus efficace, que ce soit par voie de consolidation mais surtout par croissance organique (comme par exemple dans les cas des magasins Bonpoint ou l’entreprise de certification Bureau Veritas). De ce point de vue, les fonds de private equity peuvent s'avérer des alliés fort utiles pour financer ce développement : ils apportent non seulement des fonds propres (certes limités, pour des raisons de rentabilité), mais ils permettent aussi à l’entreprise cible de s'endetter dans des conditions plus favorables. Les entreprises sous LBO font ainsi partie des rares entreprises françaises ayant accès à des financements sophistiqués (type dette mezzanine) alors même que de récentes analyses suggèrent l’importance du recours à ces instruments pour financer les « champions de demain ». En effet, ces modes de financement sont favorables à l’innovation et la croissance parce qu’ils s’accommodent bien mieux du risque que les traditionnels emprunts bancaires.
La crise actuelle remettra-t-elle en question les résultats de cette étude? Nos données montrent que les difficultés des années 2001-2002 n’ont pas eu d’impact significatif sur le devenir des entreprises sous LBO. Le contexte actuel est toutefois plus sombre. De plus, certaines évolutions de l'industrie du private equity peuvent inquiéter : les niveaux d’endettement se sont envolés et les investisseurs se sont montrés moins prudents, s’aventurant au-delà des secteurs “défensifs” auxquels ils avaient jusque-là cantonnés leurs opérations de LBO.
Malgré tout, il y a des raisons d’espérer. Premièrement, les fonds de private equity ont la voilure financière nécessaire pour se protéger d’un retournement soudain : ils conservent généralement de larges réserves de capitaux non utilisées (le fonds français PAI a, par exemple, levé pas moins de 5,4 milliards d’euros en mai 2008) et ont un horizon d’investissement relativement long. Cela provient du fait que les investisseurs dont ils placent l’argent (des compagnies d’assurances, des particuliers fortunés, des fonds de pension ou des fonds souverains) se sont interdit de demander le remboursement de leurs investissements avant la fin de vie des fonds eux-mêmes (typiquement, de 7 à 10 ans).
Deuxièmement, il n’est pas certain que l’excès d’endettement entraîne nécessairement les entreprises sous LBO à la liquidation. Pour les entreprises qui sont viables économiquement, la liquidation n’est pas une solution préférable : les banques qui ont financé le LBO, et les fonds eux-mêmes, n’ont aucun intérêt à liquider une entreprise qui peut encore faire des profits dans l’avenir, même si ceux-ci sont plus petits qu’on l’avait cru au départ. Les uns et les autres doivent juste accepter d’être « moins gourmands », à la faveur d’une renégociation globale de leurs créances. Véritables chefs d’orchestre du financement de l’entreprise, les fonds ont à la fois l’intérêt et l’expertise nécessaire pour mener à bien ces négociations, car ils risquent de tout perdre si elles échouent et que l’entreprise est détruite.
Le dénouement du cas Autodistribution en février est là-encore illustratif : le fonds qui en était l’unique actionnaire a accepté de réinvestir de l’argent frais, conjointement avec un nouvel investisseur. Quant aux créanciers, ils ont fait des concessions en acceptant d’annuler une partie des dettes de l’entreprise, en contrepartie d’une part du capital. En parallèle, l’activité économique de l’entreprise, n’a, elle, pas été affectée par cette renégociation. Si, comme dans cet exemple, un arrangement est trouvé pour diminuer l’endettement et améliorer la situation de trésorerie (et la loi de sauvegarde des entreprises en difficulté jouera un rôle déterminant dans ce processus), les entreprises devraient pouvoir traverser la crise sans être étouffées par les excès financiers du passé. Encore une fois, c’est la régulation financière (le droit des faillites) qui sera soumise au test de la crise.
Vous pouvez lire le working paper résumé dans cet article en cliquant ici.
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