Europe : le dernier train avant l’enfer edit
Il est indéniable que le plan de 750 milliards d’euros visant à soutenir la zone euro et à en garantir la stabilité est très ambitieux. Il ne s’agit cependant pour l’heure que de mesures virtuelles, les Parlements de plusieurs Etats membres devant encore se prononcer sur la question. De ce fait, le pari des Européens semble aujourd’hui de plus en plus dangereux au point que certains observateurs en viennent à considérer que la zone euro marche de manière inéluctable vers son éclatement (on entend par là l’abandon – volontaire ou non – de l’euro par un ou plusieurs pays de la zone). Une telle vision semble catastrophiste. Toutefois, les autorités européennes, si elles veulent restaurer durablement la confiance sur les marchés, doivent aller vite pour finaliser les détails de leur plan de sauvetage et surtout parler enfin d’une seule voix.
Quitter la zone euro permettrait aux pays l’ayant abandonnée de se repositionner sur le plan de la compétitivité en procédant à la dévaluation de leur devise (ce qui serait sans doute moins coûteux politiquement qu’un ajustement par les salaires). Toutefois, les pays en question seraient vraisemblablement aussi contraints de relever leurs taux d’intérêts de manière substantielle pour freiner la fuite massive des capitaux à laquelle ils seraient inévitablement confrontés. Les effets sur la croissance de ces pays seraient véritablement désastreux.
Mais ce ne serait pas le pire. Les pays endettés qui abandonneraient l’euro devraient rembourser la partie de leur dette libellée en euros avec une devise dévaluée. La charge supplémentaire que cela engendrerait les pousserait dès lors un peu plus vers le défaut pur et simple sur leur dette (convertir cette dette dans la nouvelle devise serait en effet perçu comme une restructuration masquée), ce qui dévasterait leur réputation et le peu de confiance dont ils bénéficieraient encore sur les marchés. Ainsi, l’intérêt théorique de l’abandon de l’euro par des pays confrontés à des problèmes budgétaires sévères semble limité et activer le mécanisme d’aide européen – tout en gardant l’euro – paraît plus avantageux, aussi bien pour les pays en question que pour l’ensemble de la zone.
En effet, s’il est difficile d’établir dans quelles circonstances un éventuel éclatement de la zone euro pourrait intervenir, une chose semble claire : que l’éclatement se fasse de manière ordonnée ou que ce soit la débâcle, qu’il soit le résultat de l’expulsion de la zone de certains pays par les autres Etats membres ou de la « sécession » d’un ou plusieurs pays, ce sera le chaos. Il suffit de repenser aux pires moments de l’après Lehman Brothers pour avoir une idée des turbulences par lesquelles le système financier mondial devrait passer en cas d’éclatement de la zone euro. L’Europe dans son ensemble mettrait certainement des années à se remettre d’un tel choc.
A l’heure actuelle, pareil éclatement ne nous semble pas être le scénario principal à envisager car nous considérons que les effets bénéfiques de la monnaie unique sont trop importants pour que les gouvernements puissent en envisager la fin à la légère. Tout le reste ne semble être que palabre politique. En revanche, sur le plan économique et financier, il est clair que la zone euro est imparfaite.
Elle est imparfaite notamment parce que les pays en déficit de croissance et de performance économique sont amenés à s’endetter de manière quasi-structurelle (le modèle allemand ne peut raisonnablement être étendu à l’ensemble de la zone euro) et que la zone ne dispose pas d’outils véritablement contraignants pour imposer la discipline budgétaire à ces Etats. En ce sens, on peut affirmer que le Pacte de Stabilité et de Croissance a été un échec. Dès lors, la crise actuelle devrait être vue comme une occasion unique de revoir en profondeur la gouvernance économique au sein de la zone euro afin de prévenir que les déficits excessifs ne puissent remettre en danger la stabilité de la zone à l’avenir mais surtout d’établir enfin des mécanismes de coordination budgétaires dignes de ce nom. La tâche est ardue puisqu’elle reviendrait à imposer des contraintes fortes sur les politiques budgétaires européennes.
Après avoir été bien accueilli, force est de constater que le plan de sauvetage européen n’est pas parvenu à restaurer durablement la confiance sur les marchés. Cela s’explique principalement par le fait que, sur le fond, le plan des autorités européennes n’apporte pas de véritable solution aux problèmes budgétaires rencontrés par de nombreux pays européens.
Or ces problèmes sont bien réels et face à des marchés par nature impatients, le processus d’assainissement budgétaire, ralenti par la faiblesse de la croissance, ne joue pas en la faveur des pays les plus fragiles. Mais de manière plus substantielle, c’est l’incapacité des dirigeants européens à se coordonner – la décision unilatérale de l’Allemagne d’interdire les ventes à découvert tout comme les atermoiements autour du plan de sauvetage européen n’en sont que les derniers avatars – qui semble être le facteur principal empêchant le retour au calme des marchés. Dès lors, aujourd’hui, l’Europe n’a plus d’autre choix que d’achever ce qu’elle a commencé, c’est-à-dire rendre le plan de sauvetage opérationnel au plus vite et ne pas hésiter à l’activer si nécessaire tout en se dotant enfin de véritables organes de gouvernance économique. Ce n’est que de la sorte que les autorités signaleront aux marchés qu’ils ont bien pris la mesure de l’enjeu : la pérennité et la stabilité de l’euro.
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