Future régulation financière : deux règles simples edit
Les membres du G20 ont convergé sur des objectifs ambitieux en matière de régulation financière. Il faut désormais trouver des règles pour que ne se reproduisent pas les désastres financiers comme celui généré par les fameux dérivés de crédits échangés de gré à gré (CDS). Nous proposons ici deux règles certes drastiques mais simples et directement applicables qui pourraient avoir un impact considérable.
Règle n°1 : que les grandes institutions financières se financent uniquement par des capitaux, des dépôts et des contrats de dettes standards de façon à ce que l’ensemble de leurs engagements de passif apparaisse clairement dans leur bilan. En d’autres termes, qu’elles ne puissent pas prendre des engagements hors bilan, émettre des instruments du type CDS ou assurances du risque de défaut. Règle n°2 : que les instruments financiers dérivés soient commercialisés par le biais de marchés d’échange publics, et non de gré à gré, de sorte que le régulateur dispose d’une information complète sur l’ensemble des positions ouvertes.
Deux raisons jouent en faveur de ces règles. Tout d’abord, on n’éliminera jamais d’un coup de décret les garanties de renflouement systémique futures, explicites ou implicites : ce type de mesure est toujours adopté dans l’urgence, sans être planifié, pour éviter un dommage systémique à court terme et dont on craint la contagion. Et lorsqu’on est dans l’urgence de la crise, les décrets passés sont la dernière chose qui compte. Ensuite, si les dispositions réglementaires ne sont pas simples et faciles à vérifier, les acteurs auront la subtilité de les contourner pour accroître les prises de risques en profitant de la garantie de ce système de renflouement systémique. On en douterait qu’il suffirait de repenser, une nouvelle fois, à ce qu’ils viennent de faire avec les dérivés de crédits : atteindre des effets de levier considérables en masquant la taille et la concentration de leurs obligations potentielles.
Les gains d’efficacité et de diversification des instruments financiers dérivés sont réels mais comportent le risque de miner un principe matriciel de la discipline financière : les emprunteurs doivent risquer leur propre capital ! Les marchés avaient intégré cette règle disciplinaire. Le financement externe était traditionnellement limité à des contrats de dette standards, et les emprunteurs doivent les rembourser à chaque période pour éviter la faillite. Cette discipline est sans doute trop contraignante mais elle a l’avantage de la robustesse : vous ne pouvez pas tromper le régulateur et le marché aussi facilement.
Or les grandes sociétés financières ont miné cette discipline en s’engageant dans la vente de gré à gré de dérivés de crédit. Contre une petite prime annuelle, ces engagements qui ressemblent à des contrats d’assurance promettent des remboursements énormes en cas de catastrophe. L’émetteur a un intérêt évident à vendre ces produits dérivés : comme ils requièrent très peu de fonds propres en garantie, l’effet de levier peut être considérable. L’acheteur à lui aussi intérêt cette opération : inscrire cette assurance dans ses comptes réduit non seulement le risque mais aussi les exigences réglementaires en capital, et permet donc un plus grand effet de levier. Seul problème, mais de taille : si la catastrophe se produit, l’émetteur peut se retrouver en faillite et l’ensemble de la machine est grippé. Or ce que la crise nous a appris, c’est que le pire se réalise parfois.
On rétorquera que les acteurs du marché des CDS étant avisés, ils ne s’engageraient pas dans de telles transactions si elles n’étaient pas rentables. Pas si vite. Quand de nombreux émetteurs sont interconnectés et ont pris les mêmes types de risque comme dans la récente débâcle des prêts hypothécaires, des renflouements publics ne peuvent qu’aller sauver le système en dernier ressort en cas de crise, et de facto constituer une garantie pour les acheteurs de tels instruments d’assurance. Sur les 173 milliards de dollars de sauvetage d’AIG par le gouvernement américain, environ 120 milliards de dollars ont ainsi été utilisés pour honorer les contrats d’assurance contre le défaut de crédit passés avec des institutions financières. On l’a beaucoup rappelé, ensuite : les bonus des dirigeants qui sont des deux côtés de la transaction dépendent souvent des profits à court terme générés par ces transactions. Et comme les catastrophes sont rares et qu’il peut s’écouler un certain temps avant quelle ne se produisent…
En somme, en présence de telles garanties de sauvetage et incitations à l’excès, un régime réglementaire qui autorise l’émission de n’importe quel type de titres financiers conduit inexorablement à créer des bulles et autres trous noirs financiers. Les produits financiers dérivés tels que les CDS visaient à réduire l’incertitude au niveau de l’entreprise. Il faut s’y résoudre : ils ont créé au niveau de l’économie global un risque de faillite généralisée.
Notre deuxième règle impose que les produits dérivés tels que les CDS soient commercialisés uniquement par le biais d’un marché public d’échanges, et non de gré à gré entre parties privées. Par ce moyen, aussi simple que révolutionnaire, les positions de tous les participants seront transparentes pour l’organisme de régulation. Des appels de marge permettront d’imposer des exigences collatérales strictes de façon quotidiennes. Les instruments échangés seront standardisés, ce qui accroîtra la liquidité.
Ces deux règles sont simples et applicables. Parce qu’elles favorisent la transparence, la stabilité et la responsabilité, elles dynamiseront le flux du crédit. Surtout, elles n’impliquent aucunement de définir un cadre réglementaire qui prévienne toutes les crises financières potentielles. Le degré de répression financière et d’interventionnisme gouvernemental qui serait nécessaire aurait des conséquences négatives considérables sur la prise de risque et la croissance.
Nous avons plutôt besoin d’un régime réglementaire qui d’un seul mouvement favorise la croissance économique en maintenant les bons côtés de la libéralisation financière, et maintienne la discipline du marché du crédit et empêche l’excès de levier observé dans un monde du tout-est-permis. De plus, la nouvelle régulation doit être simple et toute infraction facilement vérifiable par le régulateur et le marché, ce à quoi satisfont les deux règles ici présentées. Elles ne suppriment pas la prise de risque mais limiteront naturellement les leviers excessifs. S’il n’était resté sur des ojectifs généraux, le G20 auraient pu dès le sommet de Londres faire siennes ces règles. Espérons que le processus de mise en œuvre qui s’engage les remettent au cœur des discussions.
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