Le juge Alito est-il réactionnaire ? edit
Vingt-trois chercheurs de la Yale Law School, sous la direction du professeur Owen M. Fiss, ont entrepris d'examiner attentivement les opinions rédigées par Samuel A. Alito Jr, candidat au poste de juge à la Cour Suprême. Une nomination à la Cour est un événement juridique et politique majeur, tant est grande l'influence sociale de cette institution sur la société américaine. Le passé du candidat et les décisions qu'il a rendues sont très sérieusement scrutés avant sa confirmation par le Sénat. Le juge Alito est depuis quinze ans membre de la Cour d'appel des Etats-Unis (troisième circuit). Il a pris part à 415 décisions fédérales, rédigeant 299 opinions, 52 opinions concurrentes et 64 opinions contradictoires (dissents). Quels sont les traits de sa philosophie juridique ?
On peut dire qu'il fait confiance aux acteurs institutionnels et s'en remet souvent aux décisions des agences spécialisées, alors qu'il se montre plutôt sceptique à l'égard des plaignants individuels. Il ne soutient guère les droits civiques, ceux des prisonniers et ceux des travailleurs, mais se montre un actif défenseur des libertés religieuses. Il semble désireux de restreindre le droit à l'avortement en imposant des critères plus stricts ; il souhaite limiter enfin le pouvoir du Congrès.
Entrons dans le détail, en commençant par ce dernier point. Plusieurs de ses décisions ont posé des limites au pouvoir du Congrès. Par rapport à la Cour Suprême ou à d'autres cours d'appel, le juge Alito s'est distingué à plusieurs reprises en exigeant du Congrès une stricte observance de la loi. Par exemple, dans une opinion sur l'affaire United States v. Rybar, qui tentait de limiter les armes automatiques, il a plaidé contre le Congrès, là où cinq autres cours d'appel et le Troisième Circuit lui-même avaient soutenu cette institution. Le juge a rédigé l'opinion majoritaire sur une affaire relative à la couverture du risque maladie : le Congrès avait selon lui outrepassé ses droits. Deux ans plus tard, dans une affaire soulevant des questions identiques, la Cour Suprême a au contraire confirmé la loi fédérale.
En matière de droit de la famille, le juge Alito a soutenu dans une opinion contradictoire une loi pennsylvanienne exigeant de l'épouse qu'elle prévienne son mari avant un avortement. La Cour suprême a rejeté cette opinion, considérant que la loi imposait à l'épouse une charge injustifiée.
En matière de procédure, quand il en a eu le pouvoir le juge Alito a tenté de limiter la possibilité des individus d'ester en justice, en restreignant leurs choix procéduraux. Il a interprété d'une façon restrictive le droit constitutionnel des individus à être avertis et entendus avant d'être privés de leurs droits. Il s'en est tenu à une interprétation stricte des conditions de ce droit, et n'a pas encouragé les recours, contribuant ainsi à décharger les autorités de la responsabilité de leurs actes. On notera par ailleurs que certains groupes de plaignants se sont vus encouragés tandis que d'autres voyaient rarement leurs actions aboutir.
En ce qui concerne la liberté d'expression, le juge Alito a soutenu celle des entreprises, des agents de l'Etat, des associations d'étudiants, et il a défendu la presse contre les actions en diffamation ; mais il a refusé d'étendre ce soutien aux demandes des prisonniers cherchant à se faire entendre dans la presse.
Sur l'immigration, alors que d'autres cours d'appel ont récemment critiqué les avis rendus par le Board of Immigration Appeal sur l'expulsion ou le droit d'asile, le juge Alito a au contraire soutenu cette institution dans sept affaires sur huit en ce qui concerne les expulsions, sept sur neuf pour ce qui est des demandes d'asile politique.
Dans les affaires criminelles, le juge Alito fait confiance aux forces de l'ordre, faisant preuve par ailleurs d'une assez faible sensibilité à la question des inégalités sociales dans le système de la justice criminelle. Au contraire, il a tendance à traiter différemment les prévenus aisés. Même lorsqu'il considère que les droits d'un prévenu ont été violés, il ne tranche pas en faveur d'une réparation. Il a donc soutenu les autorités dans presque tous les cas qui lui ont été soumis.
Dans le domaine des droits civiques, le juge Alito a systématiquement utilisé la procédure pour débouter les plaintes des femmes, des minorités et des handicapés. Mais il s'est conduit d'une façon beaucoup plus souple quand il s'agissait de discriminations religieuses, tranchant à diverses reprises en faveur des minorités religieuses.
Dans le domaine du droit des travailleurs, le juge a tenté de limiter l'ampleur et l'étendue des statuts protecteurs des travailleurs, se montrant très exigeant pour juger recevables les plaintes des salariés. Même si la plupart de ces affaires ont porté sur des points de procédure, la philosophie du juge Alito est assez claire : les salariés et les syndicats n'ont eu gain de cause que dans cinq des trente-cinq opinions qu'il a rédigées.
En ce qui concerne l'environnement, enfin, le juge s'en remet aux décisions prises par les agences spécialisées. Il accorde la prééminence aux lois et aux directives des Etats, sauf lorsqu'un texte fédéral y invite clairement.
A partir de ces éléments, tout le monde est donc en mesure de se faire une opinion quant aux convictions du juge Alito.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)