Pour une autorité bancaire européenne edit
La crise financière a placé les institutions financières privées sous le feu des projecteurs, mais on ne s’est guère demandé pourquoi la supervision des règles bancaires et financières n'a pas empêché la crise. Or les échecs du contrôle sont patents. Ils sont notamment dus à la concurrence des autorités nationales. Une autorité européenne consolidée serait nécessaire.
Les turbulences qui agitent les marchés suscitent de nombreux rapports sur les erreurs commises et les moyens de les éviter dans l’avenir. On comprend mieux désormais pourquoi les grandes institutions financières ont fait de telles erreurs et comment leurs systèmes d'incitation ont conduit à des distorsions systématiques. Mais sur une question-clé règne un silence assourdissant : pourquoi la supervision bancaire a-t-elle échoué ? C’est inquiétant, parce qu'avec le recul il devient de plus en plus évident que les autorités de supervision ont commis aussi de lourdes erreurs. Il est important de comprendre lesquelles, si l’on veut éviter qu’elles ne se reproduisent.
Une analyse particulièrement complète et lucide des causes profondes de la crise est contenue dans le rapport du Financial Stability Forum présenté à Tokyo lors de la dernière réunion du G7 par Mario Draghi, gouverneur de la banque centrale d’Italie. En dehors des mauvaises pratiques sur le marché américain des subprimes, désormais connues, le rapport mentionne trois problèmes spécifiques :
1. Les insuffisances des établissements financiers dans leurs pratiques de gestion du risque, et en particulier une compréhension insuffisante de l'exposition au risque d’illiquidité et au risque de marché ;
2. Les déficiences des pratique de surveillance, et notamment une confiance excessive et mal placée dans les agences de notation financière ;
3. Les informations insuffisantes sur les liens entre les actifs inscrits au bilan et ceux qui n’y sont pas.
Bien sûr, il s’agit seulement de causes immédiates, et le rapport demande pourquoi les institutions financières ont-elles fait de telles erreurs ? À cette question il apporte deux réponses.
Première réponse, des erreurs de jugement. Vu le rythme rapide des innovations financières, même les investisseurs les plus avertis n'ont pas toujours compris les risques associés aux instruments qu’ils créaient. Les implications systémiques de ces montages financiers ont été encore plus mal comprises. Probablement, bien que le rapport ne le dise pas, les investisseurs ont été conduits à surestimer collectivement la capacité des marchés financiers à absorber des chocs.
Deuxième réponse, les distorsions systématiques des mécanismes d’incitation. Tout d’abord, le modèle « originate and distribute » (faire des prêts et immédiatement vendre les créances) induit un problème évident d’aléa moral. Ensuite, les agences de notation financière font face à un conflit d'intérêts. Enfin, les modèles de rémunération managériale récompensent des comportements myope dans la prise de risque ; il est rationnel de vous sous-assurer contre des événements perturbateurs rares si votre bonus ne dépend que des résultats à court terme.
Tout cela est exact, et loin d'être insignifiant. Mais ce n'est qu’une partie de l'histoire. L'autre partie est que la supervision bancaire n'a rien empêché. Chacune des causes énumérées ci-dessus auraient pu être empêchée, ou pour le moins atténuée, par un système de supervision plus actif. Les autorités de contrôle n'ont pas découragé la prise de risque hors bilan, bien que celle-ci ait souvent été induite pour contourner les réglementations. Elles ne se sont pas soucié, voire ont purement et simplement ignoré le fait que les bilans des banques risquaient d’être plombés par de considérables pertes potentielles. Les risques d’illiquidité et de marché (par opposition au risque de défaut des établissements pris individuellement) ont été négligés.
S’assurer que les complexes établissements financiers modernes gèrent sainement leurs risques est une responsabilité conjointe du management de ces établissements et des autorités de supervision. Si la gestion du risque se révèle défaillante, c'est un échec commun, et pas simplement celui des responsables des établissements financières. Il est donc tout aussi important de se demander pourquoi la supervision a échoué que de se demander ce qui s’est passé dans les établissements financiers privées. Posons donc la question : pourquoi la supervision a-t-elle échoué ?
Deux réponses peuvent être données. La première est la combinaison d’une inertie bureaucratique et d’un manque de lucidité. Le rythme rapide des innovations financières peut avoir trompé des autorités de supervision bien intentionnées, tout comme c’est arrivé aux investisseurs les plus avertis. Personne, du patron de banque aux fonctionnaires en charge de la supervision, n'a entièrement compris les risques énormes qui s’accumulaient dans ces instruments financiers complexes. De plus, principalement préoccupées par le respect des ratios prudentiels. les autorités de réglementation et de supervision se sont montrées trop lentes à adapter leurs priorités et leurs pratiques aux nouveaux dangers : le manque de liquidité et le risque de marché. Elles n’ont pas eu de chance, parce que la crise financière les a surprises juste dans la transition entre Bâle I et Bâle II. Il est possible qu’un an plus tard les superviseurs auraient mieux identifié les points faibles du système et auraient pu y remédier. Enfin, la légèreté de la supervision pourrait traduire une confiance excessive dans les capacités autorégulatrices des institutions financières modernes, associée à la conviction idéologique que le plus grand danger à éviter est l’excès de réglementation.
Cette explication de l’échec de la supervision est plausible et il est probable que certains de ses éléments soient vrais. Mais elle est insuffisante. En fait, l’information était abondante et tout à fait disponible, et il n’a pas manqué de signaux avertissant que les investisseurs aussi bien que les autorités faisaient preuve de laxisme. Mais cette information n'a pas été prise en compte. Cela suggère que d’autres forces ont joué.
La deuxième réponse possible concerne les mécanismes d’incitation au sein des organismes de supervision. Tout comme les dirigeants des établissements financiers dont ils ont la charge, les dirigeants des organismes de supervision répondent à des incitations,. Le suspect principal, ici, c’est la concurrence entre réglementations nationales. L’imposition de procédures fiables de gestion de risque augmente les coûts de fonctionnement des établissements financiers. Il est probable que le laxisme des pratiques et des normes de supervision reflète un souci de ne pas pénaliser les établissements du pays par rapport à la concurrence étrangère, voire la crainte de voir certains établissements financiers faire migrer une partie de leurs affaires sous d’autres cieux, là où les régulateurs sont moins sourcilleux.
Que peut-on faire pour remédier à ces problèmes d'incitation et réussir une coordination internationale plus efficace de la supervision bancaire ? Jusqu'à un certain point, la réponse ne peut être fournie que par les autorités de supervision elles-mêmes, avec des détails techniques et concrets. Mais quoi qu’elles fassent, cela ne résoudra pas complètement le problème. Le cadre des accords de Bâle a été conçu pour réduire les aspects les plus nuisibles de la concurrence entre règlementations. Mais alors que Bâle I est fondé sur des objectifs chiffrés, le mode de supervision plus flexible de Bâle II laisse beaucoup de discrétion aux autorités. Cela veut dire que les distorsions causées par la concurrence entre règlementations ne disparaîtront pas avec Bâle II. Il ne suffira pas de s’accorder sur la nécessité pour les banquiers de développer de meilleures pratiques de gestion du risque et sur l’obligation pour eux de détenir des liquidités suffisantes. Il faut aussi se demander si les superviseurs nationaux, agissant unilatéralement, auront le courage et les incitations nécessaires à entreprendre des actions efficaces en cas de besoin. Si les incitations étaient trop faibles avant la crise actuelle, elles le resteront quand l’orage sera passé.
Une coordination mondiale du contrôle de banque ne peut être atteinte que de manière informelle, mais l'Europe peut être beaucoup plus ambitieuse. Le temps est venu de penser à remplacer les organismes de réglementation et de supervision nationaux par une agence européenne. Outre le très important problème de concurrence entre règlementations nationales, il y a d’autres raisons importantes pour créer une telle autorité. Il est presque évident que les opérations bancaires transfrontalières exigent une forme de contrôle transnational ou international. De plus, même si une expertise à l’échelle nationale reste nécessaire, les montages financiers modernes sont devenus si complexes qu'on peut réaliser des économies d'échelle significatives en concentrant l'expertise nécessaire dans une seule agence de contrôle.
On toujours doit se méfier des décisions prises dans l’urgence pour remédier à une crise, parce que la probabilité de commettre des erreurs est alors très élevée. Mais les arguments en faveur de la création d’une autorité bancaire européenne sont sérieux. La crise et l'échec des organismes nationaux fournissent une occasion unique de surmonter les obstacles bureaucratiques et politiques à cette innovation institutionnelle.
Une version anglaise de cet article est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU
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