Cynisme et géopolitique: le Venezuela au Conseil des Droits de l’Homme edit
C’est un succès pour Nicolas Maduro que d’être resté au gouvernement aussi longtemps et d’avoir gagné la lutte pour le pouvoir contre le président opposant Juan Guaidó, dont les possibilités de renverser le régime sont de plus en plus faibles. Guaidó compte certes sur le soutien de plus de 50 pays, mais le temps joue en la faveur du régime de Maduro qui est incapable de régler le moindre des problèmes gravissimes qui affligent son pays, mais est efficace dans sa politique diplomatique à l’ONU aux côtés des pays du Sud contre les États-Unis et contre son rival Guaidó. Le 17 octobre, le Venezuela de Maduro a gagné un siège au Conseil des Droits de l’Homme de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) pour les années 2020-2022, avec 105 voix contre 96 pour le Costa Rica. Le fait que 105 pays soutiennent ce choix dès le premier tour du vote reflète un changement de position du Conseil en faveur de la Chine, de l’Inde, de la Russie et d’autres puissances émergentes qui dominent l’AG des Nations unies, ce qui a favorisé l’élection du Venezuela et du Brésil pour siéger au Conseil des Droits de l’Homme.
Cette décision a confirmé une fois de plus la politisation d’une institution dont les membres donnent plus d’importance à l’anti-américanisme qu’à sa raison d’être : la défense des Droits de l’Homme. Elle contredit également sa propre Résolution 39/1 demandant un rapport sur le Venezuela à Michele Bachelet, Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme de l’ONU.
Ce rapport , publié en juin 2019, met en évidence non seulement les graves atteintes aux droits politiques comme la liberté d’expression, de réunion et d’opposition si souvent dénoncées par des prisonniers politiques (torture, exécutions extra-judiciaires, etc.), mais également l’échec du respect des droits économiques et sociaux prônés par la révolution bolivarienne : le salaire minimum que Maduro vient d’augmenter ne couvre que 4,7% des besoins alimentaires de base, 10% (3,7 millions) de Vénézuéliens souffrent de malnutrition et, entre novembre 2018 et avril 2019 1557 personnes sont mortes dans les hôpitaux par manque d’infrastructures, de médicaments et d’électricité. Avec 81,4 homicides pour 100 000 habitants selon l’Observatoire vénézuélien de la violence, le pays est également en tête des pays d’Amérique Latine, région qui a un des taux d’assassinats les plus élevés au monde.
Quelle que soit la perspective idéologique, les faits décrits dans le rapport montrent les violations gravissimes des droits de l’homme perpétrées par le gouvernement Maduro. Quelle est donc la raison pour laquelle le Venezuela a été accepté comme membre du Conseil des Droits de l’Homme ?
Un motif stratégique possible pourrait être qu’il vaut mieux intégrer le pays et initier un processus de réformes que de le harceler et d’aggraver la situation. Un indicateur en faveur de cet argument pourrait être la promesse du gouvernement de Maduro d’améliorer la situation et la permission qu’il a accordée au Conseil pour réaliser des interviews des fonctionnaires et des représentants de la société civile, ce qui avait été refusé pendant des années a l’Organisation des États américains (OEA) que le Venezuela est en passe d’abandonner.
Une autre raison réside dans le poids symbolique du Venezuela (et de Cuba qui quitte le Conseil en décembre) et sa résistance aux pressions des États-Unis et aux nouvelles sanctions imposées par ceux-ci en août pour renverser le régime. Apparemment, les 47 pays qui participent au Conseil des Droits de l’Homme donnent plus de valeur aux démonstrations de force anti-hégémonique qu’à leur propre mission de veiller sur les Droits de l’Homme. En ce sens le Conseil est devenu le forum des pays du Sud qui représentent un ordre moins libéral et une nouvelle configuration de pouvoir aux Nations unies après le retrait de Donald Trump, d’abord de l’Unesco et ensuite du Conseil des Droits de l’Homme. Les États-Unis ont ainsi perdu leur voix et leur vote dans ces deux institutions, un signal supplémentaire de leur volonté de se retirer de l’ordre libéral et de leur déclin en tant que puissance hégémonique.
À la différence du Conseil de Sécurité qui reflète le vieil ordre transatlantique (avec la Chine et la Russie en plus), le principe d’« un pays, une voix » a permis une reconfiguration majoritaire de pouvoir au sein de l’AG des Nations unies et du Conseil des Droits de l’Homme. Dans la première les États-Unis et l’UE ne totalisent que 29 pays face aux 164 nations de l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine ; le Conseil des Droits de l’Homme est composé quant à lui par 13 pays européens (plus l’Islande qui occupe la place des États-Unis), 8 pays sud-américains, 13 africains et 13 asiatiques. Cette conjoncture favorise les intérêts du Venezuela, qui avait déjà intégré en deux autres occasions cet organe et dont le régime est très actif à l’ONU pour gagner des alliés et défendre une cause principale : se maintenir au pouvoir à tout prix.
Dans ce jeu de pouvoir il importe apparemment peu que le régime de Maduro viole les Droits de l’Homme et qu’il représente l’autoritarisme chaotique du gouvernement d’un État fragile au bord de l’effondrement. Le Venezuela n’est pas seul, mais plutôt bien entouré dans le Conseil des Droits de l’Homme par d’autres pays en délicatesse avec les droits de l’homme comme les Philippines (au Conseil jusqu’en 2021), le Nigeria (-2020), la République Démocratique du Congo (-2020), la Somalie (-2021), l’Arabie Saoudite, la Chine, l’Egypte et Cuba qui finissent leur mandat à la fin de l’année, et d’autres pays qualifiés d’autoritaires selon les indicateurs de la démocratie libérale construits en Europe et aux États-Unis, critères qui ont de moins en moins d’importance face à la domination des régimes non démocratiques.
Au Conseil des Droits de l’Homme le Venezuela devra faire face à l’Argentine (-2021), le Brésil (-2022) et le Chili (-2020) qui font partie du Groupe de Lima avec les États-Unis et qui soutiennent Guaidó; et les Bahamas (-2021) le Mexique (-2020), le Pérou (-2020) et l’Uruguay (-2021) un peu plus proches de Maduro.
Dans ce contexte, et au vu de problèmes internes considérables, cette « victoire historique » selon le chancelier vénézuélien Jorge Arreaza, est la seconde (après celle de l’alliance avec la Chine et la Russie et la résistance à la « communauté internationale » composée par l’Europe et les États-Unis) contre l’équipe de Guaidó qui est en passe de perdre la partie. C’est une nouvelle démonstration de la vision cynique et réaliste de la politique internationale comme jeu géopolitique, pour laquelle la morale et les droits de l’homme sont secondaires et ne comptent pratiquement pour rien. C’est également une indication de la division et de la polarisation au sein de l’AG des Nations unies et du Conseil des Droits de l’Homme entre les pays qui défendent une conception libérale individuelle de ces droits et ceux qui privilégient l’auto-détermination des peuples et leur souveraineté, avec la perte de crédibilité et de légitimité que cela comporte. Rappelons que le Conseil des Droits de l’Homme est né en 2005 comme une alternative à une Commission des Droits de l’Homme caduque et dominée par les États-Unis, dans le but de développer un monde plus juste et démocratique.
Cet article a été publié par notre partenaire Agenda Publica. Traduction : Isabel Serrano.
Profesora de Ciencia Política y Relaciones Internacionales en la Universidad Autónoma de Madrid
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