Les identités politiques négatives, clé des élections européennes? edit
S’il est vrai que les électeurs ont des niveaux d’identification avec les partis politiques de plus en plus faibles, on a tendance à oublier que le système des partis doit aussi être étudié dans sa dimension négative. Si la dimension positive fait référence à l’adhésion des électeurs, la dimension négative évoque la répulsion. C’est une importante distinction analytique, à laquelle les chercheurs n’ont commencé à prêter attention que récemment pour comprendre le panorama politique de pays comme le Brésil, le Canada et les Etats-Unis. Il se pourrait finalement que les identifications positives soient basses, mais que les identifications négatives soient élevées.
Si cela se révélait exact, les identifications politiques négatives pourraient avoir été la clé des résultats des récentes élections au Parlement Européen. Pour le déterminer, nous avons réalisé avec la Fondation Bertelsmann une étude basée sur une enquête de YouGov auprès de 23 725 électeurs dans douze pays européens, dans laquelle nous avons inclus des questions pour mesurer le phénomène de l’adhésion ou de la répulsion envers les partis politiques. Une identification politique positive est attribuée à ceux qui affirment qu’ils voteraient « dans tous les cas » pour ce parti aux élections européennes, nationales ou régionales. Une identification politique négative est attribuée à ceux qui affirment qu’ils ne voteraient « en aucun cas » pour ce parti. Le schéma ci-dessous montre le niveau moyen des identifications politiques positives et négatives pour chacun des six groupes principaux des partis européens que nous avons analysés.
Comme on pouvait s’y attendre, la majorité des partis ont peu de partisans fidèles (ceux qui étaient absolument sûrs de voter pour eux aux élections sur lesquelles ils étaient interrogés). En moyenne les partis politiques en Europe ont 6,3% de votants indéfectibles sur lesquels ils peuvent compter. Mais la majorité des partis européens sont rejetés par de nombreux électeurs : 48,8% des électeurs en moyenne. Le fait que l’adhésion négative soit élevée et que l’adhésion positive soit faible renforce l’argument selon lequel beaucoup de citoyens n’ont pas nécessairement voté aux élections du Parlement européen pour le parti qu’ils préfèrent, mais plutôt contre celui qu’ils détestent.
Bien que les adhésions partisanes positives soient bien moindres que les négatives, il faut remarquer que les partis populistes d’extrême-droite ont la plus importante proportion de votants avec une adhésion positive : 10,3%. Étant donné que ces partis défendent des idées controversées qui suscitent habituellement des débats polarisés, il n’est pas surprenant qu’ils puissent avoir une base de partisans loyaux. Ces votants éprouvent vraisemblablement de forts sentiments en faveur de l’agenda programmatique défendu par ces partis et, en conséquence, ils sont sûrs de voter pour eux dans chacune des trois élections mentionnées.
Le graphique ci-dessus révèle cependant qu’il existe des différences importantes entre les groupes de partis politiques lorsqu’il s’agit des niveaux d’identifications négatives. Les plus rejetés sont les partis d’extrême-gauche et d’extrême-droite. En polarisant la politique, les partis extrêmes ne génèrent pas seulement une base solide de partisans mais également un grand nombre d’opposants convaincus. De fait le groupe populiste de droite radicale est en moyenne le plus antipathique, avec des identifications négatives qui atteignent 52,8% du corps électoral. En même temps les partis populistes d’extrême-gauche ont une moyenne assez proche de 52,2% de détracteurs. Cela constitue une donnée importante qui montre que pour les partis établis, adopter la rhétorique et les propositions de ces groupes extrêmes est une stratégie à haut risque.
De leur côté les partis centraux ont en moyenne des niveaux plus faibles d’identification négative que les partis populistes situés aux extrêmes. C’est particulièrement vrai dans le cas des partis socialistes et sociaux-démocrates. Selon ces données, ces partis sont en bien meilleure situation que ne le pensent certains analystes. Après tout, le bas niveau d’adhésion négative implique que ce groupe de partis a en théorie plus d’espace pour croître que les autres groupements de partis. Mais cela signifie également que les idées défendues par ce groupe de partis génèrent moins de polarisation… ce qui peut également signifier que leurs thèmes principaux ne sont pas très mobilisateurs pour les électeurs.
Quelle lecture pouvons-nous faire des résultats de cette enquête par rapport à ceux des récentes élections européennes ? Nous pouvons en tirer deux leçons. En premier lieu les partis populistes, aussi bien d’extrême-gauche que d’extrême-droite, ont eu des résultats inégaux à travers l’Europe et cela ne semble pas être un hasard. En second lieu, on peut penser que l’augmentation de la participation électorale garde une relation directe avec la mobilisation des identités négatives : puisque d’importants segments de l’électorat rejettent les acteurs politiques situés aux extrêmes, il est logique d’en déduire que beaucoup de ces votants ont participé aux élections justement pour empêcher ceux qu’ils rejettent d’obtenir un bon résultat électoral.
Pour résumer, et dans le contexte de diminution de l’adhésion aux partis politiques dans toute l’Europe, la mobilisation des identifications négatives a joué un rôle très important. C’est dans la confrontation entre les partis établis et les partis populistes que l’activation des identifications négatives en Europe semble être de plus en plus forte. De ce point de vue et même si cela semble paradoxal, dans beaucoup de pays les gagnants des élections au Parlement européen n’ont pas été nécessairement les partis qui sont aimés des électeurs, mais plutôt ceux qui ne sont pas majoritairement rejetés et sont simultanément capables de politiser le malaise vis-à-vis des extrêmes.
Une version espagnole de cet article a été publié par notre partenaire Agenda Publica. Traduction Isabel Serrano.
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