Le mythe de l’État PS edit
La polémique enfle ces derniers jours : François Hollande renierait sa promesse d’être un président impartial, et multiplierait les nominations très politiques à la tête d’organismes publics. Qu’en est-il réellement ?
La plus sensible de ces nominations est sûrement celle de l’ancien directeur du cabinet de Lionel Jospin à Matignon à la tête du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). La parfaite symétrie avec son prédécesseur, ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin, nommé en janvier 2007 par Jacques Chirac, ne ferait qu’illustrer la continuité des pratiques entre l’État UMP et l’État PS. Sont également citées la désignation de Jack Lang à la présidence de l’Institut du monde arabe, celle d’un autre ancien député socialiste à la tête de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), tous deux à la place d’anciens députés UMP. On évoque aussi le choix de Jean-Pierre Jouyet, pour diriger à la fois la Caisse des dépôts et la nouvelle Banque publique d’investissements (BPI) ; on souligne sa grande proximité avec le chef de l’État… en oubliant qu’il avait « lâché » ses amis socialistes en devenant ministre des Affaires européennes de Nicolas Sarkozy en 2007. Est enfin mise en avant la tentative au résultat encore incertain du gouvernement français d’imposer à son partenaire allemand la désignation d’Anne Lauvergeon, ancienne sherpa de François Mitterrand et patronne d’Areva évincée par Sarkozy, à la présidence non exécutive du groupe aéronautique EADS, une fonction qui apparaîtrait cependant comme un lot de consolation pour celle qui pouvait rêver mieux.
Force est de constater que la liste n’est pas très longue à ce jour. Si l’on regarde la liste resserrée par la Révision générale des politiques publiques (RGPP) des directions générales (DG) d’administration centrale dans les ministères ou des postes équivalents (cf. tableau), un peu plus d’un tiers des postes (16 sur 45) ont changé de titulaires depuis mai 2012. Mais tous ces changements ne doivent pas faire l’objet d’une lecture politique. L’un correspond à un départ à la retraite, d’autres à un jeu de chaises musicales entre des fonctions de niveau équivalent. Sur les 15 sortants encore en âge d’y prétendre, 11 ont fait l’objet d’un reclassement immédiat dans des fonctions de responsabilité, même si, à l’image de la délégation interministérielle à la Sécurité routière offert à l’ancien DG de la Police nationale écarté par Manuel Valls, Frédéric Péchenard, elle n’ont pas le même prestige ; deux universitaires, Jean-Michel Blanquer (Éducation nationale) et Jean-Louis Mucchielli (Enseignement supérieur et recherche), ont été renvoyés à leur chaire ; seuls deux responsables très marqués par leur passage dans des cabinets de droite restent sans affectation ; l’ancien directeur de cabinet de Xavier Bertrand paie ainsi sa nomination tardive en février 2012 comme DG des Offres de soin au ministère des Affaires sociales et à la santé d’une éviction brutale.
Quant aux nouveaux titulaires, ils n’ont pas tous des profils politiques marqués. Même si cela n’épuise bien sûr les formes d’allégeance, on relève que si 6 sur 16 sont passés par des cabinets ministériels de gauche, il s’en trouve aussi 3 à être passés par des cabinets de droite et 7 par aucun. C’est plutôt dans les ministères « sociétaux » (Intérieur, Affaires sociales et santé, Éducation nationale, Enseignement supérieur et recherche, Culture) qu’il y a eu des changements susceptibles d’une lecture politique. À la Justice, aux Affaires étrangères ou à la Défense, la continuité l’emporte. La prudence est aussi frappante dans les ministères plus économiques. Au ministère de l’Agriculture, seule la moins stratégique DG de l’enseignement et de la recherche a changé de titulaire. Au ministère de l’Écologie et du développement durable, qui rassemble l’essentiel des attributions de l’ancien portefeuille de l’Équipement, les deux changements ne correspondent qu’à des mutations techniques. Au ministère du Travail, le DG reste en place, et la nouvelle déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle, si elle remplace un ancien des cabinets de droite, est elle-même l’ancienne directrice de cabinet du haut-commissaire d’ouverture Martin Hirsch. Au ministère de l’Économie et des Finances, seule la DG des Finances publiques a changé de titulaire, avec le remplacement en juillet 2012 d’un fonctionnaire réputé proche de Nicolas Sarkozy par un ancien du cabinet de Dominique Strauss-Kahn. Le DG du Trésor, ancien collaborateur de Sarkozy à l’Élysée, et le directeur du Budget, ancien conseiller de François Fillon à Matignon, restent notamment en poste. Au ministère du Redressement productif, Arnaud Montebourg s’est contenté d’un échange de titulaires entre les deux principaux postes de son administration centrale, la vice-présidence du Conseil général de l’Énergie, de l’Industrie, de l’Énergie et des technologies et la direction générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services, celle-ci revenant à un ancien conseiller technique de cabinets des gouvernements Alain Juppé. Il y a bien eu également dès juillet 2012 la nomination à la tête de l’importante Agence des participations de l’État (APE), qui gère pour les deux ministères l’ensemble des participations de l’État dans des entreprises, de David Azéma, passé au début des années 1990 par le cabinet de Martine Aubry ministre du Travail. Mais ce passé politique a été effacé par une longue carrière en entreprise, à la SNCF en particulier, et il remplace Jean-Louis Comolli, lui-même ancien des cabinets de Laurent Fabius et Michel Charasse devenu ensuite président d’Altadis.
Ce changement n’a guère eu de prolongement pour l’instant à la tête des entreprises contrôlées par l’État. Même si leur liste s’est beaucoup réduite avec les privatisations successives depuis 1986, celle-ci reste non négligeable : le rapport 2011 de l’APE recense près de 70 entreprises ou établissements publics. Ils sont certes d’importance très variable, d’EDF ou La Poste à divers aéroports provinciaux ou ports maritimes locaux. Mais force est de constater que l’impact de l’alternance y est à peu près nul. On ne relève guère que l’ancien directeur de cabinet de François Fillon recasé dès le mois de juin 2010 à la présidence de CNP Assurances, ou les nominations sans lecture politique d’hommes d’entreprises, un ancien directeur de cabinet de Gérard Longuet au ministère de l’Industrie devenu patron de Vivendi comme PDG de Thalès, un inspecteur des Finances qui a fait toute sa carrière dans le privé à la peu enviable présidence de la banque franco-belge en faillite Dexia, un autre inspecteur des Finances spécialiste des transports publics à la tête de Réseau ferré de France (RFF)…
Dans les grandes entreprises que l’État contrôle entièrement, les PDG en place semblent en situation d’aller au bout de leur mandat. C’est le cas à EDF d’Henri Proglio, pourtant très menacé par sa proximité avec Nicolas Sarkozy et son opposition affichée au reflux de l’énergie nucléaire : le « recasage » de sa rivale Anne Lauvergeon à EADS pourrait lui offrir un certain répit. À La Poste, le gouvernement socialiste ne remet pas en cause la prolongation de mandat que s’est offerte jusqu’en 2014, par dérogation à la limite d’âge de 65 ans, le PDG en place Jean-Paul Bailly. À la SNCF, Guillaume Pépy, ancien des cabinets socialistes, ne pourrait guère qu’être promu dans d’éventuelles autres fonctions plus prestigieuses… À la RATP, Pierre Mongin, ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, mais aussi ancien de la promotion Voltaire de François Hollande à l’ENA, n’est pas menacé. Chez Areva, le président du directoire Luc Oursel, ancien du cabinet de Pierre Joxe à la Défense, semble avoir surmonté le fait qu’il ait pu donner l’impression de « trahir » Anne Lauvergeon en acceptant de la remplacer, seul le poste de président du conseil de surveillance étant vacant. Dans l’audiovisuel public, le gouvernement ne peut faire autrement que d’attendre une réforme législative annoncée pour le courant de l’année qui, conformément à un engagement de François Hollande, redonnera le pouvoir de nomination des PDG au CSA. Les contestés Rémy Pflimlin (France Télévisions) et Jean-Luc Hees (Radio France) obtiennent donc un sursis.
Dans les autres grandes entreprises contrôlées par l’APE, l’État n’a plus qu’une participation minoritaire qui lui permet difficilement d’évincer un PDG en place. Carlos Ghosn, sans affiliation politique, résiste pour l’instant aussi bien à la fausse affaire d’espionnage qu’au sévère plan social imposé aux salariés chez Renault. Chez GDF-Suez, Gérard Mestrallet, ancien collaborateur de Jacques Delors, n’apparaît pas menacé malgré la contestation sur les tarifs du gaz et son dauphin au terme de son mandat en 2016 devrait être son vice-PDG Jean-François Cirelli, ancien directeur adjoint du cabinet de Jean-Pierre Raffarin à Matignon. Chez France Telecom et Air France, les anciens directeurs de cabinet de Christine Lagarde Stéphane Richard et Alexandre de Juniac, ont, du fait de leur nomination récente, une image de redresseurs de ces entreprises qui les met à l’abri.
Si cette énumération confirme que les cabinets ministériels de droite comme de gauche restent des tremplins efficaces à la tête des entreprises à participations publiques, rien ne permet d’annoncer que le cas d’Anne Lauvergeon annonce une nouvelle vague rose, qui n’a d’ailleurs jamais vraiment existé, même en 1981-1982 : s’il s’était alors trouvé quelques anciens fonctionnaires proches du parti socialiste promus comme Loïc Le Floch-Prigent (Rhône-Poulenc) ou Jean Peyrelevade (Suez), le gouvernement Mauroy s’était surtout appuyé sur des personnalités confirmées de l’industrie, comme Roger Fauroux (Saint-Gobain), Raymond Lévy (Usinor) ou Georges Besse (Pechiney). Et c’était le directeur du Trésor sous Raymond Barre, Jean-Yves Haberer, qui, après avoir assuré la transition pendant un an, avait été nommé PDG de la Compagnie financière de Paribas nationalisée.
On retrouve là une tendance générale : les nouveaux gouvernants, surtout si en 1981 comme en 2012, ils n’ont qu’une faible expérience ministérielle, ont d’abord besoin de s’appuyer sur l’expérience des serviteurs de l’État en place. Ceux même marqués par leurs liens avec l’équipe précédente ont leurs chances s’ils se montrent loyaux. Seules quelques têtes symboliques sont coupées, ce qui suffit à nourrir une polémique habituelle de la part de l’opposition. Ce n’est que dans la durée qu’une majorité imprime une orientation politique dominante dans les emplois publics supérieurs. La droite a eu largement le temps de le faire en dix ans, la gauche mettra plusieurs années à déplacer sensiblement le curseur.
Tableau : Changements de directeurs généraux ministériels ou équivalents, mai 2012-janvier 2013
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)