Pedro Sánchez et le défi du gouvernement edit
L’arrivée au pouvoir de Pedro Sánchez et des socialistes le 1er juin dernier à la faveur de la censure du gouvernement Rajoy marque un tournant dans la vie politique espagnole. Reste à savoir sa portée et à évaluer ses possibilités de mener à bien une politique sensiblement différente de celle de son prédécesseur conservateur.
Confronté aux mêmes défis, et au premier rang l’inextinguible question catalane, Pedro Sánchez peut-il gouverner alors qu’il est en position de faiblesse par rapport aux partenaires politiques qui l’ont accompagné dans la censure ? Si la Constitution fait de la censure un instrument positif – il ne s’agit pas seulement de renverser le gouvernement, il faut investir un nouveau président du Conseil –, le vote du 1er juin a d’abord été un vote de censure classique. Les non à Rajoy se sont coalisés et ils ont été les plus nombreux. Mais ils ne forment pas une majorité parlementaire. Aux 84 députés socialistes et aux 69 élus de Podemos (153 au total) qui sont la base de cette nouvelle majorité, s’ajoutent les élus indépendantistes catalans (8 du PdeCAT [Puigdemont], 9 de ERC [Junqueras]), les 5 nationalistes basques du PNV et 2 députés de EH-Bildu, une branche radicale et indépendantiste du nationalisme basque, ainsi qu’un nationaliste canarien. L’assemblage est hétéroclite.
Le renversement de Mariano Rajoy a eu deux conséquences majeures : l’élection d’un nouveau leader du Parti Populaire (PP), Pablo Casado, qui revendique l’héritage de José María Aznar contre la voie temporisatrice de Rajoy, et la crispation de la vie politique. On en a eu un exemple vendredi 12 octobre dernier : lorsque le président Sánchez est arrivé pour le défilé des forces armées en ce jour de fête nationale, il a été conspué par une partie de la foule qui s’époumonait « Okupa » (« squatteur ») et « Élections maintenant ! ». Il est vrai que le mois de septembre a été redoutablement difficile pour le gouvernement : la ministre de la Santé a dû démissionner après qu’elle a été accusée, à raison, de plagiat pour son master ; la ministre de la Justice est empêtrée dans un scandale d’enregistrements de conversation qui font affleurer des conversations plus qu’imprudentes de sa part lorsqu’elle était magistrate ; le ministre de la Science, l’astronaute Pedro Duque, a été soupçonné, à tort, d’optimisation fiscale frauduleuse. Et pour couronner le tout, la thèse de Pedro Sánchez (il est docteur en économie) a fait l’objet d’accusations de plagiat. Elles ne sont pas toutes établies mais la thèse a perdu depuis toute crédibilité : entre un jury de complaisance et une compilation sans génie de données officielles, elle ne peut prétendre être une thèse, au mieux un rapport administratif. L’ambiance est donc violente, délétère et elle n’honore pas une classe politique et médiatique qui se complaît dans la polémique futile et stérile.
C’est dans ces conditions de fragilité que Pedro Sánchez doit affronter les deux questions majeures : la Catalogne et le budget 2019.
Pour la Catalogne, l’automne est chargé d’émotions. Les indépendantistes qui masquent de plus en plus mal leurs divisions se raccrochent au seul capital politique qui leur reste : la mobilisation des émotions. Le souvenir du référendum du 1er octobre 2017 a été célébré. La déclaration d’indépendance du 27 octobre le sera immanquablement. Mais le 12 octobre, les constitutionnalistes ont rassemblé près de 300 000 personnes à Barcelone en faveur de l’unité nationale (65 000 selon la Guardia Urbana de la ville qui donne systématiquement ce chiffre pour les manifestations anti-indépendantistes !). Enfin, le Tribunal suprême prépare le procès des leaders indépendantistes qui devrait avoir lieu à partir de janvier ou février 2019. La tension sera alors à nouveau portée à son maximum. Pour autant, rien ne bouge en apparence. Les postures restent figées. Les appels au dialogue du président Sánchez autour d’une amélioration de l’autonomie catalane tombent à plat. Le président de la Generalitat, Quim Torra, pose un ultimatum à Sánchez : un référendum d’autodétermination négocié ou les députés du PdeCAT laisseront tomber son exécutif à Madrid. Esquerra Republicana (ERC) vient de préciser la menace : ou le gouvernement donne des ordres pour que l’accusation contre les leaders indépendantistes soit abandonnée ou les 9 députés de ERC voteront contre le budget.
Et c’est là que se nouent ensemble la question catalane et la question budgétaire. Une sorte de pacte de « législature » (il reste une vingtaine de mois) a été signé avec Podemos. La gauche de Pablo Iglesias soutiendra le budget (ils ont obtenu une substantielle hausse du salaire minimum) et celui-ci sera clairement anti-austéritaire. Mais la ministre du Budget, l’eurocrate Nadia Calviño, entend protéger l’accord avec la commission de Bruxelles. L’équation est un peu compliquée. Toutefois, Madrid se trouve involontairement aidée par Rome dont le projet de budget accapare toutes les craintes. Du coup, le budget espagnol est loin de paraître horrifiant !
Mais Pedro Sánchez a besoin d’au moins 171 voix (la somme PP + C’s est à 170). Les 153 voix du bloc de gauche ont un besoin vital des dix-sept élus du PdeCAT et de ERC. Et si ces voix sont gagnées, il ne faut pas perdre en route celle du PNV, le parti basque plutôt de centre-droit (on sait actuellement que le PP tente de faire pression sur les Basques via les milieux économiques).
On pourrait penser que cette négociation budgétaire est somme toute banale. Il faut distribuer les ressources en combinant l’efficacité politique et l’efficacité économique. Ces arbitrages d’allocations des ressources sont le B.A.BA de la politique. Là où les choses se compliquent, et j’allais dire se compliquent structurellement, c’est qu’en Espagne la négociation devient asymétrique.
Il ne s’agit pas seulement de favoriser telle ou telle région (le budget prévoit un surplus d’investissement en Catalogne de 2,2 milliards d’euros), telle ou telle catégorie sociale. Avec un Parlement qui reflète l’éclatement des grands partis et la poussée des groupes spécifiques, l’exercice dérive du clientélisme traditionnel au chantage entre des parties de l’Espagne et la Nation. Or, Pedro Sánchez est trop faible pour s’opposer à ces formes de chantage – le discours des élus catalans est désormais organisé autour d’ultimatums parlementaires – et, pire encore, il doit composer avec un PP prêt à la politique du pire pour le fragiliser.
Le PSOE joue son avenir de parti de gouvernement. Le 2 décembre prochain, des élections régionales andalouses donneront une idée des effets concrets du leadership de Pedro Sánchez chez les électeurs. Mais, outre que la fédération andalouse est dirigée par Susana Diaz, l’ennemi nº 1 de Sánchez, ces élections concernent un fief du PSOE. Tout recul rappellera que le parti reste un grand malade fragile malgré la reconquête de la présidence du gouvernement.
Si Pedro Sánchez doit subir un revers en Andalousie et une défaite au Parlement, alors le PSOE se présentera en position de faiblesse aux scrutins de 2019 (municipal, régionaux, européen et peut-être général). La politique espagnole nous promet encore de belles montagnes russes !
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