Comment Royal a perdu son avance technologique edit
Ségolène Royal vient de vivre une semaine politique difficile, une de plus. Alors qu’elle avait réussi une rentrée fracassante en lançant la fronde contre la taxe carbone, elle semble avoir moins bien choisi son terrain lorsqu’elle a saisi au bond la balle lancée par les auteurs de Hold-uPS, arnaques et trahisons. Elle a déclenché un tir de barrage dans son parti comme on n’en avait pas vu contre elle depuis le calamiteux Congrès de Reims en novembre 2008. En effet, personne au PS, y compris parmi ses soutiens d’alors, n’a envie de voir porter devant la justice les arrangements internes avec la démocratie qui sont d’usage dans ce parti depuis des lustres.
Deuxième épisode de cette septimana horribilis, le lancement totalement raté de la nouvelle version de son site Internet. Non seulement ce nouveau site ressemble à un modèle vintage des années 1990, autant dire un siècle à l’échelle d’Internet, mais en plus il a mal fonctionné pendant plusieurs jours après son lancement officiel. Cerise sur le gâteau, le site aurait été « conçu » par le nouveau compagnon de Ségolène Royal et la facture (de plus de 40 000 euros) envoyée à Pierre Bergé, son mécène officiel, qui aurait refusé de la payer. Un fiasco technique et médiatique pour celle qui passait, depuis sa campagne high tech de 2007, pour une véritable Madone 2.0 auprès des ravis de la crèche numérique. La rupture semble aujourd’hui consommée puisqu’elle a même évoqué un « puissant lobby internet » pour dénoncer les critiques qui lui ont été adressées sur le sujet.
Enfin, la presse nous apprenait la même semaine que Ségolène Royal était lâchée de toutes parts, y compris par les plus fidèles de ses amis politiques. La « Fête de la Fraternité » qu’elle organisait à Montpellier le week-end du 19-20 septembre a d’ailleurs fourni aux observateurs un témoignage probant de ce nouvel isolement puisque seul un dernier carré de grognards des campagnes passées entourait l’ancienne candidate au milieu de 3000 supporters enthousiastes.
Bref, à écouter les commentaires médiatiques, Ségolène Royal semble avoir perdu en même temps que son combat dans le parti, son avance technologique et ses derniers soutiens de poids. L’hypothèque Royal qui pèse sur le PS depuis 2006 serait donc en voie d’être levée.
Il y a pourtant une autre lecture de la « séquence » médiatique intense que vient de vivre celle qui en est, rappelons-le, une grande habituée. Ségolène Royal vient en effet de passer plus d’une semaine à la « une » des médias : reportages, entretiens, brèves, gros titres, buzz sur internet… Elle y a été plus présente qu’aucun autre responsable politique pendant la même période, à l’exception sans doute de Nicolas Sarkozy. Or cette présence médiatique pourrait bien ne pas nuire à Ségolène Royal, au contraire.
Voilà en effet une « séquence » assez conforme à l’utilisation des médias telle que l’a toujours pratiquée Ségolène Royal. Les conditions de son succès en la matière sont réunies une fois de plus. Qu’il s’agisse de son attaque en piqué contre le PS, du ratage de son site internet ou du lâchage de certains de ses proches, elle est apparue toute la semaine à la fois comme une victime et une combattante. Il s’agit d’une triple posture qu’elle a déjà beaucoup pratiquée et qui lui a plutôt réussi – jusqu’à un certain point du moins puisqu’elle n’a pu, pour le moment, ni être élue présidente de la République ni même désignée à la tête de son parti.
Que restera-t-il de la polémique sur les fraudes au PS, même si l’on considère qu’elle l’a instrumentalisée à son profit puisque chacun, y compris elle, savait très bien à quoi s’en tenir depuis le congrès de Reims et qu’il n’y a aucune « révélation » dans le livre des deux journalistes ? Sinon qu’un appareil partisan a choisi de sauvegarder à tout prix la paix armée en son sein entre grandes fédérations et grands barons – ceux qui s’arrangent si facilement et depuis si longtemps avec les règles de démocratie interne. Compte tenu de la faible considération pour les partis politiques en général et pour le PS en particulier dans l’opinion publique, il n’est pas tout à fait sûr que Ségolène Royal, largement condamnée pour son attitude dans cette affaire par les militants et les élus socialistes, n’ait au final marqué des points dès que l’on sort de la rue de Solferino.
L’affaire du site internet a intéressé une communauté certes bruyante et prompte à dénoncer la rupture avec ses propres codes sociaux. Mais ces gardiens du temple numérique qui décident mode après mode des canons de la modernité technologique et « font » la tendance, en influençant visiblement beaucoup les journalistes, ne pèsent au final pas très lourd politiquement.
Ségolène Royal n’a bien évidemment pas renoncé à son ambition présidentielle. Seule une défaite, improbable, aux élections régionales de 2010 pourrait l’arrêter dans sa course. Mais qu’on ne se méprenne pas ici sur le sens de notre propos : si l’ambition présidentielle, sous cette forme tenace notamment, est une condition indispensable pour devenir président de la République, elle n’est pas une condition suffisante. Pour réussir en 2012, Ségolène Royal devra, notamment, montrer bien d’autres qualités que celles que l’on a brièvement rappelées ici. Elle devra évidemment mieux utiliser les ressources partisanes qu’elle néglige si consciencieusement. Elle devra surtout proposer aux Français un projet de société qui aille au-delà de sa personne et d’une histoire sans cesse sur-jouée de Jeanne-d’Arc de l’âge post-moderne. La consistance politique est une denrée plus rare que l’habileté médiatique mais sans doute aussi une meilleure arme pour gagner l’élection suprême, surtout par gros temps.
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