Du discours en politique edit
La politique est d’abord une activité belliqueuse. Comme la guerre, elle exige de ceux qui aspirent aux plus hautes responsabilités qu’ils possèdent un charisme, une capacité de leadership qui leur permettent à la fois de donner confiance à leurs troupes et de les mobiliser à la veille du combat. Le moyen le plus ancien et le plus efficace de montrer cette capacité est la harangue ou le discours. C’est par le discours que le chef, en s’adressant directement à ses troupes, peut s’imposer à elles et les mener au combat. C’est cette capacité qui semblait manquer ces derniers temps à François Hollande et qui provoquait un certain flottement chez ses partisans. Par un seul discours, celui qu’il a prononcé le 22 janvier dernier au Bourget, il a balayé les interrogations de son camp et assuré son leadership. Il est enfin apparu comme un chef.
Il n’y a pas lieu d’analyser ici longuement l’alchimie politique qui est à l’œuvre dans la production d’un bon discours politique mais il apparaît à l’évidence que le discours de François Hollande en fut un. Sur le contenu du discours lui-même, il a voulu, en se faisant le chantre du « récit républicain », incarner la République et la Nation : « je suis venu vous parler de la France ». « La France toujours. » « Présider la République, c’est porter les valeurs de la France dans le monde. » « La France n’est pas un problème. La France est la solution. » Il a voulu ainsi soulever un espoir : « Eh bien le changement, le changement, c’est maintenant ! Le redressement c’est maintenant ! La justice c’est maintenant ! La République c’est maintenant ! » « Le changement, j’y suis prêt ». Mais ce qui fait la force du discours, ce n’est pas les mots eux-mêmes mais la manière dont ils sont prononcés. Ces mots doivent donner à ceux qui les entendent l’envie d’adhérer au message qu’ils contiennent. La véritable alchimie réussie, elle est là, c'est-à-dire dans la capacité du locuteur à habiter son propre discours, à lui donner de la chair, de la crédibilité, à lui donner le pouvoir de faire naître la confiance. De ce point de vue, François Hollande semble avoir réussi cette alchimie. En une heure et demie de discours, ses partisans se sont trouvés revigorés et prêts à en découdre. Le 18 décembre 2006, Nicolas Sarkozy avait réussi la même alchimie avec son discours dédié à « la France qui souffre » qui ouvrit magistralement sa campagne présidentielle et dans lequel il prononça son fameux slogan, « travailler plus pour gagner plus ».
Qu’il s’agisse du combat politique ou du combat militaire, le discours soude les troupes à leur chef, leur insuffle espérance et confiance. Tous les auteurs anciens ont insisté sur son importance avant la bataille, qu’il s’agisse d’historiens ou de dramaturges. Thucydide, dans son histoire de la guerre du Péloponnèse, restitue le discours par lequel Périclès entraîna Athènes à rompre la trêve avec Sparte : « Pensez seulement à nos pères, qui se sont dressés contre les Mèdes. (…) Ils ont, plus par la volonté que par la chance, et avec plus d'audace que de puissance, repoussé le Barbare. (…) Eh bien ! il ne faut pas déchoir : il faut, par tous les moyens, nous défendre contre nos ennemis et nous efforcer de transmettre cet héritage à nos descendants sans qu'il ait été amoindri. » Selon Plutarque, un roi de Sparte demanda à Thucydide lequel de lui ou de Périclès était le plus fort à la lutte. Celui-ci répondit : « Quand je lutte avec Périclès, je le jette à terre, mais Périclès arrive à convaincre les spectateurs que c’est lui qui m’a mis à terre. »
En 1796, entamant sa campagne d’Italie, Bonaparte prononça sa fameuse harangue : « Soldats vous êtes nus, mal nourris. Le gouvernement vous doit beaucoup. Il ne peut rien vous donner. Votre patience et l'ardeur que vous montrez du haut de ces rochers sont admirables mais ne vous procure aucune gloire ; aucun éclat ne brille sur vous. Je veux vous emmener dans les plus fertiles plaines du monde, vous y trouverez gloire, honneur et richesse. »
Et Shakespeare met dans la bouche de Henry V, à la veille de la bataille d’Azincourt, cette harangue tout aussi fameuse : « Et les gentilshommes aujourd'hui dans leur lit en Angleterre regarderont comme une malédiction de ne pas s'être trouvés ici, et feront bon marché de leur noblesse, quand ils entendront parler de ceux qui auront combattu avec nous au jour de la Saint-Crépin ! »
L’appel du 18 juin du général de Gaulle reste dans toutes les mémoires : « Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. »
En politique, historiquement, le discours a joué un rôle tout aussi important que dans la guerre. Ainsi, le « je vous ai compris » du discours du général à Alger le 4 juin 1958. De même, en mai 1968, il lui a suffi de prendre la parole pour mettre fin à la crise politique : « Étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine (…) j'ai pris mes résolutions. (…) Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. J'ai un mandat du peuple, je le remplirai. Je ne changerai pas le Premier ministre. (…) Je dissous aujourd'hui l'Assemblée nationale. » Et qui, enfin, ne se souvient du discours inaugural de John Kennedy en 1961 : « Vous qui, comme moi, êtes américains, ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. »
Ainsi le leadership ne se conquiert pas seulement par des actes mais aussi par des mots, des mots qui s’adressent non pas à la raison mais au cœur, comme on disait jadis. Les hommes politiques ne doivent jamais l’oublier. Certes, les programmes sont importants. Mais la politique, comme la guerre, est d’abord une affaire humaine où les émotions jouent un rôle capital. Réussir un grand discours c’est déjà prendre une option sur la victoire.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)