Du Sénat à l’Élysée ? edit
La conquête du Sénat par la gauche est un événement politique de première importance. Il doit être interrogé de trois manières. Ce qu’il traduit de l’évolution du corps électoral français, ce qu’il nous dit des élections de l’an prochain, et ce qu’il change dans la perspective d’un prochain exercice du pouvoir de la gauche.
La poussée de la gauche, et d’abord du Parti socialiste, qui gagne 19 sièges sur un solde de 25 sièges gagnés par la gauche et détient 80% des sièges de cette gauche, est générale. Elle se fait sentir en particulier dans les plus vieux bastions de la droite où la tradition catholique était forte, en Lozère, dans le Morbihan et dans le Maine et Loire par exemple. La droite ne peut plus compter sur les campagnes conservatrices pour équilibrer une France urbaine de plus en plus orientée à gauche, notamment la région parisienne où la gauche a gagné cinq sièges et où la reconquête de la capitale par la droite paraît compromise. Le Sénat ne pourra plus être accusé par la gauche de représenter d’abord une France rurale conservatrice.
Cette poussée de la gauche confirme ce que les sondages nous disent jour après jour et ce que les élections locales de l’an dernier ont montré clairement, à savoir que le pouvoir en place ne parvient pas à reprendre la main politiquement. Les divisions de la droite dans ces élections confirment la perte de contrôle de l’Elysée sur ses propres troupes et l’échec de l’UMP à constituer l’organisation politique adéquate pour rassembler les différentes sensibilités de la majorité présidentielle – si celle-ci existe encore ! La perte de crédibilité de Nicolas Sarkozy, qui annonce sa probable défaite l’an prochain, pousse à la désintégration de la droite. Après avoir condamné la primaire socialiste, il faudra bien, si elle est battue, qu’elle réfléchisse à l’adoption pour elle-même d’une telle procédure pour 2017, l’UMP ayant échoué à être le grand parti capable de l’organiser et de la discipliner.
La victoire sénatoriale de la gauche confirme que les Français souhaitent le changement politique et donc l’alternance, et la victoire sénatoriale de la gauche semble annoncer les victoires présidentielle et législative de l’an prochain. Certes, les enjeux et les candidats ne seront pas les mêmes et beaucoup dépendra de la qualité de la campagne du candidat socialiste et de la relation qu’il entretiendra avec son parti. Mais désormais, c’est la gauche qui occupe la position de favori.
Du coup, le basculement du Sénat est d’une importance capitale. En effet, si demain la gauche arrive au pouvoir, elle ne devra pas craindre, pour la première fois sous la Ve République, l’opposition d’un sénat « conservateur » qui pourrait empêcher, comme par le passé, toute réforme constitutionnelle voulue par elle. Mais paradoxalement, ce nouvel équilibre politique, qui lui donnerait cette fois l’essentiel du pouvoir, lui imposerait le respect d’une éthique politique, dont elle n’avait pas eu à faire montre dans le passé, pouvant prendre comme excuse – le plus souvent réelle – la présence de ce Sénat conservateur. Cette éthique nouvelle devrait s’exprimer sur quatre terrains.
D’une part, la gauche ne pourra plus biaiser avec son rapport à la Ve République et devra dire ce qu’elle veut véritablement changer et conserver de l’actuelle constitution, ayant les moyens politiques de faire passer, éventuellement par référendum, après le vote dans les mêmes termes des deux assemblées, une révision constitutionnelle.
D’autre part, elle pourra, ne craignant plus un Sénat conservateur qui l’obligerait à se servir de toutes les armes du parlementarisme rationnalisé pour faire passer ses projets de loi, opérer dans la pratique le changement fondamental qu’elle réclame depuis 1958-1962, dans le sens de la création d’un véritable pouvoir parlementaire, création, qui sera alors facilitée, soit dit en passant, par la réforme constitutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy en 2008. Les deux assemblées de gauche, dans l’hypothèse d’une victoire l’an prochain, seront donc au pied du mur et devront faire la preuve à la fois de leur volonté et de leur capacité à bâtir ce pouvoir nouveau du Parlement.
Enfin, il est possible que le vote à gauche de nombreux grands électeurs sénatoriaux sans étiquette ait été dû à la réforme des collectivités territoriales qui, en supprimant des sièges de conseillers généraux, a déplu aux élus locaux. Il faut espérer que la gauche au pouvoir, qui semble désireuse, à juste titre, de renforcer la décentralisation, n’ira pas, par démagogie électorale, remettre en cause les dispositions de cette loi qui ont pour but de mieux définir les compétences respectives du département et de la région et qu’ils ne rétabliront pas les sièges de conseillers généraux supprimés par cette loi, alors qu’une vision cohérente et adéquate de la régionalisation doit logiquement aboutir à réduire l’importance des départements.
On le mesure, les enjeux des prochaines élections sont multiples. Ils ne sont pas seulement électoraux, ils sont également de nature institutionnelle. Si la gauche gagne l’an prochain, nous saurons peut-être si elle est enfin décidée, et à quelles conditions, à accepter un compromis définitif avec la Ve République et si la poursuite de la décentralisation qu’elle opèrera sera d’abord ou non dictée par des motifs de rationalisation, d’efficacité et d’économie des deniers publics.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)