La droite en péril edit
L’impopularité croissante de Nicolas Sarkozy et la montée en puissance de Marine Le Pen focalisent l’observation sur l’élection présidentielle. Pour une excellente raison : des trois scénarios possibles du second tour de l’élection présidentielle à venir, deux sont mauvais pour le président sortant.
L’un d’eux, catastrophique, est l’élimination dès le premier tour du candidat soutenu par l’UMP, une situation improbable mais pas exclue. L’autre est une défaite au second tour face au candidat socialiste, qui serait due pour partie aux mauvais reports des voix du Front national du premier tour, dans la mesure où il faut s’attendre à ce que la défaite de Nicolas Sarkozy soit l’objectif prioritaire de ce parti. Mais le troisième scénario, le « bon scénario » pour le président sortant, n’est pas lui-même aussi bon qu’il y paraît. Certes, il gagnerait largement un duel de second tour contre la candidate du Front national. Mais une fois élu, si le Front national parvenait dans la foulée de l’élection présidentielle à maintenir au second tour des élections législatives un grand nombre de ses candidats – ce qui parait possible puisqu’il faut atteindre 12,5% des inscrits soit, sur les suffrages exprimés, autour de 18-20% au premier tour, c'est-à-dire un niveau possible aujourd’hui pour le Front national – ce parti pourrait faire battre la majorité sortante et donner la victoire législative au PS, ce qui conduirait à une nouvelle cohabitation avec un gouvernement socialiste.
L’ensemble de ces scénarios montre qu’au-delà de la personne de Nicolas Sarkozy, la droite parlementaire est confrontée aujourd’hui à un problème stratégique majeur, problème qui apparaissait déjà avant la victoire de l’actuel président mais que celui-ci avait réussi à repousser grâce à sa brillante campagne et à sa nette victoire de 2007. Il ne s’agit donc pas seulement dans l’avenir d’une question de personne mais d’une question de structure de l’électorat français.
La situation de l’UMP ressemble à celle de la SFIO du début de la Ve république, coincée alors entre un puissant parti communiste et le nouveau parti gaulliste. Mais avec deux différences majeures. Malgré la longue crise des rapports entre socialistes et communistes, relancée par la guerre froide, la notion de gauche renvoyait toujours à une histoire et une substance idéologique et culturelle communes. La gauche existait toujours idéologiquement avant qu’elle ne s’unisse à nouveau politiquement. Ensuite, le Parti communiste français a été affaibli puis a décliné du fait de son appartenance au mouvement communiste international. La mort de celui-ci au début des années 1990 a entraîné la mort de celui-là. Ces deux éléments n’existent pas à droite. D’une part, la tendance que représente le FN est dans l’ensemble de l’Europe sur la pente ascendante. Ensuite, malgré les proximités qui peuvent exister entre une partie de l’électorat de l’UMP et celui du FN, les deux partis sont très éloignés l’un de l’autre historiquement et idéologiquement, les valeurs universalistes étant largement partagées au sein de l’actuelle majorité parlementaire. Malgré d’une part le toilettage idéologique que le FN est en train d’opérer par rapport au parti de Jean-Marie Le Pen et malgré d’autre part l’ampleur des crimes passés du communisme international, au moins comparables par leur ampleur à ceux du fascisme et d’abord du nazisme, le déroulement de notre histoire, surtout depuis la guerre, rend les valeurs du FN plus difficilement assimilables ou même acceptables par l’UMP que les valeurs communistes ne l’étaient par le mouvement socialiste. Une barrière symbolique forte continue de séparer la droite française de l’extrême-droite.
La droite est donc confrontée à une apparente quadrature du cercle. Le refus de passer une alliance avec le FN, en admettant que celui-ci soit prêt à une telle alliance, est dangereux électoralement mais son acceptation pourrait être plus dangereuse encore dans la mesure où elle pourrait perdre alors son aile centriste et universaliste. Certes, comme les gaullistes l’ont montré à plusieurs reprises, un bon leader peut lui permettre de repousser conjoncturellement ce choix impossible. Mais pour combien de temps ?
S’il est politiquement compréhensible que l’UMP soit tentée de reprendre à son compte des thèmes proches de ceux du Front national pour tenter d’endiguer la fuite de certains de ses électeurs vers le Front national, elle ne peut en revanche, si elle entend demeurer un parti de gouvernement, s’éloigner sensiblement du centre de l’électorat français, c'est-à-dire céder ce centre à la gauche réformiste en mettant de côté ses valeurs universalistes. Dans ces conditions, il lui faut d’une manière ou d’une autre, soit en alliance avec des formations du centre soit en s’élargissant elle-même davantage vers le centre, rester un grand parti porteur des grandes valeurs républicaines traditionnelles. Menacée par le FN, l’UMP ne peut prendre le risque de voir, à l’élection présidentielle, se présenter contre son candidat des représentants de partis du centre qui risqueraient fort de provoquer son élimination dès le premier tour de l’élection.
Pour empêcher une telle situation, elle doit donner des gages sur sa volonté politique de représenter idéologiquement l’ensemble de la droite non extrême et du centre. Tout mouvement significatif de sa part en direction du Front national ruinerait cette stratégie. L’UMP n’a donc d’autre voie que de battre le Front national et d’abord de l’attaquer politiquement. Ceci peut dans un premier temps lui coûter la victoire et conduire la gauche au pouvoir mais lui laisse des chances réelles de rebondir ensuite, personne ne pouvant penser que le FN puisse à lui seul un jour gagner les élections ni qu’une gauche au pouvoir puisse traverser sans péril une longue période d’exercice du pouvoir dans les conditions actuelles L’autre option est plus risquée encore car, dans l’espoir d’obtenir des avantages immédiats – en supposant que le FN soit prêt à se rapprocher d’elle – l’UMP serait conduite à opérer un déplacement vers l’extrême-droite qui pourrait détruire une part notable de son identité et compromettre pour longtemps son retour au pouvoir.
De toutes manières, l’équation politique de la droite est difficile à résoudre dans les temps à venir. Il n’est pas vrai qu’il existe pour elle des solutions simples. Pour autant toutes les stratégies possibles pour faire face aux actuelles difficultés structurelles auxquelles elle est confrontée ne se valent pas. C’est dans ce type de situation que les choix stratégiques sont décisifs car ils peuvent avoir des conséquences majeures sur la longue période. L’appel des sirènes du Front national est aujourd’hui très fort mais y répondre positivement serait très risqué.
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