Primaires à gauche : dernière solution avant le désespoir ? edit
Au Parti socialiste, à peine a-t-on remisé les drapeaux européens pour 2014 que l'échauffement pour la présidentielle a déjà repris. Au programme : " les primaires " ou comment être sûr de désigner le bon candidat (ou la bonne candidate...) pour gagner en 2012. Barack Obama ne le sait pas, mais il est pour beaucoup dans le retour du débat sur les primaires. Ce débat récurrent chez les socialistes français avait déjà fait rage en 2006 après les primaires de la gauche italienne et au moment de désigner le candidat pour la présidentielle de 2007. Avec l'élection d'Obama, c'est un peu comme si les socialistes français avaient redécouvert l'Amérique.
Depuis qu'il a gagné, on ne compte plus en effet les missions et autres délégations qui franchissent l'Atlantique en quête du Graal électoral. Il faut comprendre les socialistes ; à Solferino, les affiches des campagnes de François Mitterrand ont jauni depuis bien longtemps dans leurs sous-verre, et si le PS continue ainsi, il n'y aura bientôt plus de mémoire vivante de la dernière victoire présidentielle (1988). C'est donc en Amérique que les missionnaires socialistes pensent avoir découvert le remède à tous leurs maux : les primaires présidentielles - oubliant sans doute qu'avant de permettre, l'année dernière, à la candidature Obama de s'imposer, elles ont conduit à de nombreuses reprises à bien des errements du côté démocrate.
Comme l'ont souligné les experts du groupe de travail de la Fondation Terra Nova, il n'est pas facile d'acclimater une telle pratique en France. Ils mettent en évidence trois modèles. Les primaires " à l'italienne ", ouvertes à toute la gauche mais qu'ils écartent immédiatement parce qu'elles... existent déjà dans le système français. C'est le premier tour de l'élection présidentielle qui sert de primaire au sein de chaque camp selon l'adage bien connu : " au premier tour on choisit, au second, on élimine ". Les primaires " à l'américaine ", de type présidentiel, qui permettent de désigner le candidat au sein d'un seul parti mais en associant les sympathisants aux adhérents - selon des modalités qui resteraient à définir dans le cas français. Mais si ce modèle est a priori le mieux adapté à la présidentialisation du régime, il est également écarté, car trop difficile à acclimater au PS dont la culture partisane (notamment le rôle de ses militants) n'a rien à voir avec celle des partis américains. Ce sont donc les primaires dites " à l'anglaise ", parce qu'inspirées du modèle parlementaire, qui ont finalement la préférence du groupe de Terra Nova. Il s'agit de primaires internes " élargies " qui respecteraient mieux le fonctionnement actuel du parti tout en donnant une cohérence au leadership socialiste puisque le Premier secrétaire serait aussi le candidat et légitime à l'élection présidentielle suivante.
Las, ce n'est pas la méthode que semble avoir retenue le groupe de travail interne du PS, piloté par Arnaud Montebourg, qui préconise une primaire ouverte à tous les sympathisants de gauche à laquelle pourraient se présenter des socialistes comme des responsables de la gauche " de gouvernement ", oubliant visiblement le rôle du premier tour de l'élection présidentielle. Position qui risque de toute manière de ne pas faire l'unanimité au sein du parti puisqu'ils sont nombreux à rejeter, au premier abord, une telle innovation. Ainsi, François Hollande, Laurent Fabius, Bertrand Delanoë jusqu'ici..., ou encore, sans doute, Martine Aubry, qui ne s'est pas clairement prononcée, n'ont-ils pas l'air formidablement enthousiastes à l'idée d'ouvrir portes et fenêtres au tout venant, fût-il " sympathisant " de gauche...
D'autres, en revanche, essentiellement parmi les " jeunes " (Pierre Moscovici, Vincent Peillon, Arnaud Montebourg, Manuel Valls...) ou du côté de Ségolène Royal, qui a bénéficié à plein, en 2006, de la " petite " primaire interne au parti, font visiblement de cette réforme une condition sine qua non de la refondation d'un parti qu'ils rêvent d'arracher des pattes des éléphants. Cette appétence pour une pratique qui soulève au moins autant de questions qu'elle est censée en résoudre, traduit chez eux l'idée que dès lors que l'on aurait solutionné " à froid " le problème de la désignation du candidat à la présidentielle, les errements du Parti socialiste prendraient fin. Les Américains appellent ce genre d'illusion du wishful thinking - en français, prendre ses désirs pour des réalités.
On peut, en effet, juger impératif que le PS prenne enfin acte de la présidentialisation avancée du régime. Et, dès lors, qu'il ajuste son fonctionnement interne à son ambition de gouverner le pays. Mais des primaires, aussi bien conçues soient-elles, ne permettront jamais de passer outre le manque de projet d'ensemble pour la société française, le lien avec un électorat solide et diversifié, ou encore les embarras stratégiques posés par les alliances indispensables pour espérer gagner. Une phrase du rapport Montebourg traduit bien l'erreur fondamentale d'analyse sous-jacente à ces considérations : " comme le montrent les élections européennes, il y a une forte majorité progressiste mais la faiblesse de leadership socialiste et la fragmentation de notre camp donnent la victoire à l'UMP. "
Si bien qu'aux nombreuses questions sur la faisabilité de primaires au PS ou à gauche - qui vote ? qui peut s'y présenter ? qui paie ? qui contrôle ?... - s'ajoute finalement, celle, essentielle, de leur utilité politique. Que proposera de plus au pays un(e) candidat(e) désigné(e) suivant un tel système ? La légitimité supposément plus grande qu'il ou elle aura acquise lui permettra-t-elle d'être à la hauteur des enjeux ?
Barack Obama n'a pas été élu président des États-Unis parce qu'il est passé par un système de primaires - même si l'on doit souligner que dans le cas américain, sans les primaires, il n'aurait jamais pu émerger et s'imposer comme il l'a fait. Il a été élu avant tout parce qu'il a su proposer à son pays, à un moment précis de son histoire, une vision (de son avenir notamment...) suffisamment construite, réfléchie et structurée pour emporter largement l'adhésion. C'est cette puissance propre qui lui a permis d'écraser la " machine " électorale démocrate bâtie par les Clinton au cours d'une campagne exceptionnelle de primaires et, dans la foulée, celle des conservateurs républicains.
Aucun système de désignation des candidats à une élection, aussi démocratique et bien conçu soit-il, ne permet de garantir la victoire finale ni même de donner davantage de chances de l'emporter à celui qui en bénéficie - l'expérience de la présidentielle de 2007 en France l'a bien montré puisque celui qui a été élu n'a pas été choisi au cours de primaires dans son parti, c'est le moins que l'on puisse dire ! Ce n'est pas là que ça se joue. Or les socialistes français n'ont plus tant de temps que cela devant eux pour le comprendre ; dès lors, s'arc-bouter ainsi, et demain, peut-être, se déchirer sur la question des primaires ne leur en fera pas gagner.
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