Roumanie : symptômes d’une crise profonde edit
Depuis maintenant dix jours, des Roumains sortent chaque soir dans la rue pour exprimer leur mécontentement vis-à-vis du régime, de la classe politique, de la corruption et de l’austérité. Ce sont les manifestations les plus importantes depuis la Révolution de décembre 1989 qui a mené à la chute du communisme. Ces événements, assez peu couverts par la presse occidentale, méritent que nous nous arrêtions davantage sur leurs causes profondes, leur importance et leurs conséquences, puisqu’ils sont annonciateurs d’un réveil de la société civile dans un pays où celle-ci semblait endormie, bernée par la découverte de la société de consommation après quarante-cinq ans de communisme.
La démission forcée par le président d’un sous- secrétaire d’Etat à la Santé, M. Arafat, a représenté l’élément déclencheur de ces événements. Le docteur Raed Arafat, qui s’est vertement opposé au président Basescu sur la réforme de la santé, est un symbole de méritocratie et pour cela est très populaire dans la population, notamment pour avoir fondé le SMURD, le service national de médecine d’urgence. Ce conflit entre le président et le sous-secrétaire d’Etat (qui a depuis réintégré ses fonctions) a été médiatisé, mais il ne permet pas d’expliquer pourquoi des milliers de Roumains de tous âges et de toutes conditions sociales sortent dans les rues.
L'incompétence, la corruption et l’impunité de la classe dirigeante sont les vraies raisons qui motivent les manifestants. Et dans une moindre mesure l'austérité, particulièrement difficile à digérer pour la classe moyenne et pour la partie la plus pauvre de la population. La Roumanie a été fortement touchée par la crise économique mondiale et le gouvernement a imposé, contraint par le FMI, une très importante cure d’austérité.
Aujourd'hui, la corruption gangrène la société et le sentiment d’impunité règne dans la classe politique. Les exemples de gouvernants, de tous les bords, dont le nom a été sali par des affaires de corruption, sont légion. Cette corruption endémique est doublée par le sentiment que la justice ne fonctionne pas et qu'elle se retrouve entre les mains d'intérêts partisans. Souvent traduits en justice, les hommes politiques et leur entourage ne sont presque jamais condamnés.
Si les raisons qui sous-tendent les manifestations sont bien connues, l’ampleur de celles-ci ne laisse pas de surprendre, puisqu'il n’existe pas de forte tradition protestataire en Roumanie. Et pourtant, nous assistons aux manifestations les plus importantes depuis la chute du communisme. Outre à Bucarest, des manifestations sont organisées dans une soixantaine de villes du pays. La mixité sociale de manifestants est un élément essentiel et fondateur de ces protestations et souligne l’importance politique de revendications. Un seul bémol à ces manifestations : les violences provoquées par des casseurs qui ont causé des blessés, essentiellement parmi les forces de l’ordre à Bucarest.
Ces manifestations marquent le réveil de la société civile. Les élites politiques pensaient le peuple résigné, endormi, désillusionné ou berné par la découverte de la société de consommation après quarante-cinq ans de communisme. Mais les Roumains ont retrouvé une certaine capacité d’action collective et le pouvoir de formuler de revendications claires : la fin de la corruption qui freine le développement économique du pays et l’émergence d’une nouvelle élite politique compétente et plus soucieuse de l’intérêt général.
Néanmoins, le mouvement souffre d’un manque de leadership. L’émergence d’un nouveau leader politique non corrompu et compétent a été rendu très difficile dans la société issue de la Révolution de 1989. Trois facteurs explicatifs à cela : le manque de culture politique des Roumains, la reproduction d’élites issus du communisme et l’importance du ‘brain drain’.
Le manque de leader crédible rend la chute du gouvernement possible, mais peu probable. Il est néanmoins possible que le président Basescu sacrifie le gouvernement pour sauver sa place. Cette hypothèse est envisageable si les manifestations sont amenées à durer et à s’amplifier. Pour autant, aux yeux de manifestants, la solution ne réside non plus dans l'opposition. L’alternative au parti du président Basescu se nomme l’Union sociale-libérale, union purement électoraliste composée de caciques politiques, sans autre vision pour la Roumanie que d’évincer l’actuel président.
L’opposition n’a de cesse de demander l’organisation d’élections anticipées. Elle multiplie les actions symboliques, que ce soit au Parlement européen, où elle mobilise ses eurodéputés pour demander une sanction de la Roumanie au même titre que celle de la Hongrie, ou au Parlement roumain où elle envisage la démission collective de ses députés pour montrer sa solidarité avec les manifestants. Mais ces actions médiatiques arrivent trop tard. L’opposition n’est pas crédible lorsqu’elle promet aux manifestants la formation d’un nouveau gouvernement compétent et non corrompu, puisque les deux partis qui la constituent ont gouverné le pays et qu'ils ont tous deux été touchés par des scandales de corruption.
La chute du président est théoriquement possible, mais peu probable. La procédure de destitution est très compliquée et la démission, largement réclamée par la rue, n'est pas envisagée par Traian Basescu. Son absence de la scène politico-médiatique et son silence soulignent son impuissance face à cette crise et sa surprise face à ce soulèvement inattendu.
En l’absence d’une nouvelle figure charismatique, les leaders populistes pourraient être les grands gagnants de ce mouvement. Le Parti du peuple, mené par le populaire réalisateur TV, Dan Diaconescu, pointe au troisième rang dans les sondages et se trouve sur une pente ascendante.
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