Sursaut et impuissance de la gauche de la gauche edit
La victoire de Syriza aux élections générales grecques du 25 janvier a fait souffler un vent d’enthousiasme, presque d’euphorie, sur la gauche de la gauche dans plusieurs pays européens. Le premier secrétaire du PS lui-même, Jean-Christophe Cambadélis, y avait vu « un raz de marée contre l’austérité ». Le succès de Podemos et de ses proches au scrutin municipal en Espagne a conforté ce sentiment. En Allemagne, et pour la première fois depuis la réunification de 1990, un membre du parti de la gauche radicale, héritier des anciens communistes de l’Est, est devenu ministre-président d’un Land, précisément dans la partie orientale du pays.
Mais l’illusion n’aura duré que quelques mois. Et ce n’est pas l’accession probable de l’extravagant et sympathique Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste britannique qui va renverser la tendance. Elle sera sans doute célébrée à gauche comme l’annonce de lendemains qui chantent mais personne ne croit vraiment que Jeremy Corbyn entrera un jour au 10, Downing Street.
En Grèce, Syriza s’est fracassée à l’épreuve du pouvoir. L’habileté de son chef, Alexis Tsipras, s’est finalement retournée contre lui. Son aile gauche, opposée de tous temps à l’euro, l’a quitté, l’accusant de renier ses promesses électorales – ce qui est vrai – et de trahir les intérêts du peuple – ce qui est discutable. Président du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon n’avait pas de mots assez louangeurs pour ce jeune homme charismatique qui allait renverser la table de Bruxelles. Maintenant, il ne peut que s’apitoyer sur le sort d’un Premier ministre qui est passé sous les fourches caudines du terrible Wolfgang Schäuble, et chercher une coopération avec Yanis Varoufakis, l’ancien ministre grec des Finances, qui rêve d’un rassemblement des progressistes européens mais ne représente que lui-même. La gauche de Syriza a fait scission, créant un nouveau parti (l’Unité populaire), qui enlèvera quelques points précieux à Alexis Tsipras lors des élections anticipées du 20 septembre. Paraphrasant François Mauriac à propos de l’Allemagne, Jean-Luc Mélenchon pourrait dire qu’il aime tellement Syriza qu’il est content qu’il y en ait deux ! Pour ajouter à la confusion, les députés de Die Linke ont voté au Bundestag contre la participation allemande au plan d’aide à la Grèce que leurs amis de Syriza venaient d’accepter.
La montée de Podemos en Espagne, la victoire de Syriza au début de l’année, les manœuvres d’approche d’une partie des Verts français en direction du Front de gauche, et même les contacts de Die Linke avec le Parti social-démocrate allemand en vue d’une très hypothétique coalition « de gauche » en Allemagne, n’étaient pourtant pas de simples épiphénomènes. Ils étaient le symptôme de la crise économique et sociale que traversent nombre de pays d’Europe et de la recherche tâtonnante d’une politique alternative à celle menée depuis le début de la crise de 2008 par l’Union européenne elle-même et tous les Etats qui la composent. Il n’y a pas jusqu’aux Etats-Unis où un candidat à la nomination démocrate, en l’occurrence le sénateur Bernie Sanders, ne remporte des succès d’estime en défendant un programme « progressiste ».
Le problème est que ces tendances sont condamnées soit à rester minoritaires – le programme de Jeremy Corbyn ressemble à s’y méprendre à celui que Michael Foot avait opposé à Margaret Thatcher en 1983 et qui avait été baptisé « la plus longue lettre annonçant un suicide » –, soit à mener une fois au pouvoir l’exact contraire de la politique promise dans l’opposition. C’est particulièrement vrai dans l’Union européenne et dans la zone euro où ce que le Canadien William Johnston appelait dans un autre contexte « la raison de système », comme on dit « raison d’Etat », l’emporte sur toutes autres considérations.
Alexis Tsipras et Syriza en ont fait l’amère expérience. Après leur succès, leurs partis frères à travers l’Europe annonçaient un vaste mouvement en faveur « d’une autre politique ». Les technocrates de Bruxelles et leurs soutiens nationaux, qu’ils soient conservateurs ou sociaux-démocrates, n’avaient qu’à bien se tenir. Soutenue par la ferveur populaire, la petite Grèce allait obliger les vingt-sept autres gouvernements à abandonner le carcan de la rigueur budgétaire imposé par la méchante Allemagne. D’autres y avaient songé avant elle et avaient dû renoncer. Pensez à François Hollande en 2012. Mais qu’importait. L’argument était balayé car le président français n’est-il pas fondamentalement un social-traître ?
Après six mois de pouvoir, la gauche radicale grecque a dû se rendre à l’évidence : le choix était entre d’une part la catastrophe économique et sociale que les plus raisonnables de ses responsables anticipaient en cas de sortie de l’euro et de retour à la drachme et d’autre part l’acceptation des règles de base du fonctionnement de l’euro, telles qu’acceptées et signées par tous les membres de la zone. A cela s’ajoutait évidemment que la Grèce, en cessation de paiements, vit sous perfusion des institutions monétaires européennes. Contrairement à ce que pensaient les membres de la gauche de Syriza, il ne fallait pas compter sur la Chine et la Russie pour boucher les trous du budget.
Avant d’accepter les conditions des créanciers, le gouvernement de Syriza a donné la priorité à l’agitation sur la négociation. L’alternative est-elle donc seulement entre les discours enflammés mais sans effet et la capitulation ? Car si la gauche radicale n’a pas réussi à ébranler les certitudes de ses partenaires de la zone euro, il n’en reste pas moins que la politique suivie par l’UE et le fonctionnement des institutions ne vont pas sans poser des problèmes. Les dirigeants en sont conscients mais semblent paralysés quand il s’agit de prendre des initiatives, souvent par crainte de renforcer les tentations populistes qui se manifestent dans la plupart des pays européens. Le compromis entre les conservateurs du Parti populaire européen et les sociaux-démocrates du Parti socialiste européen, à la base de la gouvernance européenne, est une chance d’harmonie comme une recette pour la paralysie. La leçon apportée par Syriza est que l’indispensable sortie de l’immobilisme européen ne passe pas par une radicalité aussi velléitaire que véhémente.
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