Obama et la question raciale edit
Jusqu'ici peu présente dans la campagne américaine, la question raciale a fini par éclater au grand jour. Mais loin de l’esquiver Obama l’a traitée de front. Rien ne prouve que sa démarche sera électoralement payante. Mais tout porte à penser qu’elle fait d’ores et déjà de lui un homme politique au-dessus du lot.
Tout est parti du révérend Wright. Il fut son pasteur pendant plus de vingt ans à Chicago. C’est lui qui l’a « conduit » vers Dieu, l’a marié et a baptisé ses enfants. Le titre du principal ouvrage d’Obama (The Audacity of Hope) est tiré d’un de ses sermons.
Or le révérend a été pendant toute sa carrière un prêcheur particulièrement radical. Des vidéos circulant sur Internet le montrent en train d’appeler ses ouailles à chanter « God damn America », de parler des « US of KKKA » en référence au Ku Klux Klan, quand il n’accuse pas le gouvernement d’être responsable des attentats du 11-Septembre ou d’avoir inventé le virus du sida pour décimer les Noirs… Bref, un radicalisme assumé et proclamé publiquement pendant des années. Obama, qui se présente depuis le début de la campagne comme un candidat « post-racial », a régulièrement assisté aux sermons enflammés du révérend Wright.
Pour éteindre l’incendie, Obama a choisi d’affronter clairement la question raciale dans un discours prononcé le 18 mars à Philadelphie, à deux pas du lieu historique où s’est tenue la Convention de 1787 qui a rédigé la Constitution américaine. Ce long discours passera certainement à la postérité comme l’un des grands discours politiques contemporains américains. A la fois pour les qualités habituelles qui ont permis à Obama de s’imposer comme un très grand orateur, mais aussi parce que le contenu du discours était cette fois bien plus important que ses qualités formelles.
Dans son discours, Obama a non seulement réussi à déjouer les pièges de la racialisation de sa candidature tout en abordant de front, comme rarement dans la politique américaine, la question raciale. De l’avis général, il l’a fait avec sophistication, intelligence et courage (le dernier en date à avoir réalisé un tel exploit était, ironie de l’histoire, Bill Clinton, notamment pendant les primaires dans le Michigan en 1992 où il avait tenu le même discours exigeant et courageux sur la question raciale, successivement à un auditoire noir de Detroit et à une salle blanche en banlieue). L’enjeu du discours était de lier la question raciale à la question sociale autour de laquelle il tente de réorienter désormais sa campagne.
Premier temps : déjouer les pièges de la racialisation de sa campagne (un candidat noir pour les noirs ou pour donner bonne conscience aux blancs libéraux…) en reconnaissant qu’il y a bien un problème racial aux Etats-Unis et qu’il s’agit incontestablement d’un des thèmes de la campagne. La mémoire de l’esclavage et de la ségrégation comme les discriminations contemporaines : éducation, santé, emploi, violence… montrent que la question reste posée aujourd’hui. Obama cite même Faulkner : « Le passé n’est pas mort et enterré. En fait, il n’est même pas encore le passé ». Il explique ainsi que le moment où l’Amérique est la plus ségréguée entre Noirs et Blancs est celui de l’office le dimanche matin. Et qu’il ne faut donc pas s’étonner si le radicalisme des sermons du révérend Wright choque : ils ne sont entendus habituellement que par ceux qui sont précisément les victimes de la couleur de leur peau.
Deuxième temps : comprendre la question raciale dans sa complexité plutôt qu’en véhiculant des clichés. Il est impossible aux yeux d’Obama de réduire la question raciale américaine aux déclarations incendiaires du révérend. Mais s’il n’excuse pas Wright, il affirme qu’il le considère comme un membre de sa famille au même titre que sa grand-mère blanche qui exprimait sa crainte vis-à-vis des Noirs et tenait à l’occasion de propos racistes. Bref, qu’il faut à la fois comprendre les effets de génération notamment – ainsi celle qui s’est battue pour les droits civiques avait toutes les raisons d’être radicale – et la nécessité d’un discours moins caricatural aujourd’hui. La société n’est pas statique et la possibilité même qu’il y ait un candidat noir aussi bien placé est le signe des progrès réalisés à ses yeux. Mais il faut aller plus loin encore, et seule la mobilisation de tous les Américains, y compris les Noirs qu’Obama appelle à ne pas passer pour des victimes et à prendre leurs responsabilités (« Pour la communauté africaine-américaine, ce chemin signifie qu’il lui faudra prendre à son compte le fardeau de notre passé sans devenir des victimes de notre passé »), permettra de dépasser les circonstances qui peuvent encore permettre à certains de tenir des discours comme ceux du pasteur Wright.
Troisième temps : la question raciale ne pourra être résolue qu’à la condition de traiter la question sociale dans son ensemble. Obama insiste sur le fait qu’il faut aussi reconnaître à leur juste valeur les difficultés des (petits) Blancs – cette white working-class qui lui a fait défaut jusqu’ici dans les primaires. « La plupart des Blancs américains des classes populaires et moyennes n’ont pas le sentiment d’avoir été particulièrement privilégiés du fait de leur race », ils ont des raisons d’être en colère eux aussi, d’autant plus, lorsqu’on « les oblige à faire transporter leurs enfants dans une école à l’autre bout de la ville (busing), quand ils entendent qu’un Africain-Américain a été privilégié dans l’obtention d’un bon travail ou dans l’accès à une bonne université (affirmative action) en raison d’injustices qu’ils n’ont jamais commises ». Ce sont ces craintes des petits Blancs et leur ressentiment qui ont permis aux Républicains conservateurs (depuis la fameuse « Reagan Coalition » au sein de laquelle des électeurs démocrates traditionnels issus des classes populaires ont rejoint le parti des grands intérêts économiques…) de s’imposer comme la force politique dominante aux Etats-Unis. Or ce sont précisément les intérêts économiques défendus par les Républicains qui ont conduit à la situation dégradée des classes populaires et moyennes, financièrement, moralement et racialement. Il faut donc en finir avec les explications faciles et fausses des malheurs des uns et des autres. Obama propose un « autre chemin » que celui qui a conduit à faire de la politique le lieu « de la division, du conflit et du cynisme » : « à l’occasion de cette élection, nous pouvons nous présenter ensemble et dire, ‘pas cette fois’ ». Et de décliner le thème de « cette fois nous voulons parler… » des écoles, des urgences dans les hôpitaux, des usines, des morts pour le pays… qui concernent tous les Américains, quelle que soit leur couleur.
Au-delà de l’émotion qu’il suscite, ce discours est aussi profondément politique. Obama doit impérativement, à un moment où sa campagne marque le pas, faire un dernier effort pour convaincre les électeurs blancs des classes populaires qui ont plutôt soutenu jusqu’ici sa rivale. Tout particulièrement dans les grands états industriels comme la Pennsylvanie. Cet état, pourvoyeur d’un grand nombre de délégués à la convention démocrate, votera le 22 avril prochain – ce sera le dernier « grand état » à désigner ses délégués avant la convention. Et si Obama sait, comme Clinton, que ni l’un ni l’autre ne peut plus l’emporter en nombre de délégués élus lors de ces primaires, il sait aussi qu’une bonne performance dans cet état réputé favorable à son adversaire pourrait faire pencher définitivement en sa faveur les 800 super-délégués qui feront finalement l’élection. Il démontrerait ainsi qu’un grand discours visionnaire sur cette pièce brûlante et manquante du puzzle identitaire américain qu’est la question noire peut aussi avoir des conséquences politiques tout à fait favorables à court terme.
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