L’école et le numérique: les fausses évidences du rapport PISA edit
Le volet numérique de PISA 2012, tout juste publié par l’OCDE, assène un coup de massue à la cyberbéatitude. Introduire l’ordinateur à l’école n’emporte pas de meilleurs résultats scolaires, et ne réduit en rien les inégalités socio-culturelles face à la réussite dans les études. En un tournemain statistique, l’enseignement classique fondé sur le rôle-pivot des enseignants, valorisant les apprentissages de base et réhabilitant l’usage de la mémorisation, connaît ainsi une magnifique embellie. Faut-il lire les résultats de ce rapport à travers le prisme de la querelle entre les Anciens, forcément technophobes, et les Modernes, forcément technophiles ? Ce rapport signe-t-il le glas des utopies numériques ? Nous invitons tout de go à chausser d’autres lunettes (notons que certains pays comme la France, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni n’ont pas souscrit à cette partie de l’étude PISA, ce qui explique leur absence des réflexions ci-dessous ; on notera seulement que la France et les Etats-Unis figurent en bonne place dans la compréhension de l’écrit électronique, une performance qui contraste avec leur position toute moyenne dans le classement général PISA).
Que dit ce rapport ? En une dizaine d’années, la fracture numérique, avoir ou non accès à un ordinateur et à Internet, est devenue un sujet obsolète. 96 % des élèves de 15 ans des 34 pays de l’OCDE disposent d’un ordinateur à la maison - 43 % d’entre eux en ont même trois ou plus. Il n’y a vraiment que le Mexique et la Turquie pour échapper (encore) à cette saturation des écrans d’ordinateur domestiques. En termes d’accès à Internet, la différence entre catégories sociales n’est pas flagrante : face aux élèves favorisés qui sont tous connectés à la maison, 85 % des élèves défavorisés le sont aussi. Et cette différence est sans doute en voie d’être résorbée si l’on s’appuie sur l’exemple français (vu à travers d’autres études) : dans tous les milieux, y compris les milieux économiquement défavorisés, les familles s’attachent à offrir de bons outils numériques à leurs enfants en pensant que cet équipement les aidera dans leur scolarité.
72 % des élèves des pays de l’OCDE utilisent l’ordinateur à l’école. Là, les fils des analyses commencent à s’embrouiller : on ne repère aucune corrélation claire entre les pays champions de la réussite scolaire (cf. les données PISA publiées en 2012) et l’usage intensif ou non de l’ordinateur à l’école. On repère plutôt le contraste des politiques pédagogiques entre des « cybercirconspects », les pays asiatiques, et des « cyberenthousiastes », les pays occidentaux. Ainsi, le Japon et la Corée qui figurent dans les cimes du classement PISA pour la compréhension de l’écrit, des mathématiques et des sciences, utilisent modestement l’ordinateur en classe, respectivement pour 59 % et 42 % du travail scolaire. A l’inverse, dans d’autres systèmes scolaires performants, comme ceux des Pays-Bas et de la Finlande, l’usage de l’ordinateur est intensif : 94 % et 89 %. L’Australie aussi, qui détient la médaille d’or de l’alliance Internet/école, occupe un rang honorable dans le classement PISA. Pour l’honnêteté de la présentation, notons que ces trois derniers pays « pro high tech » ont subi récemment une certaine érosion de leurs performances relatives – entre 2009 et 2012, l’Australie, par exemple, passe de la 9e à la 19e place.
Autre élément troublant : la Corée et le Japon, où donc les adolescents utilisent avec parcimonie l’ordinateur dans le cadre des cours, figurent dans le peloton de tête pour la compréhension de l’écrit électronique et les performances de l’évaluation informatisée des mathématiques – comme si la très bonne maîtrise des savoirs basiques acquis via le papier et le crayon, loin d’handicaper la compréhension sur support électronique, au contraire, la favorisait. Remarquons d’ailleurs que dans ces deux pays les teenagers ont une durée d’utilisation quotidienne d’Internet en dehors de l’école particulièrement modeste (autour d’une heure), comparée à celle des enfants occidentaux. Sur le plan du décodage des contenus sur écrans, ces deux pays obtiennent au final de meilleurs scores que l’Australie qui figure elle aussi dans le haut de ce palmarès – et où les enfants, en dehors de l’école, sont des consommateurs frénétiques d’Internet.
Un autre aspect du rapport sur le PISA/numérique concerne « les différences socio-économiques dans l’accès aux TIC et leur utilisation ». En moyenne, on observe peu de différence dans le temps moyen d’utilisation des TIC en dehors de l’école et pendant le weekend : 124 minutes pour les élèves de milieu défavorisé et 117 minutes pour ceux des milieux défavorisés. Dans certaines sociétés se dessine une forme d’ascétisme de la consommation d’Internet chez les enfants de couches favorisées : parmi les plus marquants figurent des pays en tête des performances PISA (Corée, Chine et Suisse), ou en voie de rattrapage accéléré dans le classement ( l’Allemagne). Cette distanciation élitiste toutefois n’existe pas dans d’autres pays par ailleurs bien classés comme la Finlande et les Pays-Bas : apparemment, ici, le culte de la distinction scolaire et de la compétition est moins prégnant. À nouveau, l’esprit du lecteur s’embrume.
Comme quantité d’études l’ont montré, les enfants des couches favorisées utilisent beaucoup plus Internet (hors de l’école) pour rechercher de l’information –et plus largement des contenus culturels- que les autres. Ce décalage avec les enfants de couches défavorisées, essentiellement centrés sur les activités de divertissement, ne souffre d’aucune exception et son amplitude est clairement établie sous tous les continents. Voilà un résultant probant, mais connu de longue date.
Autre enseignement du rapport : en mathématique et en compréhension de l’écrit, en corrélant le milieu socio économique, le niveau d’accès à Internet et les performances dans l’évaluation sur support informatisé, il apparaît que les différences de score des élèves reflètent celles observées dans l’évaluation du travail avec papier et crayon et non des différences dans les capacités à utiliser l’ordinateur. Ainsi, ce sont « les compétences typiquement acquises à l’école » qui donnent les clefs de la compréhension des données numériques et de la capacité à en tirer profit. Dit ainsi, cette constatation anéantit l’idée qu’une virtuosité numérique pourrait compenser des difficultés dans les savoirs scolaires. Les bons élèves seraient ainsi tous des geeks en puissance. Et les autres ? Mystère. Mais la corrélation entre culture scolaire et dextérité dans la numérisphère semble toujours aller dans le même sens….
Ultime résultat : la mise en relation de la fréquence d’utilisation des ordinateurs à l’école et les performances dans la compréhension de l’écrit (en neutralisant la variable socio économique) montre qu’un usage modéré de l’ordinateur (au maximum une ou deux fois par semaine) est le plus adapté pour en tirer le meilleur profit, notamment pour la compréhension de l’écrit et la qualité de la navigation. Du numérique bien tempéré : voilà une musique qui caresse les oreilles des thuriféraires de l’enseignement classique.
Il n’empêche que ces travaux montrent leurs limites et à les prendre pour argent comptant on rate un aspect décisif sur les apprentissages d’aujourd’hui. Les études PISA sont fondées sur l’évaluation de l’excellence telle que l’école la définit : maitrise des bases cognitives en écrit, en mathématiques et en sciences. Il n’est donc pas étonnant qu’en traquant ces paramètres, elles retrouvent de manière tautologique le rôle fondamental de l’école. Nous ne dirons pas, évidemment, que la maitrise des savoirs scolaires ne sont que balivernes, qu’ils ne constituent pas un humus pour l’insertion sociale, mais hors le cadre scolaire, d’autres formes d’intelligence, d’autres savoirs existent, que les experts européens ne cherchent pas à cerner.
Le bidouillage et la créativité informatiques, l’invention dans le design, dans l’ergonomie et dans les fonctionnalités des outils numériques, tous ces talents se forgent souvent en dehors du cadre de la pensée et des savoirs classiques. Il serait alors hasardeux d’avancer que la qualité du « geek » et l’intelligibilité de la numérisphère ne peuvent s’épanouir que galvanisées par la maitrise des fondamentaux de l’école –le rapport ne le dit pas explicitement, mais sa lecture le suggère. L’oublier, ce serait à désespérer de toutes les tentatives, celles de Xavier Niels ou de Jacques Antoine Granjon, celles des écoles du Net, des espaces de hackers et de co-working, qui en encourageant à la pratique « du faire », poussent à l’éclosion d’autres types de performance. Les bons élèves ne sont tous des geeks et les geeks ne sont pas tous des bons élèves. Les travaux PISA auraient pu au moins soulever ce lièvre.
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