La victoire de Donald Trump sous l’angle des rapports femmes/hommes edit
Si le niveau d’éducation détermine largement les choix électoraux, cela n’a pas empêché une majorité d’ hommes diplômés de voter pour Donald Trump, contrairement aux femmes diplômées qui ont largement favorisé Kamala Harris. Électorat démocrate et électorat républicain correspondent chacun à un système de valeurs structuré, qui engage des conceptions philosophiques et morales, et qui s’opposent l’un l’autre de manière tranchée : chacun ne vit pas dans le même monde, pourrait-on dire. Dans ce contexte on peut s’interroger sur la place de l’idéologie masculiniste dans l’élection de Donald Trump.
Un clivage
Aux États-Unis, depuis une dizaine d’années, l’écart se creuse entre un électorat féminin à orientation démocrate et un électorat masculin à orientation républicaine, comme l’attestent les études[1]. Ce clivage a atteint un sommet à la présidentielle de 2024 : les femmes ont voté à 53% pour Kamala Harris et 45% pour Donald Trump, alors que les hommes optaient à 43% pour la candidate démocrate et 55% pour le candidat républicain. Mais au sein de cette tendance globale, remarquons que les femmes blanches ont voté à 45% Kamala Harris[2], ce sont les femmes de couleur qui ont fait pencher la balance en faveur d’une majorité féminine pour le parti démocrate[3]. De ce fait, dans la population blanche, le vote féminin pour Donald Trump (53%) balance du même côté que le vote masculin (60%), tout en étant plus modéré.
Le haut niveau de diplôme comme dans bien des pays favorise le vote progressiste… mais essentiellement pour les femmes. Les femmes blanches diplômées (niveau bachelor ou plus) ont opté à 57% pour Kamala Harris et à 41% pour Donald Trump, contrairement à leurs homologues masculins blancs diplômés qui ont respectivement voté à 48% pour Kamala Harris et 50% pour Donald Trump. On remarque a contrario qu’un bas niveau de diplôme joue en faveur de Donald Trump : 69% des hommes blancs et 63% des femmes blanches qui sont dans ce cas lui ont apporté leurs suffrages ; enfin le candidat républicain a reçu 65% des suffrages des hommes primo-votants (contre 34% seulement en 2020), et 49% des suffrages des femmes primo-votantes (contre 31% en 2020).
Les femmes diplômées constituent donc la principale base de l’électorat démocrate, et elles le prouvent une fois encore en 2024, en accordant encore davantage de voix pour les démocrates qu’elles ne l’avaient fait en 2020[4], une particularité qu’elles partagent avec un seul autre groupe : les plus de 65 ans.
Vote Trump / vote Harris: deux mondes culturels différents
La majorité des Américains, dont toute la population blanche, a préféré Donald Trump. Pour quels motifs ? On a beaucoup cité, et à juste titre, des attentes économiques (le pouvoir d’achat) ou politiques (lutte contre l’immigration, choix de l’isolationnisme et appel à une grandeur du passé to make America great again). Plusieurs sondages permettent de cerner ce qui distingue les opinions et la culture politique des électeurs de Trump de ceux d’Harris. Comme nous allons le voir, les sensibilités et les pôles d’opinion des deux candidats sont bien définis et clairement divergents.
Le sujet de l’avortement a été un point-clef dans un pays où près d’un tiers de la population pense que l’avortement doit être illégal dans la plupart des circonstances, et évidemment ceux qui le pensent ont presque tous voté Trump. Parallèllement, l’avortement a été le second principal motif pour voter démocrate, le premier étant l’inquiétude face à l’évolution de la démocratie américaine, et donc face à l’essor du populisme (Exit Poll Edision Research, Washington Post, 6 novembre 2024).
Prenons quelques exemples de ces divergences.
Source : sondage du Pew Research Center, octobre 2024
Derrière la préférence démocrate on repère outre le soutien aux droits dits reproductifs (dont celui de l’avortement), l’influence du mouvement Metoo et de la culture woke (notamment sur le choix du genre), et, plus largement, une aspiration à la justice sociale : une majorité de femmes diplômées ont choisi cette direction. Derrière la préférence républicaine, se dégage une vision conservatrice individualiste sur l’organisation de la société, une attitude pro-life et familialiste, ainsi qu’un rejet du mouvement féministe qui ne cesse, dans ses rangs militants en tout cas, de fustiger « le patriarcat » et de chanter les valeurs de la théorie du genre – on peut choisir son genre : les hommes, y compris les diplômés, ont majoritairement opté pour cette voie et mais aussi une majorité de femmes peu diplômées.
La part de la culture virile dans l’adhésion à Trump
Qu’en est-il dans les motivations du vote de la personnalité viriliste de Trump ? On ne cédera pas à la tentation de réduire le vote en faveur de Trump à un enjeu autour de l’image traditionnelle de la masculinité, mais mettre un bulletin dans l’urne en sa faveur suppose tout de même d’adhérer un peu aux valeurs et à la vision du monde que sa personnalité incarne ou en tout cas de ne pas les rejeter. Donald Trump, on l’a vu, a séduit toutes les catégories d’hommes (sauf les hommes noirs, même s’il a marqué des points au sein de cette catégorie), et encore plus les peu diplômés. En filigrane du sondage ci-dessous, se dessinent certains traits des hommes qui ont opté pour lui : : personnalités s’affirmant très masculines, tout en pensant que cette façon d’être est mal vue (ce qui peut faire naître une frustration), avec le sentiment que la société leur donne moins d’opportunités qu’autrefois tant dans le domaine économique que dans la vie privée. Ces hommes, toutefois, ne peuvent être tenus comme des machistes caricaturaux car l’analyse très fine du Pew Reserch Center sur les regards croisés entre hommes et femmes et sur les identités sexuées montrent que dans l’ensemble la révolution féminine est vue par presque tous les Américains comme une évolution dont tout le monde a bénéficié. Sans surprise, cette appréciation positive est plus marquée encore chez les nouvelles générations.
Source : sondage du Pew Research Center, octobre 2024
Dans un livre stimulant en paru en 2023, l’essayiste Richard V. Reeves[5] enquête sur un phénomène identifié depuis des années : les jeunes garçons américains s’intègrent moins bien dans le système scolaire que les filles – ainsi 57% des femmes de 25-34 ans atteignent un niveau du bachelor contre 47% des hommes (une tendance que l’on retrouve presque partout mais qui est particulièrement marquée aux États-Unis ; source : OCDE). De surcroît, l’évolution de l’emploi leur est défavorable avec, d’une part, le déclin du secteur industriel, et l’avènement des robots pour maintes tâches autrefois dévolues à la force physique, et, d’autre part, la montée des activités dans les services et le soin pour lesquelles les femmes sont recherchées. Au sein des familles leur rôle est affaibli, et ils se trouvent souvent exclus de leurs responsabilités parentales, s’ils ne s’excluent eux-mêmes volontairement, notamment dans les cas de séparation. Fort de son plaidoyer, le progressiste Richard V. Reeves a même créé un Institut (American Institute for Boys ans Men) pour aider les hommes à sortir de ce marasme !
Cette image en négatif du mâle américain, puisée en premier lieu dans les milieux populaires[6], rejaillit sans doute sur tous les hommes, en particulier sur l’électorat blanc masculin, mais même sur une majorité de femmes blanches. L’inimaginable s’est alors produit : dans le contexte d’un certain déclin de l’homme blanc, le machisme caricatural de Trump, en réaction et par un retournement sidérant de situation par rapport au progressisme féminin, a peut-être bien participé de son succès. Un peu comme un sursaut face à l’affaiblissement de l’empire masculin.
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[1] “Men and women in the U.S. continue to differ in voter turnout rate, party identification”, Pew Research Center, 20 août 2020. “In 2018 an2019, the Democratic Party held a wide advantage with women: 56% of female registered voters identified as Democrats or leaned toward the Democratic Party, while 38% identified as Republicans or leaned toward the GOP. This stands in contrast to men, among whom 50% were Republicans or GOP leaners and 42% identified as or leaned Democratic. This gender gap has been slowly growing wider since 2014 . (…) “Still, college-educated women (65%) were much more likely than college-educated men (48%) to identify as Democrats in 2018 and 2019».
[2] Gérard Grunberg, « Etats-Unis, la fin du libéralisme politique », Telos, 19 novembre 2024.
[3] Les femmes noires ont opté à 91% pour Harris, les femmes d’origine hispanique à 60% ; les hommes noirs ont opté à 77% pour Harris et 21% pour Donald Trump, et les hommes d’origine hispaniques à 44% pour Harris et à 54% pour Trump.
[4] Financial Times, Catalist / Edison Research.
[5] Richard V. Reeves, Of Boys and Men: Why the modern male is struggling, why it matters, and what to do about, Swift Press, 2023.
[6] Voir mon article sur le livre de J.D.Vance, Hillbilly Elegy, Telos, 16 novembre 2024.