Faut-il rémunérer les avocats en fonction de leurs résultats? edit
La France a fait des choix clairs en matière de fixation des honoraires d'avocats et de soutien aux justiciables les plus fragiles. L'article 10 de la loi du 10 juillet 1991 stipule notamment que « toute fixation d'honoraire qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire est interdite ». Ce système doit-il être remis en cause ? Les success fees américains assurent un accès du plus grand nombre aux tribunaux en transférant le risque aux cabinets d'avocats, mais au prix de nombreuses dérives.
La relation avocat-client pose problème. D'une part, au moment de la signature de la convention le client peut être mieux informé que son avocat sur les faits qui l'ont conduit devant le tribunal et donc sur ses chances de gagner le procès ; d'autre part, l'avocat est généralement mieux à même d'apprécier son niveau de compétences et les efforts à consentir par rapport à l'affaire. Sur la base de ces phénomènes, le marché peut échouer pour fournir la qualité du service que les justiciables sont en droit d'attendre de leurs avocats.
Plusieurs formes de convention d'honoraire sont en pratique concevables : la rémunération forfaitaire, la tarification horaire, l'honoraire de résultat (ou palmarium : les parties conviennent à l'avance qu'un honoraire sera relevé d'une somme forfaitaire si l'objectif poursuivi est atteint) et enfin l'honoraire proportionnel de résultat (success fees : le montant des honoraires est déterminé sur la base d'un pourcentage des gains au procès).
Le système américain accorde une large place aux success fees. Ce dispositif a un mérite. Il contribue à améliorer la situation de beaucoup de justiciables, en particulier les moins solvables. En l'absence d'aides spécifiques garantissant l'accès au tribunal, nombreux sont ceux qui devraient renoncer à défendre leurs droits justiciables. Dans l'incapacité de supporter les coûts d'un litige et en situation d'incertitude sur le résultat du procès, ils auraient du mal à trouver un avocat. On peut donc penser que le principal avantage des success fees est d'assurer un partage optimal du risque entre l'avocat et le client. Le nombre d'actions en justice sera plus élevé avec les succes fees car il protège le client contre le risque. En principe, le pourcentage rétrocédé à l'avocat est révélateur de la « qualité » de l'affaire du client. Un justiciable dont la plainte aurait peu de chances d'être pris en charge par un avocat sous un régime de tarification horaire, verra en effet sa « rentabilité » augmenter avec les success fees au fur et à mesure que le pourcentage rétrocédé à l'avocat augmente. Autrement dit, des affaires qui ne trouveraient pas facilement de défenseurs seront effectivement prises en charge grâce à ce dispositif. On comprend dès lors que les cabinets d'avocats américains fonctionnent comme des entreprises de gestion de risque. Plus le risque d'échec est grand, plus le pourcentage prélevé est important. En contrepartie, le justiciable n'a pas à payer si le procès est perdu puisque le risque est transféré à l'avocat. En transférant le risque au secteur privé, on garantit que le plus grand nombre accède au tribunal.
C'est toutefois parce qu'il n'y a pas d'assistance judiciaire (AJ) que les success fees apparaissent comme la solution en dépit des défauts du système. En premier lieu, en donnant à l'avocat la possibilité de financer le contentieux, on favorise l'apparition de procès « indésirables ». Aux Etats-Unis, les avocats se produisent à la télévision avec des spots incitant les justiciables, usagers de tel ou tel produit ou patients de tel ou tel chirurgien, à engager de nouveaux procès. La pratique des success fees a induit de nombreuses dérives (publicité massive, incitation aux procès, contentieux tous azimuts…). En second lieu, le pourcentage demandé par l'avocat est généralement jugé excessif. Cela a d'ailleurs souvent conduit les autorités américaines à intervenir en plafonnant les pourcentages rétrocédés. En troisième lieu, l'intéressement de l'avocat dans l'affaire est susceptible de provoquer un conflit d'intérêt avec son client. Enfin, même en faisant l'hypothèse d'une information parfaite dans la relation avocat-client, il est à craindre que l'effort de l'avocat soit moindre avec un honoraire de résultat par rapport à une tarification à l'heure. En effet, avec ce système le client serait disposé à payer l'avocat au point pour lequel le gain attendu égalise à la marge le coût horaire de l'avocat. En revanche, avec les honoraires proportionnels, l'avocat décide du temps qu'il va consacrer au dossier en égalisant son salaire horaire avec sa part du gain attendu. Cette dernière règle implique logiquement un effort moindre par affaire et donc un taux de réussite plus faible par rapport à un système de rémunération horaire.
Le dispositif de l'AJ trouve quant à lui sa justification dans un souci de solidarité et d'égalité d'accès des citoyens à la justice. Il s'agit d'une aide financière de l'État accordée aux personnes dont les revenus sont trop faibles. Elle prend ainsi en charge, en totalité ou en partie, les frais de procédure, les honoraires d'avocats et les frais d'expertise. Elle est subordonnée à des conditions de revenu et est versée directement à l'avocat.
Comme les success fees, l'AJ est susceptible d'influencer le nombre des poursuites. En allégeant les coûts pour les justiciables bénéficiaires, elle apparaît comme un facteur important de la libération de l'accès aux tribunaux. La question est alors de savoir si ce système présente des défauts comparables aux success fees. La réponse est clairement non.
Les Etats-Unis et l'Europe ont fait des choix très différents. Les success fees assurent un accès du plus grand nombre aux tribunaux en transférant le risque aux cabinets d'avocats, mais ce au prix de dérives nombreuses. Le système de l'AJ apparaît préférable. Car il permet aux plus démunis de bénéficier du soutien financier de l'Etat et d'aligner les incitations privées sur l'intérêt social.
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