Quel avenir pour les mutuelles? edit
Le mouvement mutualiste a connu une accélération de son développement dès lors que la création de mutuelles n’a plus été entravée par la nécessité d’un agrément préalable de l’administration comme cela était le cas avant la loi du 1er avril 1898. C’est le commencement d’une période de croissance continue, néanmoins ponctuée de crises et de difficultés qui ont parfois pu faire douter de leur survie. Ainsi en 1930 lors de la création des assurances sociales, puis de manière plus marquée encore en 1945 avec la mise en place de la sécurité sociale.
Le mouvement mutualiste a pourtant toujours su trouver les ressorts qui lui ont permis de s’adapter, de se transformer.
Son développement s’est accéléré au cours de la seconde moitié du vingtième siècle tant en nombre de mutuelles que de population couverte ou de parts de marché dans son domaine d’activité.
Cette extension considérable concerne autant les mutuelles santé, les « mutuelles 45 » nommées ainsi en référence à la date de création du code de la mutualité dont elles relèvent que les mutuelles d’assurances, plus orientées dans la couverture des biens (automobile et habitation notamment secteur dans lequel elles détiennent des parts de marché importantes, majoritaires dans le cas de l’automobile).
Les mutuelles ont longtemps été les seuls acteurs de la complémentaire santé avant de voir s’instaurer une concurrence d’autant plus vive que le marché est désormais saturé, 95% de la population disposant d’une couverture complémentaire santé.
Des signes d’essoufflements apparaissent depuis la fin des années 90, les mutuelles ne représentent plus aujourd’hui qu’un peu plus de la moitié du marché de la complémentaire santé.
Cette perte d’influence auxquelles s’ajoutent de nombreuses critiques sur leur valeur ajoutée sociale conduit certains à s’interroger sur leur rôle et leur avenir.
Les principales critiques portent sur l’affaiblissement des mécanismes solidaires qu’elles mettent en œuvre et leur valeur ajoutée par rapport aux régimes obligatoires.
Ces critiques doivent être replacées dans le contexte de la transformation que connaît le monde de l’assurance, quel que soit son domaine d’activité et qui touche à la nature même de son activité. En effet la révolution numérique et sa conséquence, les possibilités offertes par la gestion et l’exploitation de données de plus en plus nombreuses et de plus en plus précises, pourraient remettre en question le modèle de fonctionnement de l’assurance comme mécanisme de mutualisation et de répartition des risques. En effet la connaissance de plus en plus fine des caractéristiques et comportements de la population assurée devient un outil prédictif de la survenance des sinistres extrêmement précis qui réduit considérablement l’aléa à la base de toute activité d’assurance. Nous assistons aujourd’hui à une personnalisation des contrats telle que les mécanismes de mutualisation s’en trouvent fortement affaiblis.
Les mutuelles, en concurrence directe avec les autres opérateurs du marché n’échappent pas à cette tendance de fond.
D’autres évolutions, plus spécifiques aux mutuelles, doivent être prises en compte pour déterminer si elles sauront, une fois de plus, s’adapter à des changements profonds de leur environnement ou si leur disparition, du moins sous leur forme actuelle est programmée?
Elles concernent leur place par rapport aux régimes obligatoires dans un contexte de fort besoin d’organisation de l’offre de soins et des parcours et pas seulement de remboursement de soins sans regard sur leur pertinence et leur qualité et aussi leur mode de gouvernance à la fois inadapté à l’exigence de réactivité mais aussi aux attentes nouvelles de leurs adhérents.
Mais l’enjeu central qui conditionne leur avenir est lie aux conséquences de la concurrence qui caractérise désormais la marché de la complémentaire santé.
Les effets délétères d’une concurrence par les prix
L’adoption des directives européennes sur l’assurance à partir de 1994, en privilégiant l’activité et non plus le statut, avec comme premier objectif l’harmonisation fiscale, a engagé un processus de banalisation des acteurs dont les conséquences ont été largement sous-estimées à l’époque.
En effet les mutuelles mettaient en œuvre de puissants mécanismes de mutualisation, entre les générations, familiaux, voire de redistribution puisque les cotisations étaient encore souvent corrélées aux revenus dans de nombreuses mutuelles professionnelles, notamment dans la fonction publique. Ces choix étaient rendus possible par la quasi automaticité de l’adhésion à sa mutuelle professionnelle ou territoriale, l’absence de concurrence minorant le risque de voir s’échapper les populations qui contribuaient le plus à la solidarité. Depuis, la concurrence s’est développée avec d’autant plus de vigueur que de nouveaux entrants sur ce marché (notamment les bancassureurs) pouvaient se constituer des portefeuilles avec des assurés présentant un bon profil de risque. Le marché a été rapidement saturé et la bataille commerciale s’est portée sur les populations déjà assurées accentuant le recours à la publicité et augmentant ainsi les coûts de gestion. C’est une véritable machine infernale qui a ainsi été mise en place et dont on peut mesurer concrètement les effets. Si, il y a encore un quart de siècle de nombreuses mutuelles proposaient une offre unique garantissant une mutualisation large ce sont aujourd’hui plusieurs dizaines, voire centaines avec les options, de niveaux de garanties qui sont proposés aux adhérents, segmentant ainsi de plus en plus les garanties qui réunissent des populations homogènes.
La segmentation des offres et son corollaire, la sélection des risques, se substitue peu à peu à la solidarité.
Malgré cette tendance les mutuelles demeurent encore beaucoup plus solidaires que leurs concurrents, comme le soulignait la Drees dans une note de septembre 2016 intitulée « Tarification des complémentaires santé: déclin des solidarités dans les contrats individuels ». La Drees relevait néanmoins que près de 3/4 des personnes couvertes par une mutuelle en individuel le sont par un contrat assurant une solidarité entre classes d’âges contre seulement 5% des personnes couvertes par une société d’assurance. Elle notait aussi que si en 2013, 29% des personnes couvertes par une mutuelle bénéficiaient d’une tarification au revenu, ce pourcentage était de 37% en 2006. La solidarité est donc encore très présente dans les pratiques des mutuelles mais la tendance est à la dégradation des solidarités. La Drees le souligne en remarquant que « les pratiques tarifaires des mutuelles en individuel semblent se rapprocher de celles des sociétés d’assurance sans doute en raison de la pression concurrentielle ».
Et pourtant la concurrence vient encore d’être renforcée par la possibilité de résiliation à tout moment et pas seulement lors du renouvellement annuel, des contrats santé.
Le paradoxe des politiques gouvernementales, quelle que soit la majorité au pouvoir, est de conjuguer cette mise en concurrence forcenée avec une emprise réglementaire de plus en plus forte sur le contenu des contrats. Aussi la concurrence ne porte-t-elle que sur les prix, accélérant ainsi la segmentation des offres et une approche de court terme purement consumériste.
Pourtant l’enjeu de la protection sociale est aujourd’hui l’organisation de l’offre de soins, des parcours des patients autant sinon plus que la seule solvabilisation. L’absence de prise en compte de ces enjeux par la majorité des acteurs et particulièrement par les pouvoirs publics a orienté les politiques publiques vers le seul objectif de meilleurs remboursement sans prendre suffisamment en compte le pertinence et la qualité des soins. L’égalité de droits est ainsi devenue en partie fictive puisque si le remboursement est en théorie le même pour chacun, les disparités d’offre et de tarifs rendent l’accès aux soins de plus en plus fragile. Le taux important de renoncement aux soins en est le témoignage.
Des dépenses qui augmentent rapidement, une restructuration de l’offre trop lente, un poids exorbitant de l’hôpital, une médecine libérale sans organisation entretiennent une course sans assure entre croissance des dépenses et remboursements.
Cette course aux remboursements sans maîtrise des dépenses autre que budgétaire a maintenu les complémentaires dans un rôle d’auxiliaire ou de supplétifs des régimes obligatoires.
Elles pourraient pourtant avoir un rôle plus important, en articulation avec les régimes obligatoires, dans la gestion du risque et l’organisation si elles n’étaient contraintes par l’encadrement des contrats ou les limites à la contractualisation avec les professionnels de santé.
Aucune réflexion n’est menée sur les secteurs dans lesquels les mutuelles pourraient avoir une véritable valeur ajoutée.
Dans les secteurs où n’existe aucune marge de manœuvre comme dans celui du médicament (monopole de distribution, prix administrés, taux de remboursement fixé par les pouvoirs publics...) la valeur ajoutée des complémentaires est inexistante, elles ne font que renchérir et complexifier les circuits de remboursement, l’assurance maladie obligatoire pourrait utilement être le seul intervenant.
En revanche l’organisation centralisée de l’assurance maladie, ses difficultés à prendre en compte les particularités locales (en témoigne l’incapacité à réellement territorialiser les conventions médicales qui continuent à entretenir l’illusion d’une égalité de tarif, contournée et démentie par les pratiques désormais banalisées de dépassements d’honoraires... dont la prise en charge devient un véritable marché pour les complémentaires!) laissent un champ d’intervention potentiel aux mutuelles qui pourrait leur permettre d’apporter une réelle plus value dans l’organisation des parcours, en lien bien sûr avec les régimes obligatoires.
Ces derniers, précisément parce qu’ils sont obligatoires seront toujours plus solidaires pour rembourser des actes ou prestations aux tarifs définis que les complémentaires. Mais ces derniers sont bien placés pour développer des services qui ne se résument pas à leur prise en charge financière.
Développer ses interventions sous formes exercices serait d’ailleurs une forme de retour aux sources pour la mutualité qui est née autour de ce type d’interventions.
Les tendances actuelles risquent de n’offrir qu’un choix cornélien aux mutuelles: dépérir en restant solidaires ou survivre au prix de l’exclusion des plus fragiles! Les mutuelles doivent démontrer leur valeur ajoutée sociale et au delà des choix qui leurs sont propres cela suppose que le cadre, législatif, réglementaire, économique dans lequel elles évoluent ne les incitent pas, comme aujourd’hui, à abandonner leurs pratiques solidaires en pénalisant les acteurs les plus vertueux.
La banalisation des mutuelles n’est pas synonyme de leur disparition mais, et c’est probablement plus grave, de leur valeur ajoutée dans la construction d’une société inclusive et solidaire.
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