Santé et protection sociale: et si Fillon posait les bonnes questions? edit
Le 24 novembre dernier, pendant le second débat de la primaire de la droite, Marisol Touraine poste deux tweets accusant François Fillon de vouloir privatiser la santé ce qui, d’après elle, conduirait chaque foyer à dépenser en moyenne 3200 euros de plus pour se soigner. Haro sur le volet santé et protection sociale du programme de François Fillon, la polémique politique démarre en flèche ! Peut-on, loin des postures et des simplifications excessives, se poser les bonnes questions ? Il est sans doute de bonne guerre (partisane) de créer un clivage artificiel entre les vertueux défenseurs de la sécu et ceux qui feraient cyniquement disparaître la solidarité de leurs préoccupations au nom de l’équilibre des comptes publics. Mais est-ce servir la qualité du débat démocratique ? La véhémence de la polémique a conduit François Fillon à reculer. C’est dommage parce que le débat mérite d’être ouvert.
La séparation entre le gros risque et le petit risque a-t-elle du sens?
La question n’est pas nouvelle. Dans les années 1980 déjà, Jacques Barrot, alors ministre de la Santé, provoquait un tollé en évoquant cette hypothèse. Pourtant dans les faits cette tendance est une réalité depuis de longues années. Elle s’est installée silencieusement, subrepticement, avec un résultat dont nous n’avons pris conscience que récemment : les régimes obligatoires ne remboursent plus que la moitié des soins courants, c’est-à-dire ce qu’il est convenu d’appeler le « petit risque ». Didier Tabuteau (1), le premier, s’est attaché à pointer ce taux de remboursement des soins courants, un taux qui était auparavant soigneusement dissimulé derrière des moyennes rassurantes. Tous les gouvernements qui se sont succédé ont contribué à cette évolution, parfois brutalement avec des augmentations du ticket modérateur, importantes comme dans la loi Veil en 1993 ou de manière plus limitée sur certains médicaments en 2010. De façon continue, on a accepté la déconnexion entre les bases de remboursement de l’Assurance maladie obligatoire et les prix réellement pratiqués. Ce mouvement a été patent pour les dispositifs médicaux en général et l’optique en particulier, mais aussi pour les dépassements d’honoraires médicaux dans plusieurs spécialités et sur certains territoires. C’est ainsi que la séparation petit risque/gros risque s’est esquissée, puis s’est incrustée dans un silence assourdissant.
Dans une approche de santé publique cette distinction n’a évidemment aucun sens. Comment peut on prétendre d’une seule voix qu’il faut développer la prévention, agir plus précocement, notamment en tirant parti des progrès de la médecine prédictive et diagnostique, d’une part, et favoriser la prise en charge financière des pathologies lourdes une fois installées, d’autre part ? C’est pourtant ce que nous faisons. Il suffit de comparer le reste à charge pour les soins de ville, 454 euros par assuré et celui observé à l’hôpital, 44 euros (2). Faut-il chercher ailleurs les raisons profondes de la place beaucoup plus importante de l’hôpital en France que chez nos voisins, ou les motifs d’une fréquentation en hausse constante des urgences hospitalières?
Il est d’ailleurs intéressant d’observer que la distinction petit risque/gros risque s’attache moins aux pathologies qu’aux institutions qui les prennent en charge, la médecine ambulatoire d’un côté, l’hôpital de l’autre. Ce simple constat montre bien que ce n’est pas un raisonnement sanitaire rationnel qui sous-tend cette distinction qui fait tant couler d’encre. Elle est tout simplement dictée par la contrainte financière de lutte contre les déficits de nos comptes sociaux ... mais avec une efficacité très limitée. Personne ne contestera que s’il faut choisir il est préférable de rembourser une chimiothérapie plutôt qu’un médicament peu efficace pour une pathologie bénigne. Mais chacun comprendra aussi que la prise en charge des pathologies lourdes est beaucoup plus onéreuse que celle des soins courants. Pourtant, si la Sécurité Sociale bénéficie d’une image aussi positive c’est bien parce qu’elle donne le sentiment de profiter à tous, d’être une des seules interventions sociales réellement universelles grâce au remboursement des soins courants, nous avons en effet et heureusement beaucoup moins souvent besoin d’interventions lourdes! C’est donc la légitimité même de la solidarité nationale qui pourrait être bousculée si l’on systématisait cette séparation « petit risque/gros risque » sans en mesurer toutes les conséquences. Il est en revanche nécessaire de réfléchir à l’organisation de l’offre de soins pour éviter que les dépassements d’honoraires en médecine de ville ne conduisent à plus grand recours à l’hôpital, aux parcours de soins des patients et au contenu du panier de soins éligibles au remboursement en dépassant la distinction petit risque/gros risque qui n’a guère de sens au-delà de la sémantique bien éloignée de la réalité épidémiologique.
Et pourtant chacun continue à faire comme s’il suffisait d’augmenter le taux de remboursement des régimes obligatoires pour mettre fin aux inégalités et au renoncement aux soins. Nous avons pourtant un exemple sous les yeux, le régime d’Alsace Moselle qui montre les limites d’une telle politique en l’absence de tarifs opposables (3). Le renoncement aux soins persiste, les complémentaires demeurent présentes et indispensables et les dépassements d’honoraires sont plus importants que dans les départements comparables. Nous sommes probablement le seul pays qui prétend lutter contre les restes à charge sans tarifs opposables et en limitant les accords entre financeurs complémentaires et professionnels de santé.
Considérer que seule l’intervention des régimes obligatoires est légitime n’aurait de sens que si ces mêmes régimes pouvaient à la fois imposer des tarifs opposables et organiser l’offre et les parcours de soins, deux domaines dans lesquels ils ont failli. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle tous les gouvernements, quels qu’ils soient, se sont appuyés sur les assureurs complémentaires et notamment les mutuelles pour lutter contre le renoncement aux soins – et limiter les prélèvements obligatoires.
Des réformes indispensables mais pourtant absentes des débats
L’objectif d’un système de protection sociale efficace est de lutter contre les inégalités face à la maladie et de combattre le renoncement aux soins. Ces problèmes trouvent leur origine dans les obstacles financiers bien sûr, mais aussi dans l’organisation de l’offre de soins et des parcours des patients. Pourtant quel candidat osera poser la question de l’installation des professionnels libéraux? Doit-on augmenter le nombre de professionnels formés sans réduire les disparités géographiques? L’intervention publique ne devrait-elle pas se focaliser sur la réponse aux besoins de la population plutôt que de pérenniser les déséquilibre au nom de la liberté d’installation?
Un autre sujet mérite une lecture nuancée, celui du reste à charge. En 2003 le Haut Conseil à l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) a consacré ses premières séances à définir le reste à charge des ménages. Deux conceptions s’opposaient : la première ne considérait que les tarifs remboursables, ignorant la réalité des dépassements et des prix libres, et la seconde prenait en compte cette réalité, la somme payée effectivement par chaque patient. Ce débat est loin d’être clos. Il est significatif d’observer la distinction que font encore les services du Trésor entre ce qu’ils appellent le « RAC opposable » après intervention de l’Assurance Maladie Obligatoire et le « RAC total » (qui prend en compte la partie à prix libres ou les dépassements) qualifié de « pseudo reste à charge » (4)… mais qui correspond exactement à ce que chacun supporte dans la vie réelle!
L’objet de ce papier n’est pas de trancher entre les différentes hypothèses en débat mais simplement de rappeler la complexité des mécanismes en jeu et d’observer que la quasi totalité des scénarios et des propositions continuent de privilégier l’augmentation de la participation des assurés pour les soins courants. Qu’il s’agisse de l’instauration d’un plafonnement du reste à charge (évidemment très différent selon que l’on considère le « reste chargé opposable » ou le « reste à charge total », distinction que chacun refuse d’affronter parce ce qu’elle remet en cause la vision idéalisée que nous avons de la Sécurité Sociale!) qui conduit à une redistribution vers les personnes âgées parce que gros consommateurs de soins, ou de l’introduction de critères de revenus, bien sûr favorable aux plus modestes, toutes ces évolutions posent la question de la place des assurances complémentaires.
Un débat incontournable
La simplification ne sert sûrement pas la pédagogie. La caricature, la séparation binaire entre un secteur public paré de toutes les vertus et des acteurs privés qui ne seraient soucieux que de leurs intérêts n’ont guère de sens dans le monde de la protection sociale et de la santé. Il est paradoxal d’avoir considérablement renforcé la réglementation des complémentaires au point de limiter leurs capacités d’innovation et de régulation, de les considérer presque comme un accessoire de l’assurance maladie et de crier à la privatisation lorsque l’on propose de leur confier une partie des soins courants... ce à quoi tous ceux qui s’insurgent, à droite comme à gauche, ont contribué. L’assurance maladie obligatoire ne rembourse plus que 4% des dépenses d’optique ou 18% des prothèses dentaires, faut-il le rappeler ? Aujourd’hui François Fillon est revenu sur ses premières propositions, d’abord en les faisant disparaître de son site, puis en affirmant que l’assurance maladie devait réinvestir le secteur de l’optique. Pourquoi pas ? Mais comment ?
Chacun s’honorerait à faire de ces questions un sujet de débat politique pour les prochaines échéances, en tentant de traiter des objectifs parfois antagonistes, comme l’équilibre des comptes, l’accès aux soins, les attentes des professionnels. Chacun s’honorerait de ne pas céder à la facilité en fantasmant sur un modèle de Sécurité Sociale que l’on refuse de faire évoluer.
1. Responsable de la Chaire Santé de Sciences-Po, co-directeur de l’Institut Droit et Santé.
2. Les Cahiers de la DG Trésor, 2012-04, décembre 2012, tableau 1 page 15.
3. On appelle « tarifs opposables » des tarifs fixés à l’avance et respectés par les professionnels de santé. Ils sont indispensables, qu’ils soient le produit de la réglementation ou le résultat d’accords contractuels, pour supprimer les restes à charge et éviter les phénomènes inflationnistes. C’est le cas des tarifs des médecins du secteur 1 et de nombreuses autres professions, infirmiers, orthophonistes, dont les honoraires correspondent à la base des remboursement de la Sécurité Sociale.
4. Les Cahiers de le DG Trésor, 2012-04, décembre 2012, graphique 4 page 11.
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