Religion et politique aux États-Unis edit

19 novembre 2015

Les attitudes religieuses et politiques sont historiquement corrélées dans la plupart des pays occidentaux. La nouvelle enquête de Pew Research Center permet de mesurer l’ampleur de cette corrélation et son évolution aux Etats-Unis. Dans ce pays, cette corrélation demeure très forte et elle a même eu tendance à s’accroître dans la période récente, c’est-à-dire entre 2015 et l’enquête précédente menée en 2006.

Tandis qu’aujourd’hui 37% de l’ensemble des personnes interrogées se disent proches des Républicains et 44% proches des Démocrates, ces proportions sont respectivement de 43% et 40% chez les chrétiens de 26% et 64% chez les juifs, de 17% et 62% chez les musulmans et de 15% et 69% chez les personnes sans religion. L’écart entre les personnes de confession chrétienne et les autres est essentiellement dû aux protestants évangélistes, les catholiques se situant, eux, dans la moyenne de l’échantillon.

De telles différences se retrouvent à propos des attitudes à l’égard de la conception du rôle de l’Etat. Les enquêtés étant incités à choisir entre un Etat plus développé offrant plus de services et pour un Etat moins développé offrant moins de services, ce sont les évangélistes qui créent la polarisation avec le reste de la population, étant particulièrement hostiles à un Etat actif dans le champ social. Or, non seulement ce groupe est l’un des plus hostiles à ce type d’Etat mais encore il est l’un de ceux où, entre 2006 et 2015, cette hostilité a le plus fortement augmenté (de 16 points contre 7 pour l’ensemble des Américains). C’est cette radicalisation des évangélistes, mais aussi des mormons et des orthodoxes, qui explique l’augmentation de la polarisation politique entre les Républicains et les Démocrates dans cette période. Ainsi, tandis que le choix pour un Etat peu actif dans le domaine social a augmenté de 17 points chez les Républicains, il n’a augmenté que d’un point chez les Démocrates.

Nous trouvons confirmation de ce clivage de nature religieuse à propos de l’aide gouvernementale aux plus pauvres. Les différences entre les groupes est du même ordre que vu précédemment avec une polarisation entre des évangélistes majoritairement hostiles à une telle aide et les non chrétiens largement favorables. Cette polarisation ne concerne pas uniquement la politique sociale. Elle s’étend également à la question de l’opportunité des régulations en matière d’environnement. Seuls les évangélistes y sont opposés dans leur majorité, les athées y étant les plus favorables. Du coup, la polarisation entre Républicains et Démocrates s’accroît fortement. Ainsi, tandis que le soutien aux régulations environnementales chute de treize points chez les Républicains, il augmente de trois chez les Démocrates (72% contre 39%).

On retrouve une telle corrélation à propos des attitudes à l’égard de l’accroissement de l’immigration. Tandis que les évangélistes sont partagés sur la question de savoir si cette augmentation est une bonne chose ou pas, les autres groupes sont clairement favorables à l’immigration.

On ne s’étonnera pas de constater que ce clivage entre les évangélistes et les autres groupes est particulièrement net à propos de la question du rapport entre science et religion. Seuls les évangélistes n’adhèrent pas à la théorie de l’évolution. Pour eux, la vérité sur la création du monde demeure celle inscrite dans la Bible.

Il est intéressant de constater que ce phénomène d’accroissement de la polarisation en fonction des attitudes religieuses ne concerne pas les valeurs du libéralisme culturel. Si, par exemple, les catholiques, les juifs et les athées demeurent nettement plus nombreux que les évangélistes et les musulmans à estimer que l’homosexualité devrait être acceptée dans la société, cette acceptation progresse néanmoins fortement dans tous les groupes. De même, mais en sens contraire, on ne mesure d’augmentation significative des opinions favorables à la légalisation totale de l’avortement dans aucun des groupes.

 

La polarisation politique actuelle aux Etats-Unis étant largement liée à la diversité des affiliations religieuses, il convient de s’interroger sur les changements démographiques qui ont pu affecter les différents groupes pour tenter de prévoir l’évolution à venir du rapport des forces politiques dans ce pays. Les évolutions mesurées entre les deux enquêtes sont ici du plus grand intérêt. Rappelons d’abord que les Etats-Unis sont l’un des pays occidentaux où l’affiliation des citoyens à une religion est la plus générale. 77% déclarent aujourd’hui une affiliation religieuse et 80% déclarent qu’ils croient en Dieu. Cependant, en l’espace d’une dizaine d’années s’est produite une baisse de six points des personnes ayant une affiliation religieuse. L’essentiel de cette baisse s’explique presqu’uniquement par le processus du renouvellement des générations. Une analyse de cohortes montre en effet que la proportion des personnes qui se rattachent à une religion, par leurs attitudes et leurs comportements, diminue régulièrement des générations plus anciennes au plus jeunes. Prenons l’exemple de la prière quotidienne: 67% des membres de la génération la plus ancienne prient tous les jours contre 39% de ceux de la génération la plus jeune. Nous retrouvons les mêmes écarts entre les différentes générations à propos de l’assistance à l’office religieux chaque semaine ou de l’affirmation selon laquelle la religion sert de boussole pour juger du bien et du mal ou bien qu’elle représente quelque chose d’important dans la vie de la personne interrogée. Nul doute qu’est ici à l’œuvre une lente mais véritable mutation de la société américaine. Néanmoins, cette baisse des pratiques religieuses ou du besoin de religion ne va pas jusqu’à s’accompagner d’une baisse significative de la croyance en Dieu… ou à l’Enfer. Si les générations les plus âgées sont massivement croyantes (92%), les plus jeunes le sont presque autant (82%). Et ces dernières croient autant à l’Enfer que les plus anciennes (56%). Comme si l’éloignement de la religion se traduisait d’abord par l’abandon des pratiques et le moindre besoin personnel de la religion et non pas par le rejet de la croyance elle-même. Nonobstant, il apparaît bien qu’il existe une tendance historique à l’affaiblissement de la religiosité au sein de la société américaine comme dans les autres sociétés occidentales, même si l’immense masse des Américains demeure croyante.

La diminution des personnes ayant une affiliation religieuse a des implications directes sur l’évolution de la composition des sympathisants du Parti démocrate. Pour la première fois, les personnes sans affiliation religieuse y constituent le groupe le plus important (28%). En revanche, chez les sympathisants républicains, les Evangélistes demeurent le groupe le plus nombreux (38%). C’est donc l’opposition entre ces deux groupes, non affiliés et évangélistes qui structure de manière croissante la polarisation politique actuelle aux Etats-Unis.