Covid-19: une stratégie à revoir edit

6 janvier 2021

On peut contrôler une maladie contagieuse en isolant rapidement les personnes contaminées, ce qui évite la propagation de la maladie ; on sait cela depuis plus de mille ans.

Le premier problème de la contamination par le SARS-CoV2 est la fréquence du portage asymptomatique du virus : des personnes sans aucun symptôme sont contagieuses sans le savoir. Cette caractéristique de l’épidémie a été identifiée rapidement, par exemple dans un article mis en ligne par la revue Science le 1er avril 2020 (Ferretti et al.). Pourtant les autorités françaises n’ont cessé de concentrer leurs efforts sur la détection des personnes symptomatiques.

Le second problème est la rapidité avec laquelle le virus est éliminé par les personnes contaminées : la plupart des infections durent 10 à 12 jours et les symptômes, s’ils doivent apparaître, apparaissent autour du cinquième jour. En testant en moyenne deux à trois jours après l’apparition des symptômes et en rendant les résultats 24h après le test, on informe de leur contagiosité, des personnes qui sont déjà contagieuses depuis 8 ou 9 jours, et qui pour la plupart ne sont plus que très peu contagieuses. La figure 1 illustre le phénomène.

Les pays qui ont contrôlé l’épidémie ont testé massivement autour des cas identifiés. C’est ainsi que le Vietnam, la Chine, la Nouvelle Zélande, la Corée du Sud, Hong Kong, le Japon et l’Australie ont à la date du 24 décembre un nombre cumulé de décès par covid-19 pour 100 000 d’habitants respectivement égal à 0,04 0,34 0,5 1,5 1,8 2,4 et 3,6 alors qu’en France ce nombre de décès cumulé par covid-19 pour 100 000 habitants était égal à 92 à la même date.

En France, l’impréparation et les messages contradictoires sur les masques ont déjà été largement commentés et ont été le sujet d’auditions parlementaires, il n’y a rien d’intéressant à ajouter. Mais les informations qui ont longtemps été données tous les soirs par le gouvernement méritent discussion. S’il faut saluer l’effort de rassemblement des données par Santé Publique France et d’autres organismes, on peut déplorer, sous prétexte de transparence, une abondance de données sans mise en perspective. Une épidémie est un phénomène dynamique, donc ce qu’il faut surveiller c’est le nombre de nouveaux cas, le nombre d’admissions à l’hôpital, le nombre d’arrivées en réanimation, et le nombre de décès quotidiens. L’occupation des lits d’hôpitaux et l’occupation des lits de réanimation sont des indicateurs utiles pour gérer l’épidémie mais ne sont pas de bons indicateurs pour la surveiller. Tous ces nombres varient en fonction du jour de la semaine, comme le montre la figure 2, en particulier les nombres de décès présentent des maxima chaque mardi et vendredi, jours de prise en compte des décès dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), il faut donc les lisser en faisant la moyenne sur sept jours.

On a extraordinairement peu insisté sur le fait que le nombre de cas identifiés un jour donné ne représentait absolument pas le nombre de personnes contagieuses. Il suffit d’ailleurs de comparer les figures 2a et 2c pour voir qu’on n’a identifié qu’une très faible fraction des cas de la première vague. La parution dans la revue Nature le 21 décembre d’un article (Pullano et al.) montrant que les cas identifiés en France entre le 11 mai et le 28 juin représentaient environ 10% des cas en a surpris plus d’un alors que l’article était en ligne depuis plusieurs mois. Diviser ce nombre de cas connus, qui ne correspond qu’à une petite partie de la réalité, par l’effectif de la population et baptiser le résultat « taux d’incidence » est une erreur. Si on connait le nombre de personnes positives le jour j dans un pays, en divisant ce nombre par l’effectif de la population on obtient la prévalence de l’infection, proportion de personnes infectées le jour j dans la population quelle que soit l’ancienneté de l’infection, c’est différent de l’incidence qui est la fréquence des infections acquises le jour j. Pour trouver la prévalence, il suffisait de tester un échantillon représentatif de la population, chose faite par exemple en Angleterre de façon répétée (Pouwels et al.).

(La différence entre Incidence et prévalence ? Prenons un exemple en épidémiologie des cancers. L'incidence annuelle du cancer du sein est le nombre de nouveau cas de cancer du sein diagnostiqués en France une année donnée. La prévalence est le nombre de  femmes en vie cette année-là qui ont eu antérieurement un cancer du sein. Pour le covid-19 : en testant toute la population ou un échantillon, on estime la prévalence du portage du virus, sans savoir depuis quand ces personnes sont positives. Il y a une relation simple entre la prévalence et l'incidence, à travers la durée moyenne, ici de l'infection, qui est : Prévalence = Incidence x Durée moyenne de l'infection. Le taux d’incidence permet d’identifier le nombre de nouveau cas sur une période définie. La connaissance des variations de ce taux permet de mesurer la vitesse de l’évolution de la pandémie. En ce sens, c’est un indicateur très utile pour les pouvoirs publics. La prévalence renseigne le nombre de cas sur la durée de l’infection, c’est-à-dire qu’elle englobe ceux déjà présents + les incidents.)

Le ministre de la Santé a répété maintes fois qu’on avait fait beaucoup de tests en France, mais en réalité l’utilisation des tests a été dispendieuse et inefficace par manque de stratégie identifiée. Après le premier confinement, les personnes qui se présentaient étaient testées gratuitement sans prescription médicale, sans que l’on cherche à tester plus particulièrement les personnes proches des cas identifiés. Et cette stratégie perdure puisque les tests antigéniques sont disponibles en pharmacie sans aucune sélection. Enfin, on a entrepris des campagnes de dépistage au Havre, à Charleville-Mézières et en Auvergne-Rhône-Alpes, mais ces campagnes ont atteint moins de 20% de leur population cible, taux de couverture bien trop bas pour que l’on puisse parler de dépistage de masse.

Ainsi, après plus de dix mois de gestion de l’épidémie, le pays se trouve dans une situation économique catastrophique et le virus continue de circuler sans contrôle. La seule solution, en attendant d’avoir atteint une couverture vaccinale suffisante, est de tester réellement massivement la population pour isoler rapidement les personnes positives.

Cela ne peut se faire que sur la base de prélèvements salivaires[1], plus acceptables et ne nécessitant pas de personnel ; ces prélèvements sont autorisés par les autorités américaines et européennes, mais la Haute Autorité de Santé (HAS) est encore en train d’étudier la question. Les réticences de la HAS reposent sur une analyse d’études dans lesquelles les mêmes personnes ont eu à la fois un prélèvement nasopharyngé et un prélèvement salivaire, prélèvements qui ont ensuite été testés par RTqPCR. La HAS a pris le prélèvement nasopharyngé comme référence ; les cas où le prélèvement salivaire était positif et le prélèvement nasopharyngé négatif ont donc été considérés comme des faux positifs de la salive. Or ceci est discutable : il y a des faux négatifs avec les prélèvements nasopharyngés et la RTqPCR est très spécifique, donc si on trouve du virus dans un prélèvement, c’est qu’il y a du virus dans ce prélèvement (avec un seuil raisonnable de nombre de cycle de PCR) (Hill).

Par ailleurs, on peut démultiplier les capacités de tests RTqPCR en regroupant les prélèvements. On met dans le même tube une centaine de microlitres provenant des prélèvements de 20 personnes par exemple, et on teste par RTqPCR le contenu de ce tube. Si la prévalence du virus est de 1% dans la population, en groupant les prélèvements par 20, un tube sur 5 sera positif, et les 20 personnes dont le prélèvement est dans ce tube peuvent être testées individuellement car on aura gardé le reste de chaque prélèvement. Avec 25 tests, on aura testé 100 personnes.

En attendant environ 400 personnes meurent chaque jour depuis fin novembre dont 31% sont dans des EHPAD. On n’est pas parvenu à protéger les personnes les plus fragiles et les plus facilement identifiables parce qu’hébergées dans des établissements répertoriés : dans l’ensemble des établissements médico-sociaux (hébergeant des personnes âgées, handicapées…) on a enregistré 200 000 cas dont 70 000 parmi le personnel. Et une partie de l’activité économique est à l’arrêt. Un expert de l’Organisation mondiale de la santé cité par The Guardian a dit que « confiner une population entière est le prix qu’un pays paie pour avoir échoué à isoler les porteurs du virus et leurs contacts ». La population française va donc devoir payer la mauvaise gestion de l’épidémie par les pouvoirs publics.

Figure 1 : Dynamique des contaminations

 

Figure 2 : Surveillance de l’épidémie de covid-19 en France. Le nombre de cas est un mauvais indicateur car il dépend de qui on teste.

Source :  https://dashboard.covid19.data.gouv.fr/vue-d-ensemble?location=FRA

Références

Ferretti L, Wymant C, Kendall M, Zhao L, Nurtay A, Abeler-Dörner L, Parker M, Bonsall D, Fraser C. Quantifying SARS-CoV-2 transmission suggests epidemic control with digital contact tracing. Science. 2020 May 8;368(6491):eabb6936. doi: 10.1126/science.abb6936. Epub 2020 Mar 31.

Pouwels KB1, House T, Pritchard E et al. Community prevalence of SARS-CoV-2 in England from April to November, 2020: results from the ONS Coronavirus Infection Survey. Lancet Public Health 2020 Dec 10;S2468-2667(20)30282-6.  doi: 10.1016/S2468-2667(20)30282-6. Online ahead of print.

Pullano G, Di Domenico L, Sabbatini CE et al. Underdetection of COVID-19 cases in France threatens epidemic control. Nature 2020 Dec 21.  doi: 10.1038/s41586-020-03095-6. Online ahead of print.

Hill C. Évaluation de l’intérêt du prélèvement salivaire pour dépister l’infection par le SARS-CoV-2. L’erreur de la Haute Autorité de santé. La revue du praticien 2020 ; 70 : 1066

 

[1] Une méta-analyse de 44 études comparant les deux prélèvements nasopharyngés et salivaires est en cours. Sur les 12 000 paires de prélèvements, il y a 93% de concordances, et les discordances sont dans les deux sens donc le test sur prélèvement salivaire n’est pas nettement moins fiable que sur prélèvement nasopharyngé.