Attac cardiaque edit
La démission le 25 août dernier de la direction d'Attac suite aux conclusions du rapport de René Passet faisant état de fraudes et de manipulations commises lors de l'élection ayant conduit en juin dernier à la réélection du président sortant Jacques Nikonoff n'est que le dernier épisode d'une série de crises qui secouent l'association depuis deux ans.
Créée en juin 1998, l'Association pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens est l'un des principaux mouvements altermondialistes en France, en Europe et dans le monde. Certains s'étaient quelque peu interrogés sur les conditions de l'élection de Jacques Nikonoff à la présidence d'Attac en 2002. Celui-ci avait été, en effet, choisi par son prédécesseur, Bernard Cassen, et s'était présenté comme candidat unique. La crise a cependant véritablement éclaté en 2004 autour de la question particulièrement taboue dans la mouvance altermondialiste de l'engagement politique. Cette année-là, une partie du bureau d'Attac, dont ses trois vices-présidents d'alors, François Dufour, Susan George et Gustave Massiah, accusent Bernard Cassen, président d'honneur de l'association et proche de Jean-Pierre Chevènement, et Jacques Nikonoff, président et ancien membre du collège exécutif du Parti communiste français, d'avoir été à l'origine de la formation de la liste "100 % altermondialistes" en perspective de l'élection européenne. Bernard Cassen et Jacques Nikonoff démentent, mais cette liste reprend effectivement les principales propositions d'Attac sur l'Europe et ceux qui la conduisent sont des membres de l'association qui sont proches d'eux. Un an plus tard, en juillet 2005, les trois mêmes vice-présidents rédigent une lettre qu'ils adressent aux adhérents. Ils s'en prennent à nouveau à la direction et soutiennent la candidature de Jacques Cossart à la présidence d'Attac contre Jacques Nikonoff. En raison des tensions, l'élection à la présidence ne se déroule pas en décembre 2005, mais est finalement repoussée au mois de juin 2006. Jacques Nikonoff est alors réélu dans les conditions dénoncées par le rapport Passet. La baisse notable du nombre de membres d'Attac, pour la première fois en 2005, constitue une autre dimension de cette crise.
Au-delà des querelles de personnes ou des tendances autoritaires de la direction, deux raisons profondes semblent pouvoir expliquer cette crise. La première, structurelle, est la nature foncièrement ambiguë d'Attac. L'association présente, en effet, les traits d'un mouvement social qui entend changer la société par le bas dans une logique de contre-pouvoir, mais aussi d'une organisation politique non partisane, dont l'objectif est de changer la société par le haut en pesant sur le débat et la décision politiques, sans pour autant s'engager dans des processus électoraux. En effet, Attac s'est toujours refusée à se transformer en un parti politique, à présenter ou à soutenir des candidats à des élections, y compris José Bové s'il se présentait à la présidentielle de 2007.
Les positions défendues par les deux "camps" qui s'opposent en son sein recoupent ainsi chacun de ces traits. L'ancienne direction privilégiant l'organisation politique non partisane estime qu'Attac doit être une organisation de masse qui s'appuie principalement sur ses adhérents directs en affirmant son autonomie vis-à-vis des organisations qui la composent (les mouvements fondateurs). Pour ses opposants membres du collège des fondateurs, Attac doit être plutôt "un lieu de convergence des forces qui luttent contre la mondialisation libérale", donc une sorte de nébuleuse des mouvements altermondialistes en France. Les premiers récusent par conséquent l'idée qu'Attac devienne "un secrétariat permanent d'un cartel de fait d'organisations" (Bernard Cassen) ou un "Forum social permanent" (Jacques Nikonoff), tandis que les seconds soupçonnent l'ancienne direction de vouloir transformer Attac en un mouvement politique s'appuyant sur ses seuls adhérents.
Ces dissensions sur les objectifs d'Attac ont semble-t-il été renforcées par la mise en cause de deux des caractéristiques spécifiques de l'association, à savoir le pluralisme et la quête de consensus. L'innovation majeure d'Attac a sans doute été d'avoir réussi à réunir différents courants de la gauche anti- réformiste - néo-keynésiens, communistes, trotskistes, écologistes, souverainistes, tiers-mondistes -, l'une des conditions de cette cohabitation étant que l'association évite d'aborder les sujets qui divisent. Or, la direction d'Attac a récemment pris des positions assez nettes sur un certain nombre de thèmes comme l'Europe, le commerce, les expériences alternatives en Amérique latine, les forums sociaux ou le rapport aux mouvements musulmans radicaux qui semblent avoir brisé ce pluralisme et constitué un facteur de division en son sein, contribuant certainement à aviver les tensions.
Déçus par l'expérience Lula au Brésil, les présidents d'honneur, Bernard Cassen et Ignacio Ramonet, apportent ainsi leur soutien de façon de plus en plus claire à la révolution bolivarienne controversée menée par Hugo Chavez au Venezuela et au nouvel "axe" se mettant en place entre ce pays, la Bolivie d'Evo Morales et Cuba. Immédiatement après le Forum social mondial de Caracas en 2006, où Bernard Cassen et Ignacio Ramonet ont été très visibles, Christophe Ventura, le responsable international d'Attac, déclarait qu'il y a une cohérence entre les analyses et les grilles de lecture proposées par des organisations comme Attac - et le mouvement altermondialiste en général - et ce qui se met en pratique ici au Venezuela. Ce pays constitue en effet un laboratoire irrigué par des politiques de type altermondialiste. Sur le commerce, la position défendue par Attac apparaît de plus en plus ouvertement protectionniste, comme en témoigne par exemple son soutien au récent accord commercial "alternatif" conclu entre Caracas, La Paz et La Havane, tandis que sur l'Europe, les postures de la direction ont des accents souvent souverainistes.
Attac ne va certainement pas disparaître, mais son image devrait être durablement ternie, d'autant que son influence semble s'être amoindrie depuis quelques années au sein de la mouvance altermondialiste. Attac n'est plus désormais à l'avant-garde de l'altermondialisme. Cette crise va accélérer cette perte d'influence, d'autant que certains mouvements, qui ont eu à supporter la prédominance d'Attac, devraient en profiter pour prendre quelque peu leurs distances avec l'association. Pour les militants ou les sympathisants, les impressions qui vont dominer sont celles d'un immense gâchis et d'un espoir déçu. Alors que pour eux Attac incarnait une façon différente d'envisager la politique, l'engagement citoyen et la gauche, cette crise a prouvé qu'elle était une organisation comme les autres avec les travers d'un parti politique traditionnel.
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