PS : la roue de la distribution étatique edit
La Convention pour l’égalité réelle du PS a accouché d’un texte formidable. Elle se propose de faire tourner la grande roue de la redistribution étatique afin de réduire toutes les disparités : de salaires, de revenus, d’éducation, de logement, de santé, d’équipement des territoires, de mobilité, et de statut. En dehors des traditionnels ennemis du peuple, qui pourrait ne pas adhérer à ce programme, collectif pour ne pas dire collectiviste, et offrant de surcroît l’avantage de ne pas être chiffré ? Pourtant, un volet de ce programme retient l’attention : il concerne l’éducation et l’insertion des jeunes.
Au détour d’un paragraphe, on apprend que, s’ils remportent les élections en 2012, les socialistes feront de la première année une « grande cause nationale pour la jeunesse ». Ce projet repose sur trois piliers.
Premièrement : un investissement spectaculaire en faveur de l’éducation. Celui-ci va du service public de la petite enfance (triplement du nombre d’enfants accueillis dans les structures collectives en 10 ans) à la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans, d’une part, et de l’objectif d’amener 50 % d’une génération à un diplôme d’enseignement supérieur – au lieu des 40 % d’aujourd’hui – à l’idée de doter les universités des mêmes moyens financiers que les grandes écoles, de l’autre. Certains points qui répondent à des débats récurrents sur l’école française méritent d’être notés : concentration des moyens sur les premiers cycles d’apprentissage, forte diminution du redoublement considéré comme pénalisant par tant d’experts, organisation du temps scolaire en fonction du rythme de l’enfant, etc. Ces mesures en faveur de l’intégration scolaire, impliquent un vaste effort d’encadrement des jeunes par des professionnels, en particulier des enseignants, donc une croissance des effectifs salariés.
Deuxièmement : faire de l’orientation un temps d’émancipation, au lieu d’un système de sélection par l’échec (réorganisation des services d’information et d’orientation scolaire, développer les possibilités de seconde chance).
Troisièmement : créer une allocation d’autonomie pour les jeunes. Ce programme a été chiffré par le think tank Terra Nova à environ 50 milliards d’euros (12 milliards pour l’allocation d’autonomie, qui s’articule à des prêts étudiants) qui dégage des pistes de financement : la suppression de la plupart des transferts liés à l’entrée dans l’âge adulte et qui sont actuellement versés à la famille ; la suppression du quotient familial, donc des allègements d’impôt pour les familles; l’alignement de la fiscalité des retraités aisés sur celle des actifs ; l’augmentation de la CRDS, impôt affecté au remboursement de la dette sociale.
L’allocation d’autonomie, innovation la plus percutante du dispositif, répond à la fragilité économique des jeunes. Rappelons les données : en France, 37 % des 15-29 ans ont un emploi, 40 % font des études sans occuper d'emploi, moins de 10 % font des études en occupant un emploi, et 12 % sont sans emploi et ne poursuivent pas d'études – autre façon d’aborder cette question : un quart de ceux présents sur le marché de l’emploi sont au chômage, un chiffre plus de deux fois supérieur à celui de la moyenne des actifs. En outre, beaucoup d’étudiants, notamment ceux issus de familles défavorisées, multiplient les petits jobs, pour aider à financer leurs études. Dans cette tranche de vie, les jeunes ainsi dépendent, pour une large part, des transferts sociaux ou de l’aide familiale : or, en France, les transferts sociaux liés à l’entrée dans l’âge adulte se font en direction des familles et non pas directement aux jeunes, un choix politique préjudiciable à l’autonomie de ces derniers.
Cette allocation d’autonomie, qui figurait déjà dans le rapport Charvet, commandé par la gauche en 2001, est donc investie d’une double finalité. D’abord culturelle : en allégeant voire en supprimant la dépendance familiale dans laquelle réside une grande partie des jeunes adultes, en reconnaissant un droit à la formation post-bac, elle donne un statut à cet âge intermédiaire de la vie. Ensuite économique : elle atténue une source d’inégalités entre les jeunes, et s’affirme en soutien des enfants des petites couches moyennes et populaires, qui ne sont pas alors obligés de jongler avec les jobs pour assurer leur quotidien et peuvent se consacrer à leurs études. Et par les modalités de son financement, elle opère un transfert économique entre les générations vieillissantes au profit de la génération montante.
Si cette politique pour la jeunesse était mise en œuvre, elle transformerait substantiellement la vie d’un grand nombre de familles, et redonnerait des couleurs au moral des français, tant l’angoisse pour l’avenir de leur progéniture est le commun dénominateur de beaucoup de parents. Atteindre un bon niveau de qualification demeure le meilleur bouclier contre le chômage, toutes les statistiques le démontrent. Certes, un engagement fiscal serait requis de la part des familles et des retraités, au moins les plus aisés –et pas uniquement de la part des détenteurs du grand capital, comme le laisse souvent entendre le discours socialiste. Mais pour des dépenses tournées vers le futur des générations, pour l’éducation et l’aide à l’autonomie, l’acceptabilité des contribuables serait sans doute plus forte que pour tout autre sujet de politique publique. Dans une société dotée d’un taux de fécondité supérieure à la moyenne européenne, et où la famille est une valeur plébiscitée, le pari d’un investissement collectif sur la jeunesse vaut la peine. Par ailleurs, ces mesures devraient, d’un même élan, adoucir des inégalités sociales et insuffler une énergie positive au lien entre les générations.
Ce volet éducatif constitue l’atout de la convention pour l’égalité réelle. Mais noyé dans le flot de propositions ciblées tous azimuts, et étant lui-même fort coûteux, il perd de sa crédibilité. Pourquoi les socialistes ne le mettent-ils au centre de leurs préoccupations ? Au moment où la droite s’engage en faveur de la dépendance à la fin de la vie, une telle orientation affirmerait une autre priorité tout aussi légitime, tant les conditions d’entrée dans la vie d’adulte sont devenues difficiles, tant la nouvelle génération peut être tenue pour sacrifiée ? Entre la gauche et la droite se dessinerait une superbe alternative, un vrai choix politique. Et bien non. Le PS a préféré projeter un film en écran panoramique et haute définition, histoire de plaire à tout le monde. Il a préféré le scénario onirique au scénario pertinent.
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