Musulmans de France: trois leçons d’une enquête edit
L’enquête réalisée par l’Institut Montaigne sur les musulmans en France est d’un intérêt majeur. Les résultats en sont très instructifs par ce qu’ils nous apprennent mais aussi et surtout en ce qu’ils nous permettent d’agir et de préserver, si nous les interprétons correctement, la paix civile avec l’islam en France.
L’enquête met d’abord à nu les idées fausses qui courent sur les musulmans en France. Ainsi, il n’existe pas à proprement parler de « communauté musulmane » dans notre pays. La population musulmane, comme toute autre population, est diverse et segmentée. La majorité d’entre elle est intégrée ou en voie d’intégration et de sécularisation. Malgré des origines sociales modestes, les musulmans en France, dont les trois-quarts sont français, ont des niveaux de qualification proches de la moyenne nationale. 55% ont un emploi stable. Le rapport d’enquête souligne « la très forte aspiration d’une immense majorité de la population musulmane d’accéder à un meilleur statut social ». Plus de 90% des répondants considèrent important d’avoir un emploi stable, plus de 85% valorisent le fait d’avoir « de bons diplômes » et plus de 65% tiennent pour important le fait de devenir propriétaire de leur logement. Les impôts et les inégalités sociales sont très largement dénoncés, faisant de la question sociale la priorité des musulmans interrogés, bien avant les questions religieuses ou identitaires ». Dans cette population, cependant, 40% n’ont aucun diplôme ou un diplôme inférieur au bac et sa situation du point de vue de l’emploi est précaire. Cette partie de la population est très jeune, 35 ans d’âge moyen et 75% ont moins de 40 ans.
La partie la plus intéressante de l’enquête concerne la dimension religieuse. Elle montre que dans cette population, le rapport à l’islam est divers, aussi bien dans son intensité que dans sa signification. Près de la moitié de la population est relativement distanciée à l’égard de la religion (les « sécularisés »). Elle adhère à la laïcité, elle est en voie de sécularisation et achève son intégration. Elle comprend la partie la plus âgée et la mieux intégrée. A l’autre extrémité, un groupe de 28% de l’ensemble (les « radicalisés »), mais qui représente la moitié des membres des cohortes les plus jeunes. Il s’agit principalement de personnes peu qualifiées, peu insérées dans l’emploi et qui vivent dans les quartiers périphériques des grandes agglomérations. Elles ont le plus souvent une attitude sécessionniste par rapport à la société française et à la laïcité républicaine et l’usage qu’elles font de l’islam vise à exprimer leur révolte et à affirmer leur position en marge de la société et leur radicalité. Entre les deux, un groupe médian qui assume avec fierté son identité musulmane, entend la manifester dans l’espace public ; il accepte la laïcité et les lois de la République mais souhaiterait néanmoins l’application de la charia. L’enquête a ce mérite de dissiper les fantasmes sur une religion de combat, elle donne une estimation de la population sécularisée et donne quelques aperçus sur le phénomène de réislamisation.
L’enquête nous incite à ne pas confondre le rapport à l’islam de l’ensemble de la population musulmane et celui de sa partie la plus jeune et la plus révoltée, sous peine de s’engager dans des voies dangereuses. La population musulmane, de manière générale, entend exprimer et revendiquer clairement son appartenance religieuse. La consommation de viande halal est aujourd’hui un identifiant majeur de l’identité musulmane. 70% des enquêtés en consomment toujours et 22% parfois. C’est un marqueur d’appartenance au groupe social des musulmans. Il s’agit selon les auteurs d'un « rapport au religieux qui se vit d'abord par les normes et les pratiques sociales, et de façon secondaire par les pratiques rituelles ou cultuelles ». « Ce marqueur social semble s’être autonomisé de la référence religieuse ». « L’attachement à cette pratique n’est ni révélateur d’un rapport plus radical à la religion ni un indicateur de fondamentalisme religieux », ajoutent-ils. On comprend dès lors que 80% des enquêtés estiment que les enfants musulmans devraient pouvoir manger halal dans les cantines scolaires.
Une majorité, bien que moins importante, se déclare également favorable au port du voile par les femmes : 65%. Le quart est favorable au voile intégral. Et environ 60% des enquêtés considèrent que les jeunes filles devraient pouvoir porter le voile au collège et au lycée. « Contrairement à l’opinion dominante qui voudrait que les hommes soient plus conservateurs que les femmes, écrivent les auteurs, le port du voile est rejeté par 26% des hommes mais seulement par 18% des femmes. Ce résultat témoigne d'une adhésion idéologique d'une part importante de la population féminine musulmane au port du voile, allant jusqu'à l'acceptation du voile intégral (pour 28% des femmes). Les musulmanes portant le voile motivent cette pratique par l'obligation religieuse (76%), par des enjeux de sécurité (35%), par la volonté de montrer leur appartenance à la foi musulmane (23%), mais seules 6% déclarent le faire par contrainte ou par imitation des autres.
60% des enquêtés ont un rapport distancié à la mosquée (30% n’y vont jamais et 30% seulement pour les grandes célébrations). Les pratiquants les plus assidus représentent 12% de la population musulmane. « Mais si le lien aux lieux et institutions cultuels apparaît relativement distendu, cela ne signifie pas que la religiosité est absente de la vie d’une majorité de musulmans. Au contraire, la pratique de la prière, y compris l’usage des cinq prières quotidiennes, est répandue même chez les individus ne fréquentant pas ou peu les mosquées ». « On constate donc, là encore, le développement d’une religiosité importante mais relativement indépendante des institutions, des lieux de culte et des structures musulmanes, tout en aspirant à une piété forte et à la reconnaissance de pratiques religieuses ayant trait à l’organisation de la vie collective au quotidien ».
Il ressort de cette enquête trois idées qui doivent guider notre réflexion et notre action. La première est le retour du fait religieux en politique. Des décennies de sécularisation, une lente pacification des relations entre l’Etat et le monde catholique, une lecture stricte de la Loi de 1905 avaient abouti à sortir le fait religieux de l’espace public. Il faut à nouveaux frais penser une politique de la religion. Cela passe comme le suggère l’Institut Montaigne par une institutionnalisation subtile du fait musulman ne serait-ce que pour tenir compte des différentes sensibilités, cela passe par l’édiction d’une règle du jeu claire qui évite les soubresauts quotidiens sur les signes extérieurs, le prosélytisme…. Cela passe par une organisation culturelle et cultuelle du fait musulman dans la ligne des orientations prises sur la formation des imams, sur le financement des mosquées, sur l’apprentissage de l’arabe… La bonne nouvelle est que l’intelligentsia sécularisée entend se saisir du problème et contribuer à organiser cette vie musulmane en France.
La deuxième est le danger qui consiste à faire une confusion entre islam et islamisme, entre religiosité et instrumentalisation de la religion à des fins politiques et idéologiques, entre, du coup, affirmation de sa religion et combat pour imposer la charia à l’ensemble de la population musulmane et non musulmane. Dire cela c’est rompre tant avec les discours islamo-gauchistes qui réduisent tout à la question sociale et voient dans les militants de l’islam le nouveau sel de la terre. C’est rompre symétriquement avec le discours éradicateur des assimilationnistes. Toute action, justifiée et nécessaire, engagée pour imposer et défendre la laïcité et la loi républicaine doit donc s’effectuer en évitant que la majorité des musulmans, et non pas la seule minorité combattante et hostile de cette population, ne se sente mise en cause dans sa foi et dans ses pratiques sociales et coutumes religieuses. Toute action des autorités dans ce domaine, qui amènerait l’ensemble de cette population à se solidariser avec sa partie radicale, pourrait créer une situation d’une gravité extrême pour le maintien de la paix civile. Il faut donc nous montrer ouverts aux demandes de la population musulmane quand elle émane de la grande majorité de celle-ci et ne présente pas de danger du point de vue de l’application des lois républicaines. Il nous faut trouver le chemin du vivre ensemble. Or, intégration ne signifie nullement assimilation. Dans une société française qui, dans son ensemble, devient de plus en plus irréligieuse, il faut accepter l’idée et la réalité de la forte et croissante religiosité d’une partie de notre population.
La troisième est que si la partie la plus jeune et la plus précaire de cette population est aujourd’hui en état de sécession voire de révolte parfois violente, la réponse à cette situation ne peut résider seulement dans la répression et la mise en cause de certaines pratiques provocatrices dont les auteurs fondent la légitimité sur leur conception de la religion. Il faut tenir compte du fait que cette partie de la population est effectivement marginalisée et souvent discriminée et que l’attitude de sécession et les comportements violents qui sont les leurs sont aussi une réaction à un sentiment d’abandon. Certes, la question est trop complexe pour penser que la solution du problème réside entièrement dans l’augmentation des efforts dans le domaine social et de l’emploi. Mais toute approche qui négligerait la dimension sociale du problème ne pourrait qu’échouer et risquerait de déboucher, comme dans certaines régions des Etats-Unis, sur une sorte de guerre civile froide – parfois chaude ! – où la solution privilégiée serait d’enfermer une proportion croissante de cette population et de voir se développer de vrais combats de rue avec morts et blessés. En considérant que cette population est déjà et définitivement hors de la République, nous ne ferions que rendre encore plus difficile la recherche d’une solution crédible et créerions un malaise croissant dans l’ensemble de la population musulmane. Par indifférence, complaisances locales croyance dans les mirages de la politique de la ville on a laissé les dernières générations faire sécession et trouver dans l’islam un dérivatif aux échecs et aux frustrations. Il faut aujourd’hui tarir le terrain de ces dérives en prenant en charge les générations montantes. En négligeant de prendre en compte les multiples aspects de la question de l’islam, nos dirigeants pourraient conduire le pays dans une impasse dont on ne voit pas comment ils pourraient nous sortir ensuite.
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