Renault: le shogun magnanime edit
Qui l’eût cru ? L’État actionnaire qui, dans un geste d’autorité, entendait affirmer la primauté de l’actionnaire sur son commis, le PDG Ghosn, contraint de traiter avec ce dernier et de s’engager par écrit à ne plus récidiver ?
L’actionnaire piloté par un ex-banquier d’affaires qui entendait prendre le pouvoir en s’appuyant sur la loi Florange et s’inviter à la table des décisions stratégiques au terme d’un bras de fer se voit contraint de céder les actions acquises pour perpétrer son coup et de limiter l’exercice de ces votes doubles à une liste prédéterminée de domaines.
L’actionnaire en majesté revêtu de la puissance symbolique de l’état Louis quatorzien qui entendait graver dans le marbre le nouveau rapport de forcées à dû s’engager à ne plus interférer avec les décisions de Nissan filiale majoritairement contrôlée par Renault
Le raid destiné à affaiblir Ghosn, ce gueux qui n’avait pas reconnu l’autorité du jeune ministre, se retourne ainsi contre ses initiateurs puisque c’est Ghosn avec un Conseil d’administration unanime (hors représentants de l’État) qui, magnanime siffle la fin de la récréation, en permettant à l’Etat de sauver la face non sans l’avoir averti qu’à la prochaine récidive Nissan dénoncerait le Rama, cet accord qui limite les droits de Nissan suite à sa quasi prise de contrôle.
L’accord du 11 décembre est l’épilogue d’une affaire dans laquelle l’État actionnaire s’est mué en raider brutal, armé de la loi Florange pour modifier le rapport de forces et mettait en péril, au passage, une alliance exemplaire entre deux grands de l’automobile, alors même que c’était Renault qui était en état de faiblesse.
Comment l’Etat incarné par le jeune ministre qui venait de réaffirmer solennellement la stratégie de l’État actionnaire et dénoncé les errements de ces prédécesseurs a-t-il pu échouer aussi piteusement ?
L’explication tient à deux séries de raisons. La première relève des erreurs traditionnelles de Bercy aggravées dans le cas d’espèce par les qualités propres du ministre Emmanuel Macron.
Un actionnaire classique détenant 15% du capital, pour peu qu’ils puisse gonfler ses droits de vote, peut exercer un contrôle de fait en Assemblée générale, compte tenu de la fragmentation du capital et d’un faible taux de participation des autres actionnaires. Avec la loi Florange, l’État s’était doté de l’arme parfaite pour modifier à son profit l’équilibre de forces et se donner en particulier les moyens d’une intervention plus intrusive en matière de décisions de localisation d’activités et de rémunération des dirigeants. Ce raisonnement de banquier d’affaires au service d’un gouvernement de gauche qui entend privilégier l’emploi sur le sol national et donner des gages symboliques dans la lutte contre les inégalités a toutefois buté sur trois réalités. La première tient à la gouvernance de Renault : l’État y est très minoritaire, le Conseil d’administration est tenu par des administrateurs indépendants plus soucieux de performances économiques que de symboles à offrir au gouvernement du moment. La seconde tient à la gouvernance de l’Alliance, œuvre de Carlos Ghosn : quoique contrôlé par Renault, Nissan a des droits égaux à ceux de Renault dans les décisions opérationnelles du partenariat. La troisième tient au statut de Nissan, partenaire junior au plan capitalistique mais partenaire senior au plan industriel et économique. C’est Nissan qui après avoir été sauvé par Renault fait l’essentiel de la performance de l’Alliance.
Pour avoir négligé ces réalités les valeureux technocrates de Bercy ont dû, sitôt le forfait commis, amorcer la grande retraite.
Assurés d’une minorité de blocage après l’acquisition des 5% d’actions supplémentaires et de l’adoption des droits de votes doubles par une AG à leur main, les représentants de l’État ont dû d’abord confirmer la cession des 5% du capital acquis pour contrôler l’AG. Ils ont dû ensuite s’engager à ne pas exercer les droits de vote doubles sur tous les sujets opérationnels comme par exemple les décisions de production. Ils se sont enfin résolu à écrire noir sur blanc qu’ils n’entendaient pas interférer dans la conduite par Nissan de ses affaires, ce qui signifie que l’État renonce aux pouvoirs que lui confère son contrôle indirect et confère de fait un pouvoir à Nissan sur le choix des successeurs de Ghosn. Pour prix de tous ces renoncements l’État actionnaire a obtenu de garder la minorité de blocage sur les sujets de fusion-acquisition et de dividendes. Comme si la méfiance du partenaire n’était pas purgée par tous ces reculs, Nissan a obtenu que lui soit reconnu un droit au retrait du Rama, l’acte qui règle les modalités de l’Alliance, à la moindre incartade de l’État. Dans ce dernier cas Nissan serait délié de son obligation de ne pas monter dans le capital de Renault, il remettrait en cause le gel des droits de vote de Nissan dans Renault etc.
En résumé, tant que Carlos Ghosn est au pouvoir, rien ne change puisque le gouvernement français gagne un droit de regard qu’il avait déjà sur l’évolution de l’emploi en France.
Au-delà des péripéties de la gestion improvisée et inefficace du contentieux Renault-Nissan, cette affaire soulève des questions autrement plus redoutables sur le rôle de l’État actionnaire.
La vraie question, à laquelle le ministre n’a pas su répondre de manière convaincante, est celle des finalités de l’action de l’État actionnaire minoritaire dans des entreprises du secteur concurrentiel. Pourquoi l’État entend-il conserver une minorité de blocage chez Renault ? La réponse que donne le ministre est l’emploi et l’investissement. Mais autant ces objectifs macro-économiques font sens, autant l’État peut créer les conditions d’une meilleure attractivité du territoire national pour y localiser l’emploi et l’investissement, autant il ne peut ni ne doit interférer avec des décisions microéconomiques d’une firme privée multinationale. Quel sens y a-t-il alors à prendre le risque d’affaiblir l’Alliance pour des bénéfices aussi illusoires et alors que de fait toute firme publique ou privée localisée sur le territoire national a nécessairement affaire à l’État pour toute opération d’envergure en matière d’emploi ?
La deuxième question que pose le raid public est celui du statut d’initié privilégié quand il intervient sur le marché boursier. Peut-on encore considérer l’État-actionnaire comme porteur de l’intérêt général alors que c’est un actionnaire qui peut agir de manière hostile comme un raider poursuivant des intérêts particuliers ?
La troisième question est celle de la présence de l’État français comme actionnaire indirect d’une multinationale à base japonaise alors qu’il entend se faire le seul défenseur de l’emploi en France. La réaffirmation ultime de l’État Français qu’il était avant tout attaché au succès de l’Alliance et sa volonté de ne rien faire pour la compromettre confirme le caractère inutile et déplacé de son raid dans l’affaire des votes doubles.
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