Algérie: l’urgence économique commande la résolution rapide de la crise politique edit
Si une vigoureuse reprise en main de l’économie algérienne n’intervient pas rapidement, notre pays frappera à la porte du FMI en 2022. Dès lors qu’il sera endetté, il sollicitera une aide internationale, laquelle ne pourra que prendre la forme d’un accord d’ajustement structurel, conclu avec ses différents créanciers sous la houlette du FMI. Comme tout accord d’ajustement structurel, il sera lesté pour le pays récipiendaire de conditionnalités qui seront d’autant plus draconiennes que le régime de Bouteflika a superbement ignoré toutes les mises en garde qui lui ont été adressées, notamment depuis 2014. Ces mises en garde ont émané du FMI, de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement mais surtout des experts algériens, parfaits connaisseurs des réalités économiques nationales qui ont anticipé, depuis 2003-2004, la situation financière calamiteuse que nous connaissons aujourd’hui.
Celles et ceux qui plaident pour une période de transition à durée illimitée, qui serait l’occasion de procéder à un énième état des lieux et de faire apparaitre de nouvelles sources de légitimation (comment cela pourrait-il être le cas en seulement une année ?) ne sont pas conscients que chaque jour qui passe nous éloigne de l’avènement d’un système de gouvernance fondé sur le respect de la souveraineté nationale et l’Etat de droit. Parce que la Tunisie a occulté les problèmes économiques et sociaux et notamment l’accroissement des inégalités entre classes sociales et entre régions, l’instrumentation institutionnelle qu’elle s’est donné en 2014, après trois années de transition, menace de voler en éclats et avec elle le Pacte social interne sans lequel aucune réforme de structure ne peut être entreprise.
Les ratios macroéconomiques ne sont pas bons
Voici quelques indicateurs macro-économiques qui devraient interpeller qui- conque pense que nous avons le temps devant nous. Ce sont des prévisions très sérieuses pour 2019.
Le taux d’inflation annuel sera de 6,7%, mais si l’on applique avec rigueur les évolutions de l’Indice des prix à la consommation (IPC), il est d’au moins 12%, autrement dit le pays connait une inflation ouverte qui ne manquera pas d’atteindre les 14 à 15% fin 2020. Elle pourrait même dépasser les 25% à la fin de 2021.
Le taux de chômage oscille entre 15 et 17% de la population active, et frappe surtout les diplômés de l’enseignement supérieur qui, en quête d’ersatz à un emploi conforme à leur niveau de connaissance théorique, peinent à trouver une activité manuelle correctement rémunérée. Il existe certes quelqu’un million et demi d’offres d’emplois non satisfaites, notamment dans l’agriculture, la construction et certains services. Mais faute d’une organisation rationnelle du marché du travail et de la faible implication des collectivités locales dans ce secteur, l’Algérie est contrainte de faire appel à une main-d’œuvre étrangère (essentiellement malienne, nigérienne, togolaise et burkinabé) qui ne peut être fidélisée que ni notre Etat consent à régulariser son séjour en Algérie.
Le solde budgétaire sera négatif, à savoir qu’il représentera : – 6,6% du PIB
La dette publique interne représentera 46,9% du PIB, ce qui est plus qu’inquiétant et justifiait par conséquent l’arrêt brutal du Financement non conventionnel (FNC). Pour autant, cela ne réglera pas nos problèmes, car au titre du FNC, sur les 6.556 Mds de DA mobilisés par le Trésor Public auprès de la Banque d’Algérie, entre le 15 novembre 2017 et le 31 janvier 2019, 3.115 Mds de DA ont déjà été injectés dans l’économie. Ces sommes étaient destinées à la couverture des besoins de financement du Trésor et à celui de la dette publique interne. Si le Gouvernement gèle le processus d’émission qui a déjà été utilisé à 50%, à l’aide de quelles ressources compte-t-il éponger les déficits structurels des entreprises publiques et l’accroissement de la dette publique interne qui dépassera les 50% à la fin 2019 ?
La balance commerciale sera déficitaire de 12 milliards de dollars.
La balance des services et des revenus sera également déficitaire de quelque 12,2 Mds de dollars.
La balance courante enregistrera pareillement un déficit de 16 milliards de dollars.
La balance des paiements sera négative de quelque 20 Mds de dollars.
La rupture d’avec le modèle rentier n’est pas négociable
S’agissant de la ressource qui a permis à certaines catégories d’Algériens de vivre très au-dessus de leurs moyens et qui a, en quelque sorte, paralysé la reconquête du marché intérieur par nos PME et PMI, autrement dit la rente pétrolière , elle est en voie d’érosion, quelle que soit l’attractivité de la loi nouvelle sur les hydrocarbures. La multiplication des découvertes de gaz au Sénégal, en Mauritanie en Tanzanie dans les pays du Sud-est de la Méditerranée(Égypte, Liban, Jordanie, Israël), sans même évoquer outre mesure les capacités énormes de pays comme la Russie, le Qatar ou l’Australie, fera obstacle à la conclusion par l’Algérie à l’avenir de contrats d’approvisionnement de gaz(à l’ état naturel ou liquéfie) de l’Europe, même si cette fois-ci, Sonatrach, grâce à la persévérance de son nouveau PDG, a pu convaincre l’Espagne, le Portugal et l’Italie de reconduire jusqu’en 2030 les contrats de livraison de gaz avec cependant des quantités moindres et probablement avec la non automaticité de la clause Take or pay, devenue anachronique au regard des disponibilités du marché. Par ailleurs, l’Algérie n’est pas un pays pétrolier. Ses réserves prouvées sont de l’ordre de 12,3 Mds de barils et elles sont entièrement situées en on shore dans l’Erg oriental. Certes, l’Algérie peut augmenter sa production grâce aux gisements en exploitation d’Illizi, Berkine, Hassi Messaoud-Dahar, mais Sonatrach devra investir massivement (quelque 50 Mds de dollars) pour préserver les niveaux actuels d’extraction de brut, sauf à enregistrer leur déclin, ce dont il résultera une nouvelle baisse de la production. Dans le même temps, l’Algérie s’est dotée d’une législation et d’une réglementation adaptées en matière d’Énergies renouvelables, mais elle a pris un retard considérable par rapport aux pays comparables (notamment le Maroc) et doit également mobiliser des financements de plusieurs dizaines de milliards de dollars, afin qu’à l’horizon 2030, 27% du mix énergétique soient constitués d’Enr (en l’état actuel des choses, cet objectif est hors d’atteinte).
La médiocrité des performances de l’agriculture, la désindustrialisation (la part de l’industrie dans le PIB est redescendu au dessus de 4% du Pib), les déficits des caisses de sécurité sociale, la menace qui pèse sur l’avenir du modèle social algérien (dont le système de retraite par répartition) vont contraindre celui ou celle qui sera élu(e) à prendre des mesures de rigueur voire d’austérité, aux antipodes de la politique budgétaire laxiste suivie par Bouteflika et ses équipes successives, 20 ans durant. Ce ou cette Président(e) aura besoin de s’adosser à 4 algériens sur 5, afin d’engager de profondes réformes économiques, sociales, financières et culturelles qu’impose la situation fortement dégradée du pays. Il faudra solliciter les contribuables les plus rétifs à l’impôt (qui se trouvent être les plus fortunés), probablement changer le DA afin que le pays dispose d’une monnaie moins volatile, s’attaquer à l’argent informel afin de davantage bancariser l’économie algérienne, privatiser de nombreux actifs industriels ou autres afin de désendetter l’Etat, instaurer une tolérance zéro à l’égard de la corruption et de la criminalité en bande organisée, réduire sensiblement le train de vie de la Haute administration qui insulte à la misère des temps et enfin instruire notre bureaucratie (sous peine de sanctions sévères) de se mettre à la disposition des investisseurs, qu’ils soient nationaux ou étrangers (ce qui n’exclut pas, au contraire, un contrôle a priori et a posteriori de la part des institutions compétentes qu’il va falloir aussi redynamiser fortement en commençant par leur reconnaitre une totale indépendance).
La nécessité d’organiser un scrutin présidentiel totalement transparent
Pour relever l’immensité de ces défis, le prochain président de la République devra être élu (e) démocratiquement, à l’occasion d’un scrutin net, transparent, à la régularité irrécusable et garanti par des observateurs internationaux a priori insoupçonnables. L’Armée s’est engagée à ce qu’aucun des candidats à la magistrature suprême ne soit ni un militaire ni une personnalité adoubée par elle et, une fois élu, le ou la président(e) de la République devra constituer son équipe, à l’abri de toute immixtion et ne recevoir aucune instruction de l’Institution militaire. Tout ceci est déjà acté. Dans cette attente, un dialogue constructif, apaisé, basé sur des compromis et des concessions réciproques, comme il sied à toute transition (la période du dialogue à laquelle l’institution militaire appelle toutes les forces vives de la nation est en quelque sorte une transition) doit être engagé au plus tôt.
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