Le rebond de la relation franco-marocaine et ses leçons africaines edit

18 septembre 2024

Comme nous l’indiquions dans une précédente publication sur Telos, la reprise de relations cordiales entre le Maroc et la France ne pouvait faire l’impasse sur une avancée de la position française par rapport à la marocanité des provinces du sud. C’est chose faite. Emmanuel Macron a reconnu que le plan marocain d’autonomie du Sahara est la « seule base pour aboutir à une solution » et que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Une conséquence secondaire mais notable de cette avancée est la quasi-rupture des relations avec l’Algérie, alors que le président de la République espérait pouvoir construire un partenariat fort avec ce pays, notamment en prenant en charge la dette mémorielle découlant de la colonisation française. Ce réajustement par rapport au Maroc devrait mettre définitivement fin à une détérioration croissante des relations entre les deux pays, laquelle avait culminé avec la visite d’Etat d’Emmanuel Macron en Algérie. Aller au-delà impliquera, cependant, un réajustement plus large, puisque le repositionnement par rapport au Maroc apparait inséparable d’une révision d’ensemble des relations entre la France et le continent africain. En effet, si le soutien manifeste, désormais apporté à la souveraineté marocaine sur l’ancien Sahara espagnol, purge une accumulation conjoncturelle d’erreurs diplomatiques, il ne palliera pas à lui seul le mouvement plus structurel de distanciation stratégique d’avec la France qui anime le Royaume, à l’unisson des dynamiques à l’œuvre sur le continent africain.

La reprise des relations entre la France et le Maroc

Il y avait trois raisons conjoncturelles au refroidissement des relations entre le Maroc et la France : l’incapacité de celle-ci de reconnaître, après les Etats-Unis, la marocanité du Sahara ; la réduction du nombre de visas accordés par la France aux ressortissants marocains pour sanctionner ce qu’elle considérait être l’absence de coopération des autorités marocaines à propos des procédures d’expulsion vers le Maroc ; enfin, le claironnant rapprochement franco-algérien. D’autres raisons ont été évoquées qui ne constituent pas le cœur de la divergence, et mettent plutôt l’accent sur des mécontentements français, en particulier l’affaire Pegasus.

Au lendemain de la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis (voir notre analyse sur Telos), le Maroc avait adopté une attitude nettement plus pressante envers ses partenaires, le roi Mohammed VI déclarant : « Je voudrais adresser un message clair à tout le monde : le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international, a déclaré le roi dans un discours radio-télévisé. C'est aussi clairement et simplement l'aune qui mesure la sincérité des amitiés et l'efficacité des partenariats qu'il établit » (Discours à l’occasion de la fête de la Révolution du roi et du peuple, 20 août 2022). Une stratégie de la tension avec l’Allemagne et l’Espagne avait préalablement abouti à un engagement net de ces deux États par rapport à la position marocaine. Cette stratégie avait été critiquée et considérée dubitativement par de nombreux commentateurs, notamment au prétexte qu’elle aurait utilisé une forme de chantage migratoire vis-à-vis de l’Espagne. Le fait est qu’elle s’est avérée largement payante.

Dans ce contexte de soutien à la position marocaine, l’attentisme français par rapport à la reconnaissance avait été très mal compris, non pas seulement par les sphères gouvernantes, mais par l’ensemble de la population, et a beaucoup contribué à abimer l’image de la France au sein de celle-ci. Il faut considérer que, d’un point de vue marocain, l’inclusion de l’ancien Sahara espagnol dans le Royaume fait tout simplement partie de la décolonisation.

À cela s’est ajouté un épisode particulièrement irritant qui a touché la partie de la population la plus proche de la France, celle qui y voyage pour le travail, les études, la famille et le tourisme : la réduction punitive de 50% des visas pour les Marocains désirant se rendre en France. Il s’agissait de faire pression sur le Royaume afin de faciliter la délivrance des visas consulaires permettant l’expulsion de migrants en situation irrégulière vers le Maroc. Cette mesure, dont furent simultanément victime l’Algérie et la Tunisie, s’explique par le contexte préélectoral français et la volonté de donner des gages aux électeurs de droite ou à ceux tentés de rejoindre l’extrême droite en adoptant une attitude ferme sur la migration. Elle n’en a été que plus blessante. Avant les restrictions, demander un visa pour la France était déjà une épreuve pour de très nombreux Marocains ; cette épreuve était devenue une humiliation, et ceci au-delà même des demandeurs de visa, puisque la mesure visait potentiellement l’ensemble de la population. Dans les relations entre les deux pays, les visas ont toujours été une question particulièrement sensible, s’inscrivant côté marocain, dans une expérience plus large, celle, pénible, de la migration et de la discrimination. Même des acteurs diplomatiques convaincus du caractère excessif d’un tel ressenti eussent dû tenir compte de sa prégnance au sein de la société marocaine et de ses effets dévastateurs.

Enfin, le rapprochement franco-algérien conduit en grande pompe par une visite officielle, du 25 au 27 août 2022, à laquelle a succédé la venue à Alger de plus de la moitié du gouvernement, ne pouvait qu’irriter considérablement le Maroc, dès lors que ce rapprochement s’insérait dans une période marquée par l’accroissement de l’agressivité de l’Algérie vis-à-vis du Maroc. L’année précédente, sensiblement à la même date (le 24 août 2021), Alger avait annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec Rabat. L’ensemble de la séquence, émaillée d’incidents plus ou moins graves, constitue une réaction à la montée en puissance du Maroc, et en particulier à la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis ainsi qu’à la reprise officielle des relations entre Rabat et Tel-Aviv (voir notre analyse sur Telos). Cette montée en puissance est sensible sur le continent, comme le montre la relation qui se développe entre le Maroc et les Etats du Sahel, autour du projet de favoriser leur accès à l’Atlantique ; inversement, les relations de l’Algérie et du Mali se dégradent.

À ces raisons conjoncturelles, il faut ajouter le battage politico-médiatique, en France, autour de l’Affaire Pegasus et de la fin de non-recevoir opposée par le Maroc à la proposition d’aide française au lendemain du tremblement de terre de Marrakech, où l’on semblait à chaque fois s’offusquer que le Maroc puisse espionner la France (comme si la France n’espionnait pas aussi ses alliés) et refuser l’aide française, présentée comme indispensable (sous-entendant que le Maroc n’était pas en position de la refuser). Nous signalons ces points qui relèvent de la considération portée aux partenaires, parce que les réactions françaises ont été interprétées au Maroc comme un manque de considération. La considération est devenue un élément clé des relations entre le Nord et le Sud.

La lettre du président Macron au roi Mohammed VI et la réponse positive de celui-ci actent d’une volonté de refondation du partenariat entre les deux États. La France est allée assez loin dans l’expression d’un soutien clair et fort à la position marocaine pour instaurer une rupture avec la séquence précédente, ainsi que le montrent de nombreux commentaires positifs sur les réseaux sociaux, en particulier de Youtubeurs habituellement critiques, voire très critiques, à son égard). Quels sont les gains de part et d’autre ? Ils sont évidents pour le Maroc : le soutien accru d’un membre permanent du Conseil de sécurité à sa souveraineté sur l’ancien Sahara espagnol, rendant de facto plus aisés d’autres ralliements à sa position et marginalisant davantage ses adversaires ; l’abandon de facto de la séquence de rapprochement entre la France et l’Algérie, ouverte par Emmanuel Macron ; le développement de nouveaux projets de coopération et de partenariat avec la France. Du côté de la France ? Le retour à une relation apaisée et productive avec un partenaire stable dans ses attentes et en situation de puissance régionale émergente, dans un contexte de recul de son influence en Afrique ; et ici aussi, bien sûr, le développement de nouveaux projets de coopération et de partenariat.

Cela valait-il de passer par pertes et profits le rapprochement avec l’Algérie ? Une approche équilibrée était-elle possible ? Considérant la polarisation des relations maroco-algériennes, espérer ménager la chèvre et le chou n’aurait abouti qu’à deux impasses. Il fallait faire le choix entre un partenaire qui s’était toujours avéré stable et un autre qui s’était toujours montré problématique, y compris durant la séquence de rapprochement dont le président français avait pris l’initiative. Dans ces circonstances, le choix de renoncer au partenariat algérien (même si la situation n’est pas présentée ainsi) ne peut en aucun cas s’analyser comme une perte ; c’est le choix d’avantages certains contre une inévitable et longue série de mécomptes, de crispations et de déceptions, les même que celles qui émaillent la relation franco-algérienne depuis des décennies. Choisir un gain assuré contre un meilleur gain improbable, recouvrant des termes antinomiques, relève du simple réalisme dont on ne gagne rien à trop s’éloigner.

Une distanciation structurelle

Tout cela, cependant, ne doit pas nous dissimuler la distanciation structurelle entre la France et le Maroc, découlant, non d’une discorde entre les deux pays, mais de l’affirmation de la puissance marocaine dans le cadre d’une Afrique en recomposition stratégique et idéologique, marquée par l’attachement à l’African agency. En effet, la France et le Maroc développent des politiques africaines progressivement divergentes qui affectent leurs relations et surtout la perception de leur « identités de rôles » respectives sur le continent. Tandis que le Maroc travaille à son émergence continentale avec une politique économique et une diplomatie proactive, la France adopte une posture réactive et soumise à des contestations croissantes.

La divergence progressive de la France et du Maroc au sein de leurs politiques africaines respectives exprime, plus profondément, un double changement, d’identité de puissance des deux pays sur le continent, d’abord, et de positionnement de l’Afrique, ensuite. Côté Marocain, la prise de conscience de la nécessité de plus en plus manifeste de se tourner vers le Sud en matière de politique étrangère s’est traduite par une posture discursive valorisant l’essor de sa « destinée naturelle » dans les dynamiques continentales. Mohammed VI affirmait ainsi, en 2016, lors de son discours à l’occasion du 63e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, que « l’Afrique, pour le Maroc, c’est bien davantage qu’une appartenance géographique et des liens historiques. Elle évoque, en vérité, des sentiments sincères d’affection et de considération, des liens humains et spirituels profonds. Elle est, somme toute, le prolongement naturel et la profondeur stratégique du Maroc ».

Le cadre discursif légitimant la politique africaine du Maroc s’inscrit, par ailleurs, dans la revendication soutenue du nouveau rôle que doit jouer le continent dans le cours des affaires mondiales. En ce sens, le Maroc se présente comme le défenseur des solutions africaines aux problèmes de l’Afrique, orientation de plus en plus présente dans les forums politiques continentaux. Cette position a ainsi permis de justifier certaines orientations caractéristiques de la politique étrangère du Royaume en Afrique, notamment la coopération sud-sud et la médiation au sein de certaines crises conflits majeurs du continent (Mali, Libye). Ce développement de la politique africaine du pays a été conduit en dehors de l’influence ou du soutien direct de la France. Il est tout simplement l’expression d’une politique étrangère indépendante. La prise de distance vis-à-vis du partenaire historique français, loin de signifier une perte de puissance, marque, bien au contraire, le choix d’une diplomatie qui ne peut être que centrée sur le continent, c’est-à-dire sur des perspectives régionales communes. Une autre attitude eut été tout simplement inaudible.

Dans ce contexte, la politique africaine de la France semblait tout à coup bien étrangère au cadre discursif marocain. D’abord et avant tout parce que l’ancienne puissance coloniale reste attachée à une identité de rôle porteuse d’une contradiction fondamentale et régulièrement mise à mal par la communauté politique internationale, en premier lieu africaine : quand la France intervient dans les affaires du continent, elle est taxée d’ingérence et de néo-colonialisme ; quand elle n’intervient pas, elle est renvoyée à sa responsabilité historique vis-à-vis de l’Afrique. De fait, si la France demeure, jusqu’à aujourd’hui, impliquée dans les affaires africaines, c’est d’abord parce qu’elle est à la fois otage et bénéficiaire d’une rente géopolitique : tandis que de nombreux États africains et extra-africains la considèrent encore comme un acteur indispensable à la stabilité du continent, la France elle-même a besoin de l’Afrique pour conserver un rôle de « grande puissance » qu’elle parvient de plus en plus difficilement à maintenir indépendamment de sa capacité à se projeter militairement sur le continent. Cependant, pour une partie de l’opinion africaine, cette posture disqualifie sa présence, en l’affectant d’une insupportable verticalité.

De fait, la posture française contraste avec l’approche marocaine. Si le Maroc est loin de sous-estimer les menaces sécuritaires qui peuvent toucher le continent et notamment le Sahel, sa politique étrangère se nourrit d’un regard géopolitique différent. La conquête de la profondeur africaine du Royaume passe ainsi par le souci d’impulser de nouvelles solutions intégrées au continent et aussi moins coercitives : approche régionalisée de la sécurité migratoire ; diplomatie d’influence religieuse afin de combattre idéologiquement, et non pas simplement militairement, les racines de l’extrémisme ; création d’une conférence des pays riverains de l’Atlantique, notamment pour lutter contre les différentes menaces maritimes. Si toutes ces politiques n’aboutissent pas toujours aux résultats attendus et rencontrent encore des limites et des obstacles, elles servent, en revanche, une politique étrangère inscrite à plusieurs niveaux dans un cadre géopolitique africain. Non seulement ce cadre oriente une diplomatie tant bilatérale que multilatérale avec ses partenaires africains, mais, en outre, permet-il de multiplier les outils et les canaux d’une influence qui se veut multisectorielle : économie, coopération technique, agriculture, environnement, etc. En somme, le cadre géopolitique est le reflet d’une puissance africaine émergente qui a tout à gagner à multiplier des stratégies lui permettant d’étendre une influence qu’elle est en train acquérir et non pas à conserver coûte que coûte dans un monde en mutation. Le contraste avec la France est donc particulièrement marqué puisque la politique marocaine met en œuvre une influence « horizontale » alors que l’influence française demeure résolument « verticale ».  

L’évolution de la relation entre les politiques africaines de la France et du Maroc témoigne ainsi plus généralement d’un nouvel état des relations internationales du continent avec le reste du monde. Les Etats africains sont de plus en plus portés à promouvoir leur propre conception du rôle qu’ils souhaitent exercer chez eux, s’éloignant ainsi d’une dynamique où les pays du Nord tendaient à imposer leurs standards dans la régulation affaires africaines. Ce refus d’une logique de gouvernance extravertie, en partie liée à une nouvelle critique de la colonialité, oblige les pays occidentaux à prendre en compte la réalité de l’African agency. Les Etats africains s’appuient de plus en plus sur une contestation de la représentation occidentale dominante des relations internationales afin de valoriser leurs capacités à défendre leurs intérêts nationaux et à construire un agenda continental endogène.

À ce titre, l’évolution de la relation entre la France et le Maroc, considérées par le prisme de leurs politiques africaines, illustre pleinement la mutation de l’ordre des relations internationales. La France n’est plus en mesure d’imposer son agenda au Maroc, et surtout pas son agenda africain. Au contraire, elle doit désormais prendre en compte celui du Maroc au risque, sinon, de se retrouver écartée des enjeux continentaux. Elle doit aussi y lire, plus que l’évolution du Maroc, l’évolution globale du continent. A ce titre, le récent alignement de la position française sur le plan d’autonomie marocain pour le Sahara, comme d’autres pays du Nord ont pu l’acter avant elle, confirme cette mutation, dans les rapports Nord-Sud, dont la relation renouvelée entre la France et le Maroc apparait comme une expressive illustration – et peut-être le guide de ce qu’il faudrait, désormais, faire.

Comment aller plus loin ?

Deux caractéristiques, enchâssées l’une dans l’autre, émergent de cette séquence. La première est que la base de toute relation ne peut être que l’intérêt national de chacun des partenaires. La deuxième découle de la première : faire montre de considération vis-à-vis des partenaires.

1. Pour le Maroc, la reconnaissance de sa souveraineté sur ses provinces du sud est « l'aune qui mesure la sincérité des amitiés et l'efficacité des partenariats ». Un partenariat bien entendu ne peut faire l’impasse sur les intérêts nationaux des partenaires. La sous-détermination des attentes marocaines par rapport au Sahara a été la cause première du refroidissement des relations entre le Maroc et la France. On trouve un autre exemple de la même erreur avec la dégradation des relations entre la France et le Mali. Pour les gouvernements successifs de ce pays, depuis l’opération Serval conduite par la France en 2013, l’enjeu était bien moins la guerre contre le terrorisme jihadiste, qu’entendait mener le gouvernement français, que la lutte pour la reconstitution de l’unité nationale aussi bien contre les indépendantistes touaregs que contre les jihadistes. Pour ne pas avoir inclus les premiers dans son champ d’intervention, la France a été discréditée puis exclue du Mali. Ce ne fut pas une erreur que de refuser de faire la guerre aux indépendantistes. Ce fut, en revanche, une erreur de sous-déterminer la représentation que les Maliens se faisaient de leurs intérêts nationaux. Il fallait, soit les accepter pour ce qu’ils étaient, soit en tirer rapidement les conséquences.

2. Il faut avoir de la considération pour le partenaire. Cette considération ne se témoigne pas seulement dans la reconnaissance de ce qui compte stratégiquement pour lui. Elle consiste aussi à tenir compte de ce qui compte moralement pour lui. De ce point de vue, la diminution de moitié du nombre des visas accordé aux Marocains soulignait une asymétrie statutaire : ces derniers, contrairement aux Français, appartiennent à un pays où l’on ne voyage pas sans prouver mille et unes choses et sans faire la queue. Le ressenti des Marocains est partagé en Afrique. La politique migratoire française et, plus largement, européenne est un facteur de tension entre les deux continents. Elle y apparait liée avec le racisme. Là aussi la question n’est pas de savoir jusqu’à quel point ce sentiment est vrai ou jusqu’à quel point, il est faux. Le ressenti est vrai en tant que ressenti. La diplomatie se joue avec cette réalité-là.

L’incontournable considération pour le partenaire implique aussi de limiter notre « empreinte normative ». Beaucoup des normativités à l’œuvre sur le continent, et notamment dans l’espace francophone, proviennent de la France ou sont soutenues par elles. Ces normativités concernent le droit, la démocratie, les libertés individuelles, l’économie, l’environnement, la recherche, les bonnes et les mauvaises manières de faire, les causes légitimes et celles qui ne le sont pas, etc. Elles sont techniques, bien sûr, mais également morales. Il faut en arriver à admettre qu’elles ne constituent pas nécessairement la base de nos actions et de notre attente avec nos partenaires, d’autant qu’ils se réclament à bon droit d’une perspective africaine, d’une autre définition des priorités et des normes pertinentes dans telles ou telles situation. C’est le principe selon lequel les problèmes africains doivent donner lieu à des solutions africaines ; cela ne veut pas dire seulement des solutions apportées par des acteurs africains mais également – et peut-être en tout premier lieu – des solutions faisant appel à des préférences et à des normativités définies localement.

En reconnaissant que le présent et l’avenir du Sahara se jouent dans « la souveraineté » marocaine, la France est partie du point de vue marocain pour ajuster le sien. Elle ne s’est pas donné le rôle de défendre le droit international ou le principe d’autodétermination ; elle a renoncé à l’idée fantasmagorique d’œuvrer en faveur de la formation d’un « Maghreb uni ». Ce n’était en aucun cas son rôle. Une telle prétention aurait consisté à substituer des normativités exogènes à celle prise en compte par le Maroc et à prétendre définir mieux que lui son intérêt, autrement dit à se positionner comme intermédiaire entre le Maroc et l’Algérie. Pourquoi ? A partir de quel magistère ? Les États du continent, comme tous les autres États, peuvent comprendre que la France ait, à leur instar, des intérêts et des préférences. Ils ne peuvent probablement plus comprendre qu’elle importe dans les relations bilatérales qu’ils ont avec elle des préoccupations normatives et stratégiques surplombant leur relation. Cela n’implique pas d’être d’accord avec tout le monde (de fait la France est désormais en désaccord avec l’Algérie), mais d’avoir des relations symétriques avec chacun.