Choc pétrolier : restons calmes… edit
Le quadruplement des prix du brut depuis 2003 représente une grosse ponction sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Malheureusement pour les gouvernements, et pour leurs concitoyens, ils ne peuvent pas faire grand-chose à court terme. La hausse des prix du pétrole ressemble à s’y méprendre à une taxe et la ponction est inévitable. Il faut donc éviter certaines erreurs…
Que se passe-t-il quand le gouvernement ne fait rien ? Les entreprises qui utilisent directement du pétrole relèvent leurs prix, en fonction de ce que le marché peut supporter. Les entreprises clientes, à leur tour, relèvent leur prix, et ainsi de suite. En bout de ligne se trouve le malheureux consommateur. Il ne peut pas y échapper et c’est lui qui paiera la facture. Mais si tous les prix, ou presque, ont augmenté, ils l’on fait pour chaque produit en fonction du contenu en pétrole d’une part, de la demande, d’autre part. Tout cela est triste, mais normal, et même souhaitable, car le pétrole se fait plus rare et nous devons l’économiser. Or la seule manière d’inciter les gens à réduire leur consommation, directe ou indirecte, de pétrole, est que le prix augmente.
Si le consommateur est inévitablement la victime ultime, il se produit du côté des producteurs des inégalités. Ceux qui peuvent passer entièrement leurs surcoûts dans leurs prix de vente ne sont pas pénalisés, au contraire de ceux dont la demande est très sensible au prix. Cette différence de traitement est efficace au point de vue économique puisqu’elle décourage la production de biens ou services gourmands en pétrole et auxquels les consommateurs ne sont pas très attachés : c’est ainsi la facture énergétique est réduite en chagrinant le moins possible les consommateurs. Mais, comme bien souvent, efficacité économique et justice sociale ne font pas bon ménage. Du coup, les gouvernements sont sous pression pour « faire quelque chose ».
Comme ils ne peuvent pas éviter le choc, leur seule possibilité est de répartir différemment la facture. Autrement dit, à aggraver la situation pour certains pour soulager d’autres. La bonne manière de faire consiste à aider les personnes le moins capables de faire face à la situation – essentiellement les plus démunis – au moyen de transferts directs, financés par les impôts. C’est ainsi que le contribuable va rejoindre le consommateur comme victime du choc pétrolier, mais cette fois au nom de la solidarité. Le seul moyen de sauver le contribuable est de financer les subventions par des coupes dans la dépense publique, mais c’est là un tout autre et vaste débat. Le recours aux subventions a l’avantage supplémentaire de ne pas perturber le signal des prix et donc de laisser la demande baisser là où c’est le plus efficace.
Fin de la théorie, passons à la pratique. La première réaction a été la colère de certaines professions, comme les pêcheurs ou les transporteurs routiers. Pourquoi devraient-ils être épargnés aux frais du contribuable ? Leur argument est que, grands consommateurs de pétrole, ils sont plus touchés que les autres. Etrange argument. C’est précisément parce qu’ils absorbent beaucoup de cette denrée chère qu’ils doivent réduire leur activité. A moins que la demande pour leurs services soit essentielle et donc insensible au prix. N’est-il pas étrange, en effet, que leur réaction spontanée soit de demander de l’aide publique et non de relever leurs prix, comme tout un chacun ? En fait, ils savent que la demande est sensible au prix et qu’à terme, leur activité est menacée parce qu’elle est gourmande en pétrole. Si ces professions obtiennent des aides, ce n’est donc pas pour de bonnes raisons économiques. Ces aides peuvent avoir une logique de solidarité, mais comment ne pas penser que ceux qui gagnent à ce jeu sont des groupes de pression bien organisés et capables de faire des dégâts ?
La proposition française de plafonner la TVA sur l’essence répond à la même logique erronée. Certes les automobilistes sont sévèrement touchés, mais ils sont aussi parmi les premiers responsables de la demande de pétrole. Certes, beaucoup de gens dépendent de leur voiture pour aller au travail. Mais, là encore, le renchérissement inéluctable du pétrole implique un usage de plus en plus circonspect de la voiture. L’avenir est aux transports en commun, au covoiturage et à une meilleure adéquation entre lieu de travail et logement. La comparaison avec les Etats-Unis, où de faibles taxes rendent le carburant deux fois moins cher qu’en Europe, est instructive : les transports en commun sont négligés et l’habitat est extraordinairement dispersé. L’idée de plafonner la TVA est donc économiquement injustifiée. Elle est aussi socialement inique puisque, comme le manque à gagner devra bien être financé, c’est le contribuable qui sera appelé à subventionner l’automobiliste.
Il est surprenant que des syndicats n’aient pas encore demandé l’indexation des salaires sur les prix, mais cela ne saurait tarder, sauf miracle. Le salarié est à la fois consommateur et producteur. En tant que producteur, il est normal qu’il cherche à faire passer la hausse du coût de la vie dans son prix de vente, c’est-à-dire son salaire. Malheureusement, la situation est moins simple. Il faut d’abord penser à la demande, car il en va des salariés comme de tous les producteurs. Si les salaires augmentent, la demande, et donc l’emploi, diminuera. La majorité des salariés garderont leur emploi, mais certains se retrouveront au chômage. Outre l’iniquité de la situation, il faudra verser plus d’allocations de chômage, et donc augmenter les charges, ce qui mangera tout ou partie des hausses de salaires. Pire même : face à des salaires plus élevés, les entreprises augmenteront leurs prix, déclenchant ainsi la fameuse spirale inflationniste. Finalement, comment le salarié peut-il espérer échapper au choc pétrolier si c’est le consommateur qui doit en faire les frais ? C’est encore triste à dire, mais il est illusoire de chercher à protéger les salaires.
Plusieurs gouvernements, dont celui de la France, reprochent à la BCE de faire monter les taux d’intérêt et de laisser l’euro s’apprécier. Etrange critique. La mission de toute banque centrale est de contrôler l’inflation. Comme toutes les autres banques centrales, la BCE s’est laissé surprendre par l’irruption de l’inflation, qui ne fait que transmettre les hausses du prix du pétrole. Il lui revient à présent de ramener l’inflation à un niveau qui soit moins inquiétant, et de le faire vite avant que ne s’enclenche la spirale. C’est pour cela qu’elle ne baisse pas le taux d’intérêt et même le relève et le relèvera encore. Les gouvernements lui reprochent de contribuer ainsi au ralentissement économique. Mais on ne voit pas comment la croissance peut être vigoureuse dans un pays importateur de pétrole quand son pouvoir d’achat est rogné.
La critique sur la hausse de l’euro est tout autant malencontreuse. Il se trouve que le prix du pétrole est fixé en dollars. Du coup, le coût en euros du pétrole diminue chaque fois que l’euro s’apprécie, avec un parallèle intéressant. Lorsque le prix du pétrole augmente, les pays producteurs bénéficient d’un gain de leurs termes de l’échange : le même volume d’importations est obtenu en exportant moins de pétrole. Nous leur envions ce gain, mais c’est exactement ce qui se passe quand l’euro s’apprécie : nous avons moins besoin d’exporter pour nous offrir les mêmes importations. Certes, nous exportons moins, mais c’est aussi ce qui arrive aux pays pétroliers. L’appréciation de l’euro est le seul moyen de réduire la facture pétrolière. Pour des gouvernements désespérés de « faire quelque chose », s’en plaindre répond à une bizarre logique.
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