Emprunt : un dernier verre avant la sobriété ? edit
Comme tous ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy a promis de faire reculer la dette de l’État ; le faire aurait à coup sûr représenté une rupture. Mais voilà que, non seulement la dette est en train de bondir, crise financière oblige, mais de surcroît on nous propose un Grand Emprunt. Cette décision soulève deux questions : est-ce un bon déficit ? Est-ce la fin de la gabegie ?
La réponse officielle à la première question est que, cette fois-ci, on ne finance pas des dépenses courantes mais on investit dans l’avenir. C’est un vieux refrain, peu crédible. Sauf que les propositions de la Commission Juppé-Rocard sont suffisamment précises pour être un peu rassurantes. Une petite moitié de ce nouveau déficit serait consacré aux universités et à la recherche. On nous dit que cet effort est porteur d’avenir. Peut-être, mais pas automatiquement. Beaucoup de dépenses dans ce domaine sont peu rentables car les universités ne sont pas des modèles de bonne gestion et que la recherche abrite bien des chercheurs talentueux mais aussi beaucoup d’autres qui ne survivraient pas dans les environnements concurrentiels où se conduisent les recherches de pointe. Les difficultés à réformer l’Université et le CNRS – et les reculades du gouvernement – nous rappellent que les mauvais classements internationaux sont bien le résultat de graves inefficacités, et ces inefficacités garantissent que cette partie du Grand Emprunt ne sera pas entièrement consacrée à préparer l’avenir. Si, au moins, elle permet de solder les errements passés, ce sera utile.
Le reste est un catalogue inquiétant de subventions à des groupes de pression qui se présentent comme des secteurs du futur, sans aucune certitude que ce soit le cas et sans aucune garantie que les fonds seront bien utilisés. On ne peut pas ne pas penser aux grands projets de la période de Gaulle, les plans calculs et le Concorde, qui ont été de piteux et très coûteux échecs industriels et commerciaux. La Commission Juppé-Rocard en est bien consciente puisqu’elle assortit son rapport de suggestions pour contrôler l’usage des dépenses. On peut espérer que ces recommandations seront suivies mais on peut aussi être sceptique, sans être forcément excessivement cynique.
L’autre question est de savoir si le gouvernement va maintenant se donner les moyens d’arrêter la vague interminable des déficits. Sera-ce la dernière largesse non financée ? Si c’est le cas, alors nous vivrons un tournant salutaire. Un premier aspect encourageant est que le Rapport Juppé-Rocard propose qu’une partie au moins de cette somme soit capitalisée et que seuls les intérêts de ce pécule soient dépensés. Si c’est vraiment le cas, la dette de l’État n’augmentera pas vraiment : l’argent correspondant sera épargné. C’est nouveau en France, tellement nouveau que nos pratiques comptables ne reconnaissent pas cet aspect des choses. Ce serait bien d’en profiter pour revoir la Loi de Finances et mettre la comptabilité publique en ligne avec les normes acceptées ailleurs.
Mais le grand sursaut doit venir d’ailleurs. Rien dans notre système de préparation et d’adoption du budget de l’État n’encourage la discipline budgétaire. Tant qu’une réforme ne sera pas adoptée, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Le ministère du Budget continuera à être impuissant face aux demandes des ministères dépensiers qui répercutent les pressions de la multitude de groupes d’intérêt qui ont raffiné leurs capacités à défendre et amplifier la manne publique qui les nourrit. Le Grand Emprunt offre une occasion de nous donner les moyens de la discipline budgétaire.
Pour savoir comment faire, il suffit de regarder les pays qui ont su, eux, faire redescendre leurs dettes. La Suède, la Finlande, les Pays-Bas, le Brésil, la Suisse, la Nouvelle-Zélande et bien d’autres ont mis en place des procédures et des institutions spécialement dédiées à la discipline budgétaire.
L’Allemagne, où la dette est du même ordre de grandeur que la nôtre, n’était pas un parangon de discipline budgétaire. À la fin du printemps dernier, elle a adopté une règle budgétaire qui est désormais inscrite dans sa Constitution. Sa mise en œuvre sera progressive, crise oblige, mais à terme les déficits budgétaires de plus de 0,35% du PIB ne seront plus autorisés sauf raison impérative. Cette règle est souple car la limite ne s’imposera pas année après année mais sur la durée d’un cycle économique. La règle est également crédible car le Parlement aura la responsabilité constitutionnelle de décider de veiller à l’exécution de la loi et le pouvoir exécutif de décider ce qui constitue une raison impérative.
Les autres pays offrent d’autres idées intéressantes. Deux points communs caractérisent ces procédures : l’adoption d’une règle qui définit explicitement la discipline budgétaire et la mise en place de Gardiens de la Loi indépendants du gouvernement.
Le Grand Emprunt a un petit air de dernier verre avant le retour à la sobriété. La montée de la dette publique n’est pas une fatalité. Le plus grand service qu’il pourrait rendre serait d’ouvrir la voie à une rupture par rapport au passé : la fin des déficits politiquement commodes.
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