Finances publiques : la faute de la gauche edit

27 juin 2011

Nicolas Sarkozy a décidé de remiser son projet d’inscrire l’équilibre budgétaire dans la Constitution. Il devait pour cela obtenir deux tiers des voix au Congrès de Versailles. Le rejet du projet par le PS a signé l’arrêt de mort de ce projet. Il reste à espérer que la France ne sera pas emportée dans la crise des dettes souveraines européennes, qui pourrait bien n’en être que dans sa première phase.

La dernière fois qu’un gouvernement français a terminé l’année avec un surplus budgétaire, c’était en 1974. Depuis presque quarante ans, chaque année c’est la même chose : « c’est la dernière fois, l’année prochaine vous verrez ». Certes, il y a eu de mauvaises années, qui justifient pleinement un déficit. Mais il y a aussi eu de bonnes années : depuis 1974, le revenu moyen par tête s’est accru de 70%, compte tenu de la hausse des prix. La dette publique va approcher cette année 100% du PIB. Certes, la grande crise financière est passée par là mais en 2006, la dette publique était déjà d’environ 70%. On peut tourner et retourner les chiffres, le constat est incontournable : de gauche ou de droite, tous nos gouvernements ont abandonné toute notion de discipline budgétaire. Ça ne peut pas être un pur hasard.

Dette publique de la France (en % du PIB)Dette publique de la France (en % du PIB)


En réalité, il y a quelque injustice à accabler les gouvernements. Les budgets font l’objet d’une loi de finances qui est adoptée par le Parlement. Nos députés et sénateurs, dont le rôle est de surveiller le gouvernement, ont allègrement laissé faire. Ils partagent totalement la responsabilité de la situation catastrophique dans laquelle nous sommes. Catastrophique ? Oui, car le service de la dette représente aujourd’hui le troisième poste des dépenses de l’Etat, juste derrière l’enseignement et la recherche, trois fois plus que les dépenses sur l’environnement, six fois le budget de la justice. Cette charge absorbe 90% des impôts sur le revenu. Autrement dit, sans la dette, on pourrait quasiment abolir l’impôt sur le revenu sans toucher au reste des dépenses publiques. Catastrophique aussi parce que nous arrivons à un niveau de dette proche su seuil de déclenchement d’une crise comme celles qui secouent la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Un nouvel accident, par exemple une secousse bancaire, et la France ira, sébille en main, demander l’aide du FMI. Catastrophique encore parce qu’il devient maintenant vital d’arrêter les déficits, et donc de prendre des mesures douloureuses. L’abandon du projet de règle budgétaire constitutionnelle montre que notre classe politique n’y est pas prête.

Il y a deux ans, l’Allemagne a inscrit dans sa Constitution le principe du « frein à l’endettement », qui doit rentrer en vigueur en 2016. Ce principe établit une règle : le budget doit être en équilibre (en fait, le déficit ne doit pas excéder 0.35% du PIB). La loi est souple, cependant, et reconnaît qu’il peut y avoir des bonnes et des mauvaises années. Durant les mauvaises années, le gouvernement peut « tirer » sur un compte qu’il devra rembourser durant les bonnes années. Clair, simple et précis, cette règle constitutionnelle signifie la fin des déficits publics en Allemagne. Pourquoi pas chez nous ?

De gauche ou de droite, dans leur grande majorité, les politiques ne veulent pas de règle contraignante. Élus du peuple, disent-il, ils ne peuvent souffrir aucune limite. Certes, mais nos élus du peuple sont collectivement les seuls responsables de la situation catastrophique de la dette de la France. On aurait pu espérer d’eux qu’ils reconnaissent ce grave dysfonctionnement, qui n’est pas spécifique à la France. Dans une démocratie, en effet, les élus du peuple ont besoin… d’être élus. Il leur faut donc s’assurer du soutien de suffisamment de catégories d’électeurs, qui sont autant de groupes de pression. Chaque ministère a ses lobbies qui veulent plus d’argent et moins d’impôts. C’est normal, mais c’est une faiblesse reconnue de nos démocraties. Le résultat est la tendance aux déficits budgétaires qui ronge nos économies, en Europe comme aux Etats-Unis ou au Japon. De plus en plus de pays se dotent de règles budgétaires contraignantes, et ça marche. Nos politiques continuent de faire semblant de croire à l’exception française, comme s’il peut y avoir d’exception en matière budgétaire. Les élus de la majorité ont trainé des pieds, laissant ceux du PS bloquer le projet. La gauche, en effet, ne veut pas se ficeler les mains au cas où elle arriverait au pouvoir en 2012. Si elle pense pouvoir alors se passer d’austérité, elle nous promet un scénario à la grecque parfaitement angoissant.

En fait, la classe politique a fait alliance avec la haute administration de Bercy. Ils ont concocté des procédures, telle la RGPP (révision générale des politiques publiques) ou l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) qui sont de véritables usines à gaz que seuls quelques spécialistes comprennent. Grace à cette complexité, ensemble élus et hauts fonctionnaires gardent ainsi la main sur le budget, avec le résultat que l’on voit. Ils sont totalement opposés à une règle qui, par sa simplicité et sa transparence, leur enlèverait le pouvoir de distribuer leurs bontés aux électeurs reconnaissants. Contre toute évidence, aussi bien en France qu’ailleurs, ils affirment que ces procédures peuvent être améliorées et qu’il est inutile d’adopter une règle anti-démocratique parce que contraignante. Ça n’a pas marché, ça ne marchera pas et les conséquences risquent d’être terribles.

Ce qui marche, par contre, c’est l’apathie de l’opinion publique et des médias. L’abandon du projet de règle constitutionnelle n’a pas été remarqué. Ni le gouvernement, ni les médias (y compris la blogosphère dans sa majorité) n’ont alerté l’opinion publique des enjeux de cette question. La discipline budgétaire est un sujet ennuyeux, réservé aux spécialistes. Jusqu’au jour où la crise éclate et les citoyens se réveillent, sonnés par les sacrifices qu’ils vont devoir endurer. Après la Grèce, l’Irlande et le Portugal, la crise va sans doute secouer l’Espagne et l’Italie. Après ce sera le tour de la France. Amis cigales, chantons tant qu’il est temps !