La baisse du chômage n’est pas un trompe-l’œil edit
Une polémique récente a mis en cause les chiffres du chômage produits par l’INSEE, qui montraient une baisse significative au 4e trimestre 2019 (8,1% de la population active contre 8,5% trois mois plus tôt). À droite, Marine Le Pen a accusé l’institution de mentir sur les chiffres du chômage, sans doute pour servir les intérêts du gouvernement. À gauche, c’est la méthodologie de calcul employée qui a été critiquée par Denis Clerc, le fondateur d’Alternatives économiques.
Cette méthodologie est pourtant stable au fil du temps et, plus généralement, l’INSEE offre toutes les garanties de sérieux. Fait exceptionnel, le dirigeant de l’institution a dû prendre la parole pour défendre le travail de ses experts. Un administrateur, Benoît Ourliac, a publié sur le (nouveau) blog de l’INSEE un billet revenant sur la fiabilité des chiffres du chômage et sur les méthodologies employées.
Les résultats de la politique de l’offre
La querelle des chiffres est donc close. On peut revenir à l’essentiel, c’est-à-dire à la politique de l’emploi dont ils traduisent les résultats. Or les chiffres publiés en février pour l’ensemble de l’année 2019 nous disent qu’en matière d’emploi la politique de l’offre menée depuis début 2014 et approfondie depuis 2017 donne des résultats remarquables.
La qualité de l’emploi n’est pas dégradée. Les CDI sont toujours archi dominants, ils représentent 75% des emplois, et l’APEC annonce 200 000 offres de postes de cadres pour 2022. Le sous-emploi est en recul : le nombre de personnes au travail qui voudraient plus travailler recule sensiblement. La part des indépendants s’accroit mais ces nouveaux emplois ne sont ni précaires, ni mal rémunérés : ils progressent dans la fourchette haute des qualifications et des revenus et traduisent le goût de l’aventure entrepreneuriale.
Le taux d’emploi, enfin, qui mesure le nombre de personnes au travail sur le total de la population en âge de travailler (15-64 ans) et dont nombre d’économistes considèrent que c’est un indicateur plus significatif que le taux de chômage, est à son niveau « le plus haut depuis 1980 », dit l’INSEE. Certes, on ne peut imputer aux seules politiques de l’emploi cette hausse tenant aussi à l’augmentation régulière du taux d’emploi des seniors, qui tient elle-même à de multiples facteurs parmi lesquels l’élévation progressive de l’âge de la retraite. Mais, précisément, le marché du travail s’est montré capable d’absorber la progression du nombre de seniors au sein de la population active.
Le nombre total d’emplois salariés, enfin, qui frôle les 20 millions aujourd’hui, a progressé d’un million depuis 2015. Du deuxième trimestre 2017 au deuxième trimestre 2019, on compte 490 000 emplois supplémentaires. Une tendance qui prolonge celle des 24 derniers mois du quinquennat Hollande (du 2e trimestre 2015 au 2e trimestre 2017), qui avaient vu près de 400 000 créations d’emplois. La reprise de la croissance économique en France, à partir de 2014-2015, ne rend pas compte de cette croissance du nombre d’emplois ; le PIB n’a crû que modérément en 2019. Mais le fait que cette croissance modeste du PIB s’accompagne d’une croissance robuste du nombre d’emplois atteste la réussite de la politique de l’emploi.
Bien des points restent évidemment à régler, et le portrait de l’INSEE montre des points faibles, ce que les économistes appellent le halo, c’est-à-dire cette enveloppe de personnes qui souhaiteraient travailler mais qui ne sont pas pour autant au chômage au sens admis par le Bureau international du travail. La persistance et l’importance de ce halo n’empêchent pas, pour autant, de constater la réduction progressive du « noyau dur » du chômage, celui dont depuis plusieurs décennies la France entière suit les évolutions statistiques.
À quel prix ?
L’autre procès actuellement en cours concerne le prix à payer pour créer de nouveaux emplois. Car si elle permet de soulager les finances de l’Unedic et permet des rentrées fiscales supplémentaires, cette politique de l’offre a un coût pour les finances publiques. Par exemple, le CICE a été transformé en baisse de charge pérenne, ce qui contraint à des arbitrages dans le budget de l’État. Il est donc sain de scruter attentivement les coûts et bénéfices de ces décisions.
On entend régulièrement que les aides aux entreprises représentent chaque année une somme de 125 milliards d’euros. Pour une partie de l’opinion et de la classe politique, cela signifie : faire des cadeaux aux patrons ! Qu’en est-il exactement des politiques sociales et fiscales de ce gouvernement et des précédents ?
En 2020, les prélèvements obligatoires sur les entreprises vont représenter autour de 16% du PIB, 16% de la richesse produite. C’est un niveau très élevé. Il n’en demeure pas moins que, sous l’effet de la crise de 2008, les prélèvements ont augmenté massivement pour les ménages et plus modestement sur les entreprises. Mais le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, plus qu’un cadeau aux entreprises, a été conçu comme un instrument de politique de l’emploi, et les arbitrages budgétaires ont été faits en ce sens : comme on ne peut contraindre les entreprises à embaucher, l’instrument fiscal est forcément de nature incitative en ce domaine. Le risque est évidemment de créer des effets d’aubaine, de voir « créer » des emplois qui l’auraient été de toute façon ou, pire, de perdre des recettes fiscales sans voir apparaître les emplois attendus. Ce fut le cas avec la baisse de la TVA dans la restauration décidée en 2007, alors même que le secteur, qui avait milité pour cette baisse, s’était engagé à créer des emplois. Quand François Hollande assuma début 2014 son tournant en faveur d’une politique de l’offre, Pierre Gattaz, dirigeant du MEDEF, promettait un million d’emplois en plus si ses demandes étaient satisfaites. On pouvait considérer à l’époque que ce chiffre relevait surtout d’une stratégie de communication. Mais six ans plus tard le million d’emplois a bien été créé.
Aux choix budgétaires se sont certes ajoutées des décisions réglementaires, dont certaines ont été très contestées en leur temps : ainsi de la barémisation des indemnités de licenciement, qui en offrant aux entreprises une meilleure visibilité sur les coûts de séparation devait en retour abaisser les barrières à l’embauche. S’il est très difficile d’évaluer précisément l’effet de ce type de décision, tout au moins peut-on dire qu’elles s’inscrivent dans un ensemble cohérent, et sont donc de nature à renforcer les incitations purement financières. Ce qui est de bonne politique, en donnant un meilleur rendement aux efforts budgétaires.
Ce qui frappe le plus s’agissant de la fiscalité des entreprises, c’est autant sa nature que son volume. On le sait, les impôts dits « de production » viennent « miter » les performances des entreprises. Ils s’appliquent à différents niveaux du compte de résultat avant même que les entreprises n’aient pu réaliser le moindre profit. Ces impôts de production qui financent notamment les collectivités locales sont désincitatifs pour l’investissement et la création d’emplois. Tous les pouvoirs en ont eu conscience mais à l’exception de missions de réflexions comme celle récente du CAE (Conseil d’analyse économique) aucun gouvernement n’y a touché.
Dans un monde ouvert, il convient également de se comparer. Les prélèvements obligatoires représentent presque 28% de la valeur ajoutée pour les entreprises industrielles dont presque 10% au titre des impôts de production et 24% pour les autres entreprises. C’est 10 points de plus qu’en Allemagne, 7,8% en tenant compte des crédits d’impôts. On le voit, les crédits d’impôts sont loin de compenser les écarts de compétitivité sociale et fiscale. Mutatis mutandis, les industriels français courent avec des semelles de plomb.
Le prix du travail est neutre dans la comparaison, il est désormais à peu près égal entre la France et l’Allemagne. C’est donc le poids des prélèvements qui fait la différence. Pour être parfaitement juste, il faut ajouter que la compétitivité hors prix de l’industrie allemande a jusqu’à ce jour tiré ses performances vers le haut. La compétitivité hors prix intègre l’innovation et la qualité de la production. Pour reprendre une formule souvent utilisée, « l’industrie française a longtemps vendu la qualité espagnole au prix allemand » mais cette formule est maintenant dépassée, les industriels français de l’automobile comme des autres secteurs ont engagé la révolution de l’offre et proposent des productions de haute qualité.
Et demain ?
Le redressement durable de l’emploi passera en partie par le renouveau industriel français, par le renforcement de filières efficaces comme il en existe déjà dans l’automobile, l’aéronautique, le médicament ou l’agroalimentaire. Or on retrouve ici des dispositifs fiscaux dont les effets sont parfois très structurants. Le Crédit impôt recherche (CIR) a joué un rôle de catalyseur dans les processus de montée en gamme et d’innovation.
Il faut aussi beaucoup attendre du plan apprentissage et formation du gouvernement. Rappelons ici que l’apprentissage est accessible pour les titulaires de diplômes techniques au niveau du CAP, du BTS, du BAC technique et au delà. Les élèves des grandes écoles s’engagent aujourd’hui dans des processus d’apprentissage qui combinent acquisition des avoirs théoriques et contacts directs avec le marché des entreprises.
Lutter contre le chômage de masse qui reste une menace sérieuse impose aussi de s’intéresser sérieusement à ceux que les anglo-saxons appellent les NEET pour No Education, No Employment No Training (pas de formation, pas de travail, pas de stage). Le taux de chômage des personnes non qualifiées frôle la barre des 19%. C’est un immense défi. Toutes les études sérieuses dont celles de l’INSEE ou de la DARES montrent que les diplômés ont accès à l’emploi, pas toujours au niveau de leur qualification mais dans des proportions très élevées. Ces mêmes études combinées aux données de Pôle emploi démontrent aussi que sans qualification, les postulants sont écartés de l’emploi. Notre économie se Premiumise, les écoles de la deuxième chance comme la grande distribution ou certains secteurs du commerce ne créent plus d’emplois mais au contraire en détruisent. Le 21e siècle est exigeant. Il est le siècle des ingénieurs, des DATA scientists et des DATA miners. Mais y compris pour des emplois moins prestigieux, ceux attachés à l’économie du Care, il adresse aux candidats une injonction de formation.
La lutte contre le chômage n’est jamais gagnée. Chez nos voisins allemands ou anglais, le taux de chômage a été durablement réduit. Il faut considérer l’emploi comme un marché ou l’offre de travail rencontre la demande de main d’œuvre. Comme sur tous les marchés, l’arbitrage entre offre et demande se fait par le prix. Les Anglais et les Allemands ont réduit le chômage en baissant le prix du travail dans les secteurs en tension. L’Allemagne pratique la politique du SMIC par branche professionnelle, ce qui paraitrait inacceptable en France. Nous réduisons moins vite le chômage mais en contre partie, les nouveaux emplois créés sont de bonne qualité. C’est définitivement ce qui fait la différence avec nos voisins.
Deux autres représentations du rapport Emploi/chômage ont évolué.
La socialisation confortable du chômage revenait à accepter le phénomène comme inéluctable. Nous avons eu longtemps la culture du chômage avant d’avoir celle de l’emploi. De ce point de vue, les choses changent. La France passe progressivement d’une stratégie de traitement du chômage à une stratégie de traitement des chômeurs, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Le suivi personnalisé des demandeurs d’emplois, les exigences en matière de qualification donnent des résultats.
Dans le même esprit, les Territoires zéro chômeurs de longue durée (TZCLD) ont permis de resocialiser des personnes qui avaient été exclues du monde du travail. Bref, la France s’est enfin décidée à considérer le chômage autrement que comme une fatalité et les chômeurs comme des victimes à qui il suffisait de verser un revenu de remplacement. La France est sortie de son approche socialisante du sous-emploi pour travailler sur l’employabilité et l’accès à l’emploi. C’est un effort qui commence à payer.
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