Energies, le débat électrique edit
Le rapport de RTE (Réseau de transport d’électricité) rendu fin octobre fournit des pistes pour aboutir à la neutralité carbone en 2050, sans hypothéquer l’approvisionnement électrique du pays. Il évalue plusieurs scénarios mêlant le nucléaire et le déploiement progressif des énergies renouvelables dans un contexte où la consommation d’électricité augmentera de 35% en trente ans. Les investissements nécessaires pour réussir sont compris entre 750 et 1000 milliards d’euros. Le rapport RTE laisse les arbitrages aux élus de la République. L’électricité est un bien commun précieux qui mérite la vérité sur ses conditions de production.
Où est l’enjeu principal et immédiat?
En matière d’énergie, le monde est aux pieds d’une montagne d’investissements. Emmanuel Macron président de la République entend défendre à Bruxelles une règle de bon sens consistant à sortir cet investissement d’avenir des règles budgétaires que les Européens s’apprêtent à rediscuter. La crise de la COVID a creusé les déficits et augmenté le stock de dettes. Il convient d’en revenir à des règles budgétaires durables et soutenables mais sans hypothéquer notre avenir énergétique, d’autant, comme le rappelait Eric le Boucher dans Les Echos (édition du 29 octobre 2021), que « les hydrocarbures représentent aujourd’hui 60% de la consommation d’énergie totale ». Sans énergie, pas d’économie et pas de croissance, y compris verte. C’est ainsi que le chef de l’Etat a annoncé en octobre un milliard de crédits pour les SMR (small modular reactor), ces petites centrales nucléaires de proximité. Le 12 octobre 2021, il avait confirmé une enveloppe de deux milliards pour le développement des énergies renouvelables. Une politique sur deux pieds : les stratégies énergétiques sont à l’hybridation.
Plus question de mettre tous ses œufs dans le même panier comme nous l’avons fait dans l’automobile (le tout diésel) comme dans la production d’électricité (le tout nucléaire puis le tout renouvelable comme en rêvent les écologistes). Construire sa souveraineté, dit l’économiste Emmanuel Combes, « c’est choisir ses dépendances ». Ajoutons dans le même esprit qu’il n’existe pas de solution miraculeuse mais seulement des arbitrages techniques, politiques et économiques. En France, le principe d’une électricité disponible partout sur le territoire, au même prix pour tous, est un acquis de la République une et indivisible. Le principe des productions locales non raccordées au réseau serait une entorse à cette règle.
En novembre 2018, dans son discours sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie, Emmanuel Macron avait estimé qu’en « l’état actuel des solutions disponibles, le nucléaire rest(ait) une piste prometteuse pour continuer à pouvoir compter sur une énergie fiable, décarbonée et à bas coût » confirmant ainsi le rapport récent de l’Agence internationale de l’énergie selon lequel « la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires est l’un des moyens les plus rentables de fournir des sources d’électricité à faible émission de carbone jusqu’en 2040 ». Pourtant, en juin 2020, la deuxième tranche de la centrale nucléaire de Fessenheim était déconnectée du réseau. Sa mise en service remontait à 1977. Comme beaucoup d’autres centrales, celle des bords du Rhin avait été le résultat d’une volonté politique du Général de Gaulle et de son Premier ministre Georges Pompidou de doter le pays de moyens de productions d’électricité autonomes, efficaces et constants.
Quelle est la réalité des coûts de production?
L’enjeu immédiat en matière climatique est celui de décarbonation : la chasse au CO2 a été engagée. Elle est confirmée (COP 26, Glasgow). Si l’on veut s’en tenir à la priorité des priorités, c’est-à-dire, la réduction massive de nos émissions de gaz à effet de serre, nous devons privilégier toutes les sources d’énergie décarbonées. Le débat sur les moyens de la transition énergétique est régulièrement engagé dans les médias. Les organisations écologistes, les ONG (organisations non gouvernementales) comme Greenpeace, Sortir du nucléaire, OXFAM, Global chance ou la Fondation Nicolas Hulot militent activement pour la sortie la plus rapide possible du nucléaire et le déploiement des énergies dites renouvelables. Le coût des renouvelables a incontestablement baissé mais le mode de calcul de leur coût complet est à ce stade insincère. Quelque soit leur coût réel de production, les renouvelables, éolien et solaire restent des modes intermittents de production de l’énergie. Il faut prévoir ce que les spécialistes appellent un back up, c’est-à-dire des moyens de production de secours, non renouvelables mais pilotables comme les centrales à gaz. Coûts de structure et coûts de production de ces back up doivent être intégrés au vrai prix des renouvelables. Et dans ces conditions, les prix dérapent, en même temps que les conséquences environnementales. L’Allemagne offre un exemple grandeur nature des externalités négatives de l’éolien. En l’absence de vent pendant une longue période, entre la fin de l’été et l’automne 2021, les Allemands ont eu recours à des centrales à gaz ou à charbon et ont acheté de l’électricité sur la plaque européenne, dont une partie venait de Pologne, produite avec du charbon, le pire des carburants en matière d’émissions de CO2. La vérité scientifique oblige à dire que les renouvelables formeront une option industrielle crédible quand ils seront devenus pilotables, c’est-à-dire capables de produire au moment précis où la demande s’exprime. En attendant ce tournant technologique, ils ne sont pas en mesure d’offrir une solution opérationnelle satisfaisante dans des pays où la demande d’électricité va augmenter. Elle est tirée par la réaffectation de la production d’énergie du pétrole, du gaz et du charbon vers l’électricité, par les besoins croissants des agents économiques et par l’arrivée de voitures hybrides ou électriques.
S’agissant de l’éolien terrestre, distinguons son coût de production et son prix de vente. Dans le meilleur des cas, le coût de production est situé entre 50 et 80 € (Mgw/h), dit Jacques Percebois, professeur d’économie à l’Université de Montpellier. Il peut en revanche être vendu au prix de marché, sur le marché de gros de la plaque européenne. Dès lors, en fonction de la quantité produite, en fonction des situations de pénurie ou à l’inverse de surproduction, son prix de vente épouse les courbes du marché. Le 8 août dernier (2021), le marché européen est passé dans la journée d’un prix négatif de – 63€ le MWh à un prix positif de + 68€.
Depuis 2016, l’éolien ne bénéficie plus de prix garantis mais d’un « complément marché »; la sélection des capacités se fait par appels d’offres pour l’éolien marin (offshore) et le coût du « complément marché » est financé par le consommateur via les taxes, soit le consommateur d’électricité à travers la CSPE, soit le consommateur de produits pétroliers à travers la TICPE. Les taxes, au total, représentent aujourd’hui un tiers du prix du kWh.
A ce stade, l’éolien, terrestre ou offshore reste confronté à une double problématique : son efficacité opérationnelle et le stockage des surplus de productions. Sur le marché de l’électron, c’est la demande qui commande le marché (et qui donne le signal prix). En l’absence de moyen de stockage efficient, les opérateurs produisent pour répondre à la demande immédiate. Or, le rendement des éoliennes terrestres est de l’ordre de 25% (par rapport à leur rendement optimal), celui des éoliennes offshore de 40%. Trois solutions de stockage imparfaites sont disponibles. Les stations de pompage (STEP, stations de transfert d’énergie par pompage) dont le rendement est moyen ; le système des batteries, mais la quantité stockée est modeste pour un prix élevé ; enfin, dernière option, le modèle complexe à partir de l’électrolyse de l’eau avec des piles à combustible conduisant à la méthanisation (CO2 + H2 -> CH4) dont le rendement est très médiocre.
L’autre question est celle du « vrai » prix du nucléaire. En 2011, la commission Champsaur fixe le juste prix du MWh à 39 euros. Si on applique l’inflation au prix Champsaur, explique Jacques Percebois, on aboutit à un tarif de 48 euros (inflation 2011-2021 = 15%). Ce prix agrège les coûts techniques de prolongation du parc nucléaire historique. Ainsi, le vrai prix de l’ARENH (le nucléaire historique, c’est à dire celui du parc actuel) est « sans doute compris entre 48 et 50 euros du MWh alors qu’il est vendu à 42 euros sur la base d’un prix fixé par la CRE (Commission de régulation de l’énergie).
La question des prix se double d’un débat sur l’opportunité des investissements dans nos moyens de production. Il y a dix ans, la Cour des comptes avait chiffré l’investissement global du nucléaire à 227 milliards d’euros. L’investissement complet dans les renouvelables serait en France de l’ordre de 200 milliards, en intégrant les coûts d’adaptation du réseau de transport d’électricité à l’éolien et au solaire. Entre temps, la facture du nucléaire a augmenté de l‘ordre de 50 milliards avec la prolongation du parc historique des centrales. C’est beaucoup et c’est peu en même temps quand on compare le ratio investissement/efficacité. Dans ce débat, il faut aussi considérer le prix de construction de l’EPR de Flamanville. Il est passé de 3 à 19 milliards d’euros. Les raisons de ce glissement sont nombreuses. La première, connue de tous les industriels en est que Flamanville est un prototype sur lequel aucune économie d’échelle ne peut être obtenue. Les prototypes coutent toujours plus chers que les longues séries ce qui ne les disqualifie pas en terme d’efficience. L’autre raison est que les écologistes nous ont fait perdre beaucoup de temps. Les allers et retours en matière nucléaire auxquels il faut ajouter les conflits de filière ont réduit voir anéanti notre savoir-faire d’ensemblier qui est une des clés du succès dans de très gros projets comme les EPR.
Notre avenir énergétique
Le surgénérateur Superphénix, interrompu en 1997 par décision du Premier ministre Lionel Jospin, offrait l’avantage d’une meilleure utilisation des déchets affaiblissant ainsi un des arguments avancés par les membres écologistes de sa majorité. Cette technologie abandonnée en France a été reprise par les Russes qui continuent de l’exploiter grâce au BN 800, un cousin germain du modèle français (technologie à neutrons rapides avec refroidissement au sodium). Le russe ROSATOM vient d’ailleurs recevoir le prix de la meilleure centrale nucléaire au monde. Avec Superphénix, nous avions entre 2000 et 3000 ans d’énergie garantie. En France, le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) travaille sur un prototype comparable au BN 800. Il pourrait réapparaître en 2025, 30 ans après l’abandon de Superphénix. Le nucléaire concentre de nombreuses critiques souvent injustes. Un monde sans énergies pilotables serait confronté au risque de la pénurie intermittente d’énergie et de la paralysie. Dans une tribune publiée par le JDD, le 27 octobre dernier, Jean-Luc Mélenchon, passé du productivisme au combat écologiste anti-nucléaire, évoquait le risque du black-out nucléaire en dénonçant notre dépendance à l’uranium importé. Ce point de vue est aussi celui de Barbara Pompili, ministre du gouvernement. Il méconnaît la réalité technique de la production nucléaire. Dans le nucléaire, le coût du combustible seul représente 6% du coût du kWh contre 60% pour le gaz, mais au surplus, l’uranium se recycle. La France dispose de trois années de réserves pour l’uranium contre trois mois pour le gaz et les surgénérateurs de demain permettront de produire plus de combustible qu’ils n’en consomment.
L’Europe de l’énergie se bâtit en ce moment même, à un moment de notre histoire où les progrès technologiques sont considérables et rapides. Les débats sur la taxonomie européenne en sont une étape importante. Il s’agit de déterminer une liste de moyens de production éligibles aux « green bonds », les financements européens vers les sources d’énergie dites propres. Les Allemands, les Autrichiens, les espagnols voudraient que nucléaire (sans CO2) en soit exclu mais que le gaz y soit inclus. L’Allemagne d’Angela Merkel a massivement investi sur les renouvelables et… sur le gazoduc Nord Stream 2, sous la Baltique en provenance du nord de la Russie. Si l’Europe venait à lui donner raison, l’Allemagne se transformerait en centre de distribution européen du gaz, au mépris des engagements de réduction des gaz à effet de serre et la France y perdrait une partie de sa souveraineté énergétique.
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